Au cinquième jour du procès, l'épouse de Achour Abderrahmane clame son ignorance quant aux activités de son mari. Les associés crient leur innocence et les banquiers accusent le système d'information archaïque de la BNA et la collusion des directeurs d'agence. Le premier appelé à la barre est Badèche Moussa, commerçant à Koléa, ayant un niveau scolaire de 3e année primaire, associé de Achour dans la Sarl Batumat dont il est gérant. « Vous avez encaissé 106 chèques sans provision, d'un montant de 2 milliards de dinars, du compte de votre société, la Eurl Embalia, domiciliée à Zéralda », lui lance d'emblée le juge. L'accusé nie tout et déclare n'avoir jamais été mis au courant de ces retraits. Il raconte avoir connu Achour comme client. Il venait acheter du papier chez lui, lorsqu'il avait son petit magasin de caissettes pour gâteaux, à Koléa. En 2003, Achour est devenu « un grand commerçant » ; il lui a proposé d'ouvrir avec lui la Sarl Batumat, avec un capital de 120 000 DA, spécialisée dans les grands travaux et l'hydraulique. Une société, dit-il, « qui n'a jamais démarré en réalité ». Le juge lui fait savoir qu'une somme de 10 milliards de dinars est pourtant entrée puis sortie du compte de cette société, mais l'accusé persiste à nier. « Vous établissez un registre du commerce et un statut pour créer une société dont vous êtes le gérant et vous n'êtes pas au courant des mouvements de vos comptes ? », lui demande le magistrat. Badèche : « Je n'ai signé que le statut. C'est Achour qui a tout fait. » Le président l'interroge alors sur les deux comptes de Batumat ouverts à Cherchell et l'accusé se montre étonné. « Ces comptes ont été ouverts sans que j'en sois informé. » Le juge lui cite alors une longue liste de mouvements de fonds des comptes de cette société dont il est gérant : les retraits en espèces 617 millions de dinars, 432 millions de dinars, 80 millions de dinars, 200 millions de dinars, 23 millions de dinars ; les retraits en chèques 10 millions de dinars et 740 millions de dinars. Hébété, l'accusé se mure dans le silence. « Etiez-vous au courant de ces mouvements ? », lui demande le magistrat. « Jamais », répond-il. Le juge : « Le compte porte votre nom. » L'accusé : « Je n'ai pas ouvert de compte à Cherchell. » Des propos qui poussent le magistrat à revenir à l'Eurl Embalia, ayant comme activité l'emballage, que Badèche possède. « Une somme de 350 millions de dinars a été mouvementée entre le compte de Bitumat et celui de Embalia, avant d'être retirée en espèces », lance le magistrat. Badèche nie toujours, disant qu'il n'a jamais ouvert de compte à Cherchell. Le magistrat lui demande alors d'expliquer la relation qui peut exister entre une société qui fait dans le goudron et une imprimerie, et la réponse de l'accusé : « Je ne sais pas. » Le procureur général insiste pour connaître l'origine du montant de 350 millions de dinars débité du compte de Embalia. « Combien d'années faut-il à une imprimerie comme la vôtre pour faire 350 millions de dinars ? » L'accusé : « Toute ma vie, jusqu'à ma mort et je ne sais si je le ferais... » Il revient sur Bitumat et lui demande si « la société de grands travaux publics et hydrauliques, qu'il gère avait des ingénieurs et du matériel ». Badèche lui déclare : « Non, rien. La société n'a pas démarré… » Le procureur général : « C'était une société fictive. Vous l'avez créée avec Achour pour utiliser ses comptes dans le pillage des 21 milliards de dinars. » Les prêtes comptes dupés L'avocat de la partie civile tente de démontrer que l'accusé était au courant des comptes ouverts à Cherchell en précisant qu'au dossier déposé à la banque était jointe la photocopie de sa carte d'identité. « Est-ce que Achour vous a volé les documents pour ouvrir ce compte ? », lui demande le juge. L'accusé : « Je ne sais pas. » L'accusé Sedam Mohamed Lamine est lui aussi dans le même cas. D'un niveau de 1re année secondaire, natif de Koléa, il vendait du bois et des fruits avant de créer, à la demande de Achour Abderrahmane, la Eurl Hala, d'un capital de 100 000 DA, dont il est gérant, avec comme activité les travaux publics et d'hydraulique. Une société qui fermera ses portes six mois plus tard. Il explique que Achour lui a conseillé d'ouvrir un compte commercial à Zéralda pour la société, en lui promettant de lui ramener « quelques projets selon mes moyens ». Le juge : « Savez-vous que ce compte a servi pour transférer et retirer la somme de 225 millions de dinars ? Vous lui avez donné le sachet dans lequel l'argent de la banque a été volé. » Il lui révèle d'autres sommes encaissées de ce compte : 271 millions de dinars, 275 millions de dinars et 170 millions de dinars. Après avoir déclaré qu'il n'a jamais reçu d'avis de mouvement de ses comptes, l'accusé finit par affirmer : « Lorsque j'ai reçu l'historique de mes comptes, j'ai été voir le directeur de l'agence pour me plaindre. Il m'a fait un document attestant que le compte est en situation légale. » Le président revient à la charge. Il lui fait savoir qu'en six mois d'existence, la société a procédé à huit opérations de dépôt et