Aujourd'hui, il est impossible de savoir si cela va se terminer par un accord entre les factions du système ou par une purge, mais on peut déjà dire que la guerre de succession à Ali Khamenei est lancée, l'hypothèse de sa destitution n'étant pas à écarter, quoique peu probable. Les opposants iraniens ont défié le guide suprême de la révolution islamique. Ils ont battu le pavé à Téhéran en ordre dispersé, mais ils ont bravé l'interdiction d'Ali Khamenei et les forces de sécurité. Leur chef de file Mir Hossein Moussavi s'est déclaré prêt au martyre et a juré de poursuivre sa lutte contre le résultat de l'élection présidentielle malgré les menaces de répression des autorités. La situation est toujours tendue à Téhéran, où un kamikaze s'est fait exploser samedi dans le mausolée de l'ayatollah Ruhollah Khomeiny et où des affrontements ont mis aux prises police, partisans de Moussavi et ceux du président sortant, l'ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, soutenu par l'ayatollah Ali Khamenei. Le successeur de l'icône iranienne avait pourtant sonné la fin de la récréation. Gare à ceux qui oseront encore défier sa toute puissance ! Les nervis du régime des ayatollahs (Bassidji et Pasdarans) ont tout de suite investi Téhéran et les villes “rebelles” de l'intérieur, procédant à des répressions préventives : arrestations de leaders de l'opposition, visites chez les militants du camp perdant et leurs familles, tabassages. Les durs du régime iranien pavoisent, montrant à qui mieux qu'ils gardaient la main. Mais l'Iran a changé. Le Guide a dû accepter le recomptage partiel de votes par le Conseil de discernement, même si c'est histoire de calmer le jeu et même s'il devait annoncer dans sa très attendue prière du vendredi le nom du vainqueur. Pas de changement au tableau : définitive et absolue est la victoire de son poulain, Ahmadinejad. La crise iranienne n'est pas pour autant terminée. Elle a révélé un conflit qui se déroule depuis longtemps dans les alcôves du pouvoir à Téhéran. La question est de savoir si les modérés, qui représentent la branche des ayatollahs qui souhaitent lâcher un peu de lest sur l'application de la loi islamique et avoir des relations plus aimables avec l'Occident pour permettre à leur pays de ne plus être victimes de l'embargo dont il est l'objet, vont tirer leur révérence ? L'ex-président Rafsandjani et numéro deux du régime soutient les réformateurs, mais pas au point de brûler ses vaisseaux. Des voix à Téhéran soutiennent qu'il se serait ainsi vu proposer d'intégrer un cabinet en échange de l'effacement de son ardoise de pots-de-vin. Ahmadinejad ne l'avait pas épargné durant sa campagne électorale. Aujourd'hui, il est impossible de savoir si cela va se terminer par un accord entre les factions du système ou une purge, mais on peut déjà dire que la guerre de succession à Ali Khamenei est lancée, l'hypothèse de sa destitution n'étant pas à écarter, quoique peu probable. Dans le conseil qu'il préside, un certain nombre d'ayatollahs n'avaient pas caché leur penchant pour Moussavi. Les prochains jours seront cruciaux, même si les manifestants ont été contraints de taire la revendication de s'être fait voler l'élection présidentielle du 12 juin. Les protestataires ont défié hier encore le guide qui leur a promis un durcissement de la répression qui a fait une dizaine de morts jusqu'à maintenant. Le mouvement de protestation se dégonflera-t-il sous la menace ? Le régime écrasera-t-il les protestataires ou cédera-t-il sous leur pression ? Tout est possible. D'autant qu'Ahmadinejad qui a l'onction du guide n'est pas un homme à faire dans la demi-mesure. Plusieurs personnalités importantes ont été arrêtées et il y aura une accélération des arrestations dans les jours qui viennent, prévoient les observateurs. Et puisque Ali Khamenei a mis la responsabilité des manifestations sur leurs épaules, cette vague pourrait atteindre Moussavi et Karoubi, les deux candidats officiellement défaits le 12 juin. Auréolé du soutien du guide, le président pourrait même s'en prendre à Rafsandjani dont les enfants sont interdits de quitter l'Iran. La grande inconnue, actuellement, c'est la réaction de l'establishment religieux. Si la situation se corse et qu'Ahmadinejad sévisse d'une main de fer, les dissidences au sein des ayatollahs feront jour. Et si la pression monte, comme l'entend l'encourager Moussavi, les leaders religieux pourraient alors décider de sacrifier Ahmadinejad pour sauver le système, car la République islamique comme tous les régimes autocrates reposent sur une sorte d'entente tacite avec le peuple : tant que vous n'envahissez pas la rue, nous vous laissons faire ce que vous voulez derrière les portes de vos maisons. Cette entente est en train de craquer. L'agitation politique depuis la publication, le 13 juin, des résultats des élections a fait, selon les médias officiels, huit morts en Iran. Une trentaine, selon l'opposition.