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La requête de l'Emir Khaled au président Wilson
Publié dans El Watan le 23 - 06 - 2009

Vous représentez aux yeux du monde entier le digne porte-drapeau du droit et de la justice, vous n'êtes entré dans cette guerre gigantesque que pour les étendre à tous les peuples. Nous avons une foi ardente en votre parole sacrée.
Cette requête est faite pour éclairer votre religion et attirer votre bienveillante attention sur notre situation de parias.»
Ainsi se termina la pétition qu'a transmise l'Emir Khaled au président américain Wilson le 23 mai 1919.
Khaled est le petit-fils de l'illustre Emir Abdelkader qui a combattu l'occupation française en Algérie de 1832 à 1847. Il naquit le 20 février 1875 à Damas où il passa toute son enfance et une partie de son adolescence. En 1892, son père, El Hachemi Ben Abdelkader, quitta la Syrie pour l'Algérie, il emmena avec lui sa femme, une Syrienne de race noire, sa belle-mère, sa fille Amina et ses 2 fils Mustapha et Khaled. Après un court séjour à Médéa, la famille s'installa à Bou Saâda. En 1893, le jeune Khaled et son frère furent inscrits comme boursiers au lycée Louis-le-Grand à Paris.
Khaled militaire
Le 7 novembre 1893, Khaled fut admis sans examen à l'Ecole militaire Saint-Cyr, qu'il ne tarda pas à quitter, en démissionnant au début de l'année 1895. Son père étant malade et à court d'argent l'a rappelé auprès de lui. Il fut réadmis à Saint-Cyr le 15 mai 1896 afin de continuer sa formation militaire qu'il termina en 1897. Il refusa de demander sa naturalisation et fit une carrière militaire au titre d'officier indigène.
Durant quatre ans, il fut affecté dans diverses unités, puis, jusqu'en 1907, il exerça en Algérie dans la première compagnie de spahis, unité formée en majorité d'indigènes, hormis le haut commandement qui était français. Au cours de l'année 1907, son régiment se dirigea vers le Maroc où il participa aux opérations dites de «Pacification des Chaouia». En 1908, Khaled a été promu capitaine, c'est le plus haut grade auquel pouvait accéder un indigène. Durant ce séjour marocain, le capitaine Khaled a pris position dans le conflit pour le trône qui opposa Moulay Abdelhafidh à son neveu le sultan Abdelaziz, en soutenant activement ce dernier ; la hiérarchie militaire a mal interprété cette liberté d'agir. Ainsi, en 1910, quand son régiment de spahis a été appelé de nouveau à prendre route vers le Maroc, on demanda au capitaine Khaled de ne pas suivre son unité. Froissé par cette marque de défiance, il protesta et décida de déposer sa demande de démission de l'armée, qu'il retira en juillet 1911 à la suite des implorations de son chef, le général Bailloud. Il obtint une permission de plusieurs mois pour un voyage à Damas.
En revenant à Alger en 1912, son régiment s'était de nouveau déplacé vers le Maroc. Khaled devint «un cas» dans l'armée française ; il était encore militaire et on lui refusa de reprendre le service.
Le 15 juin 1913, on lui accorda un congé exceptionnel de 3 ans qu'il accepta et on le faisait Chevalier de la Légion d'honneur.
Dès la déclaration de la Grande Guerre, en 1914, le capitaine Khaled s'engagea dans les goumiers volontaires. Après 18 mois de front, il revint à Alger en 1916, évacué pour tuberculose pulmonaire. Après sa guérison, il demanda sa réforme à titre définitif. Il n'obtint pas gain de cause, reprit du service et se retrouva, après la fin des hostilités, comme commandant d'un escadron du 1er régiment de spahis à Médéa.
En novembre 1919, il s'est fait mettre à la retraite.
