Tout le monde pensait que l'intervention, vendredi dernier, du Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, allait ramener Mir Hussein Moussavi et ses troupes à la « raison ». Mais c'est exactement le contraire qui est en train de se produire dans un Iran désormais ouvert à toutes les éventualités. Et la journée d'hier a été riche en indices que la révolte pourrait prendre l'ampleur d'une révolution… Premier symptôme d'un régime assiégé : un attentat suicide a été commis hier, dans l'enceinte même du mausolée de l'imam Khomeiny, faisant une victime et trois blessés. Il faut reconnaître qu'il s'agit là d'un « sacrilège » en bonne et due forme, voire d'un crime de lèse régime des ayatollahs. Pour la symbolique, le coup est vraiment osé. Juste après, Moussavi a défié l'autorité de Khamenei en appelant, dans sa lettre au Conseil des gardiens de la Constitution, à l'annulation pure et simple des résultats. « Tous les comptes (d'irrégularités) plus bien d'autres mentionnés dans mes lettres précédentes (...) sont suffisants pour annuler l'élection », a-t-il dit dans sa correspondance. Il a dans le même temps « zappé » le rendez-vous auquel il avait été invité par le guide suprême vendredi, rejetant de facto la « sortie de secours » du recomptage de 10% des urnes choisies au hasard proposé par le régime. Le Conseil des gardiens a profité de l'absence de Moussavi à la réunion pour lui griller son joker en estimant que ce dernier n'a désormais aucune voie de recours. Mais Mir Moussavi semble sur une autre logique, celle de défier le régime, avec son guide, ses serviteurs et bien sûr sa police et ses bassidjis. « Je suis toujours aux côtés des Iraniens pour défendre leurs droits », a-t-il souligné hier dans son courrier adressé au Conseil des gardiens. Plus sec encore, il a accusé sans le nommer l'ayatollah Ali Khamenei de « menacer le caractère républicain de la République islamique et de viser l'imposition d'un nouveau système politique ». C'est une première qu'un homme politique en Iran ose pointer du doigt le pouvoir « presque divin » de l'ayatollah Khamenei ! En Iran, de tels propos ressemblent à une déclaration de guerre au régime, surtout après que l'ayatollah Ali Khamenei eut pratiquement validé, vendredi, la réélection de Ahmadinejad en soutenant qu'« aucune fraude ne pouvait expliquer sa large victoire ». Le président proclamé a renvoyé l'ascenseur à son ange gardien en le remerciant, hier, pour « sa bonne décision ». « Guide, comme un petit enfant et serviteur choisi par la grande nation iranienne, je juge nécessaire de vous remercier cordialement pour la bonne décision (...) à la prière du vendredi », a dit Ahmadinejad dans un message adressé à l'ayatollah. Suprême provocation Mais cet échange d'amabilités entre le « saint » patron de l'Iran et son homme de main est loin de rassurer. Hier, les manifestants pro-Moussavi ont encore bravé l'interdit – un autre défi à l'ayatollah – en manifestant par milliers dans les rues de Téhéran. Les matraques, les canons à eau et l'eau chaude « envoyée » depuis des hélicoptères n'ont pas dissuadé les hommes et femmes de Moussavi et tous ces Iraniens qui aspirent à autre chose que de vivre sous le joug des religieux pas très « catholiques » à leur goût. La protesta ne faiblit pas. Elle enfle à mesure que le régime fait bloc autour d'Ahmadinejad. Les partisans de Moussavi eux, s'engouffrent dans cette brèche citoyenne pour imposer le changement, à défaut d'imploser le régime. En cela, ils comptent sur les yeux du monde et sur les grandes puissances, même s'ils se gardent bien de s'inscrire dans une logique de rébellion télécommandée de l'extérieur. Mais le fait est que Barack Obama, jusque-là réservé, a vertement averti les dirigeants iraniens. « Au vu de la teneur et du ton de certaines déclarations qui ont été faites, il me semble très important que le gouvernement iranien se rende compte que le monde l'observe », a affirmé le président des Etats-Unis dans une interview à la chaîne CBS. Et d'ajouter qu'il se tient « auprès de ceux qui réclament justice pacifiquement ». Mais compte tenu de la violence de la respression hier, le président américain a haussé le ton. « Je demande au gouvernement iranien d'arrêter les actes de violences et de repression contre sa propre population », a-t-il averti dans un communiqué de la Maison Blanche. Obama n'a certes pas chargé le régime de Téhéran pour des considérations tactiques, mais sa voix s'ajoute à celles, nombreuses, de beaucoup de dirigeants de pays occidentaux qui réclament la fin de la répression et le respect du choix du peuple iranien. Il est difficile, en tout état de cause, d'imaginer comment ce bras de fer pourrait se terminer en Iran. Il y a cependant une certitude : Moussavi a lézardé le pouvoir politique et spirituel du guide. Et c'est une suprême provocation.