Pratique n Qu'est-ce qui fait la spécificité et l'authenticité du théâtre africain ? Georges M'Boussi, dramaturge du CongoBrazzaville, dira : «En Afrique, le théâtre puise ses racines dans les cérémonies, les rites, les légendes» ; et d'enchaîner : «Le théâtre africain est un théâtre pluriel.» Pour sa part, la professeur camerounaise, Princesse Rabiatou Njoya, définit le théâtre comme étant «le lieu où sont célébrés les rites et croyances et où sont illustrés les cérémonies et les mythes». «Le théâtre, qui est un musée vivant, est la mise en spectacle de ce patrimoine immatériel», souligne-t-elle. Ainsi, le théâtre africain est profondément ancré dans le patrimoine, notamment immatériel. C'est dans ce substrat culturel qu'il s'inscrit et dont il tire son essence même.Il reproduit des situations liées à diverses pratiques de la vie quotidienne qui, elle, est constamment marquée par des comportements culturels et des habitudes sociales, tels les rites sacrés ou les cérémonies profanes. Les éléments et composants du patrimoine sont repris dans l'exercice théâtral et sont intégrés dans l'écriture dramaturgique, la composition scénique ou dans la recherche d'une esthétique. Le théâtre se révèle la manifestation des pratiques orales. Il est en soi une composante culturelle. Cela revient d'emblée à dire que l'oralité, qui se constitue comme étant l'un des fondements de notre culture, se présente comme une partie intégrante de la pratique théâtrale en Afrique. Même le théâtre algérien – ou d'une manière générale le théâtre maghrébin – s'intéresse à l'oralité. L'oralité est un domaine bien vaste et pluriel. Elle comprend des éléments divers et des aspects qui s'appellent et se complètent. L'une des composantes de l'oralité est le chant. Chacun est lié à une situation et raconte une histoire. Chacun est la manifestation d'un cérémonial ou alors d'un rituel. «On utilise les chants dans le théâtre pour décrire des scènes de la vie [les cérémonies de mariages ou de circoncision, la cueillette des olives et bien d'autres circonstances] ou encore pour mettre en situation des événements passés», explique Hadj Meliani, chercheur et universitaire, ajoutant : «Intégrer tous ces éléments dans la pratique théâtrale constitue, à coup sûr, un apport considérable dans la préservation du patrimoine immatériel.» Ainsi, l'usage systématique et instantané dans le théâtre de l'oralité, et cela tant dans sa diversité que dans ses fondements, aide assurément à mieux préserver le patrimoine immatériel. «L'oralité est un fondement de notre culture», souligne Hadj Meliani ; et de poursuivre : «D'où d'ailleurs ce devoir de réfléchir à celle-ci (l'oralité) de façon positive et de ne pas l'enfermer, en conséquence, dans une vision réductrice.»«Car, explique-t-il, l'oralité est souvent réduite au folklore, alors qu'elle est quelque chose de profond. Il faut la défendre en l'expliquant – et en l'exprimant – dans sa diversité et ses fondements.» De son côté, le professeur et chercheur ivoirien, Bosson Aney Clément, propose et recommande un langage capable de reproduire sur les planches les effets de ce patrimoine et de rendre compte de ses aspects, c'est-à-dire être en mesure de le faire sentir. «Mais pour cela, dit-il, il faut avoir une maîtrise de la langue – et du langage théâtral.» l L'universitaire algérien Driss Guergoua, pour qui la relation entre le théâtre et le patrimoine est durable et continuelle et s'étend à travers et le temps et l'espace, soutient l'idée que l'usage des pratiques liées aux cérémonies et aux rites ainsi qu'aux autres composantes de l'oralité et aux différents aspects du patrimoine immatériel aide à préserver et à entretenir cet héritage ancestral. Tout comme il aide à renouveler le champ théâtral et à apporter de nouvelles formes d'esthétique et un nouveau langage scénique. «Toute création théâtrale ne peut aboutir que si elle s'appuie sur le patrimoine, s'en inspire et s'en nourrit», explique-t-il. Ainsi, faire ressortir le patrimoine de son environnement naturel et le transférer vers un autre environnement, en l'adaptant à la pratique théâtrale, est un acte – et un exercice – de création. Le patrimoine immatériel devient alors un langage théâtral à part entière, langage par lequel se dit une réalité qui révèle une authenticité et une ancestralité. Cette authenticité s'inscrit dans une approche anthropologique et ethnologique authentiquement africaine, loin de tout ethnocentrisme occidental. Ainsi, le théâtre africain, marqueur identitaire et indicateur de l'histoire et de la mémoire collective, a pour souci, en célébrant le patrimoine, de renouveler les formes d'écriture. Il permet et privilégie d'autres formes et expériences théâtrales. Le théâtre africain est un théâtre public, populaire, car le spectateur parvient à s'y identifier. Il se reconnaît et se retrouve dans ses éléments qui lui sont familiers.