L'Emir Khaled, «Jeune Algérien»
Libéré des obligations de la fonction militaire, Khaled s'adonna à fond à la politique qu'il considéra comme un moyen nécessaire pour lever les injustices institutionnelles qui pesèrent sur les Algériens, considérés pas l'ordre colonial comme des demi-citoyens. Déjà en 1913, suite au congé exceptionnel dont il bénéficia, il soutint, lors des élections des délégués financiers, son ami Zerrouk El Hallaoui.
A la fin de cette même année, il se rendit à Paris pour faire une série de conférences sur la condition politique et sociale des musulmans d'Algérie. Il y défendit le programme «Jeune Algérien», ce mouvement de lettrés qui ont suivi l'école française et qui faisaient campagne à cette époque en faveur du service militaire obligatoire, qu'ils considéraient comme un préalable indispensable à l'octroi, en contrepartie de droits politiques plus étendus. Dès sa mise à la retraite en novembre 1919, Khaled se présenta aux élections municipales d'Alger comme colistier de Hadj Moussa. Celui-ci fut élu avec 940 voix, Khaled avec 925 voix, tandis que la liste adverse des Jeunes Algériens, favorable à la naturalisation, était toute entière battue.
L'année suivante, aux élections d'avril-juin 1920, il fut élu successivement délégué financier et conseiller général, à de très fortes majorités contre les candidats administratifs. En juin 1920, l'Emir Khaled protesta contre le rétablissement des pouvoirs disciplinaires aux administrateurs et proposa aux délégués musulmans aux assemblées françaises une motion d'indignation sur la situation désolante des musulmans algériens. La bataille politique n'a pas empêché l'Emir Khaled de garder un œil attentif sur le développement de la conjoncture internationale.
La requête
Dès le mois d'avril 1917, les Etats-Unis d'Amérique rompirent le principe de la neutralité et entrèrent en guerre contre l'Allemagne. Le 8 janvier 1918, le président Wilson présenta au Congrès américain un plan en 14 recommandations tendant à régulariser les relations internationales. Le point 5 stipulant «un arrangement sur les questions coloniales, en tenant compte des intérêts des populations concernées», intéressa particulièrement l'Emir Khaled.
C'est le texte qui servit de base de discussions aux participants à la conférence de paix, qui se déroula de janvier à juin 1919 à Paris et qui a réuni, Wilson (USA), Lyod George (Grande-Bretagne), Orlando (Italie) et Clémenceau (France).
A cet effet, l'Emir Khaled contacta quelques leaders algériens, dont Kaïd Hammoud et Hadj Ammar et rédigea une missive à l'intention de «la conférence de la paix». La lettre, qui était destinée au président américain Wilson, lui rappela sa déclaration solennelle : «Aucun peuple ne peut être contraint à vivre sous une souveraineté qu'il répudie», qu'il a faite en mai 1917 dans son message au tsar Nicolas II de Russie.
La pétition qui fut un appel clair à l'autodétermination du peuple algérien a été portée par Christian Cherfils (Français converti à l'Islam) et remise à l'hôtel Crillon le 23 mai 1919 à George B. Noble, membre de : L'Américan Commission to négociate peace. La délégation algérienne était composée de cinq personnalités, seuI l'Emir Khaled avait accepté de donner son nom et a demandé un accusé de réception confirmant que l'envoi a été bel et bien reçu par le président. Les autres membres n'ont pas osé mettre leurs signatures par crainte de représailles des autorités françaises. Wilson se serait contenté de remettre la pétition au gouvernement français, qui menaça la délégation de poursuites et même d'arrestations, mais rien n'a été fait officiellement. Toutefois, des pressions sournoises vont s'exercer sur Khaled.
L'exil
Durant toute sa carrière politique, l'Emir Khaled a été sujet à des critiques acerbes de la part de la presse, des colons et de l'administration. A partir de 1922, une campagne virulente l'a particulièrement affecté. En juillet 1923, juste à la veille d'une joute électorale à laquelle il était candidat, il affirma qu'il était fatigué et qu'il renonçait à toute activité politique. Découragé, il prit la destination de l'Egypte durant le deuxième semestre de l'année 1923. Il resta à l'ombre de toute manifestation publique, jusqu'à la victoire du «cartel de gauche» aux élections françaises de mai 1924. Edouard Herriot, qui fut considéré naguère comme un homme politique sensible aux attentes des populations des colonies, a été chargé de former un nouveau gouvernement. Ce qui encouragea l'Emir Khaled à rejoindre de nouveau l'Ancien continent et à adresser au nouveau chef de l'exécutif français en juin 1924 un message de félicitations, accompagné d'un ensemble de revendications des indigènes d'Algérie.
Durant ce séjour français, l'Emir Khaled a été pris en charge par le Parti communiste français qui lui a programmé deux conférences à Paris durant le mois de juillet 1924, au cours desquelles il traita de la représentation parlementaire des musulmans, de l'abolition du code de l'indigénat, de l'égalité des musulmans et des Européens dans l'accomplissement du service militaire et de l'indépendance du culte musulman de l'Etat français à l'instar de l'Eglise.
Les efforts de l'Emir Khaled en faveur du Cartel de gauche s'avérèrent vains. Le président Herriot a fini par «dénoncer l'alliance étrange et sauvage des communistes et des nationalistes», épousant les thèses des Français d'Algérie contre Khaled «cet agitateur an service des bolcheviks». Ne supportant plus ce climat d'intimidations, il quitta la France pour l'Egypte au début de l'automne 1924. En août 1925, il tenta de regagner l'Europe grâce à de fausses pièces d'identité. Les services consulaires français, qui le contrôlaient de près, réussirent à l'appréhender. Il écopa d'une peine de 5 mois de prison.
Depuis cette date, les nouvelles sur l'Emir Khaled se font de plus en plus rares, jusqu'à l'annonce de sa mort, à Damas, le 10 janvier 1936.
Epilogue
Tout au long de son parcours politique, Khaled a fait usage principalement de trois modes d'action :
– Le mandat électif ;
– la conférence publique ;
– la requête destinée aux décideurs.
Celle adressée à Wilson intervenait dans une conjoncture particulière. En Algérie, les indigènes musulmans sont régis depuis deux mois par une nouvelle loi, celle du 4 février 1919, qui les maintint dans un statut d'infériorité politique par rapport à la minorité européenne.
Au niveau international, les USA sortent de leur isolationnisme et veulent insuffler de nouveaux principes dans les relations internationales. Leur président proposa un plan comportant quatorze recommandations reposant sur des idées généreuses de liberté, égalité, sécurité et participation.
Des leaders de populations, sous domination coloniale, accordèrent des préjugés favorables à l'entreprise.
Khaled et ses compagnons ont cru voir une brèche pour «faire sortir l'Algérie du cadre français» en rédigeant la pétition de mai 1919. La déception fut forte, comme elle le sera encore une fois après la Conférence de San Francisco d'avril 1945, qui témoignera, moins d'un mois après, de massacres sans commune mesure contre des autochtones de l'Est algérien. La communauté internationale sortant d'une guerre horrible n'a même pas marqué sa désapprobation. Leçon à retenir pour la postérité : le devenir des peuples assujettis ne peut dépendre de vœux pieux, mais de leur maturité et de leur combativité.
Dans ce sens, l'Emir Khaled a semé une graine.
Références :
– Agéron (ch.R) 2005 : Genèse de l'Algérie algérienne, éditions Bouchène, paris
– Alassali (b) 1984 : Al Amir Khaled Al Hachemi Al Djazaïri. ( l'Emir Khaled, le Hachémite algérien,) éditions Dar Annafaïs Beyrout
– Keddache (M) 1993 : Histoire du nationalisme algérien. Tome 1 éditions ENAL, Alger.


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