de retraits en espèces. Les sommes déposées : 17 millions de dinars, 225 millions de dinars et 271 millions de dinars ; les retraits : 340 millions de dinars et 215 millions de dinars, 50 millions de dinars et un transfert de 33 millions de dinars. L'accusé ne bronche pas. Cependant, il finit par lâcher : « Je ne suis pas au courant et je ne peux être tenu pour responsable. » Le juge : « Vous êtes là parce que c'est le compte de votre société. Vous ne pouvez ne pas être au courant de tous ses mouvements… » Associés, l'épouse et le beau-frère ne savent rien Anxieuse, Djamila Settouf, l'épouse de Achour, est appelée à la barre. Le magistrat lance un regard au dossier et lance : « Vous n'avez pas été entendue par la police judiciaire… » L'accusée commence par s'interroger sur sa présence parmi les accusés. Le juge procède à la lecture des accusations portées contre elle et lui demande de s'expliquer. Femme au foyer, illettrée, elle est mère de deux enfants. Elle affirme avoir quitté le pays en juin 2005, avec ses deux enfants, après les vacances scolaires, à destination du Maroc où se trouvait son mari. Il avait, dit-elle, une imprimerie là-bas, qu'il a vendue. « Parlez-nous de la société Transport bleu dans laquelle vous êtes associée », demande le juge. L'accusée explique que son nom a été mis par son mari sur le statut, juste pour l'ajouter au dossier de demande de visa. « Vous êtes associée », lui lance le magistrat. Mme Achour persiste à déclarer qu'elle ne l'a jamais été. « Le compte de cette société a servi pour plusieurs opérations de retrait de 199 millions de dinars, 40 millions de dinars, 17 millions de dinars et 56 millions de dinars. Où est cet argent ? » L'accusée : « Je ne suis pas au courant… » A propos de l'achat de quelques actions d'Air Algérie, elle déclare : « J'ai mis de côté de l'argent, déposé sur un livret d'épargne pour mes enfants. Mon mari m'a proposé d'acheter, avec cet argent, quelques actions d'Air Algérie. » Le juge l'interrompt pour lui signifier : « Vous avez acheté ces actions à 50 millions de dinars. » L'accusée : « C'est l'argent de mes enfants. » Le magistrat : « Vous n'avez rien, comment pouvez-vous détenir une telle somme ? » L'accusée : « Ce sont mes économies. » Le magistrat lui cite alors quelques biens – deux villas et un terrain – qu'elle possède et elle répond qu'il s'agit des biens laissés par son père, un commerçant. Il lui fait savoir qu'elle est détentrice de trois comptes, mais elle dit ne pas se souvenir des montants qu'ils contiennent. « Avez-vous de la devise ? », demande-t-il. L'accusée : « Je ne me rappelle pas. » Le juge : « Vous avez plus de 625 000 euros dans un compte domicilié en France. » Elle précise qu'elle ne se rappelle pas, mais affirme qu'elle avait 4 millions de dirhams au Maroc, pour subvenir aux dépenses de ses enfants. Le juge appelle son frère, Djamel Settouf, propriétaire de plusieurs sociétés, certaines avec Achour et, comme elle, il nie en bloc toutes les accusations. Illettré, il aurait fait appel à Achour pour lui gérer ses comptes et sa comptabilité et il lui a même établi une procuration. Le juge lui fait savoir que les comptes de l'Eurl Cartonnerie ont servi pour le paiement de chèques sans provision d'un montant de 817 millions de dinars. Il ne cesse de clamer son ignorance. « En six mois, 894 millions de dinars ont été retirés », lui lance le magistrat. « C'est le chiffre d'affaires de plus de 10 ans », répond l'accusé. Il explique qu'il a vendu ses parts dans National A+ à 300 millions de dinars pour créer la société Scorpion du Nord, une entreprise de travaux publics, toujours en donnant procuration à Achour pour la gestion de la comptabilité et les comptes (au moins trois). « Il y a 143 chèques d'un montant de 4 milliards de dinars qui ont transité par National A+ et votre imprimerie. Comment l'expliquez-vous ? » L'accusé : « Je ne suis pas au courant. Posez la question à Achour… » Une collusion et un procédé diabolique Directeur du réseau exploitation de la BNA, Mohamed Amari rejette toutes les accusations portées contre lui. Il déclare avoir des prérogatives limitées et bien définies par la loi. Selon lui, ce sont les agences qui sont, en premier lieu, responsables de cette situation, étant donné que lui ne s'occupe que des crédits et non des chèques. Le juge lui demande pourquoi, sur un des chèques encaissés par Achour il est mentionné « connu Amari ». L'accusé répond : « Il faut poser la question à celui qui l'a écrit. » Le magistrat lui reproche alors l'absence de contrôle de cette agence qui dépend de son service. « Il y avait trop de liquidités, vous auriez pu déceler la catastrophe. La sous-directrice a dit que vous voyez sortir de grandes sommes et vous n'aviez pas réagi », lui lance le juge. L'accusé nie, et le magistrat appelle Mme Akila Mezerhgrani, alors intérim de Bouzaréah. Elle confirme les propos, en précisant que l'inspecteur Bouzid, qui a contrôlé l'agence, l'en a informée. Le magistrat revient sur le client Achour. « Pourquoi avoir donné instruction pour aider Achour à ouvrir plusieurs nouveaux comptes alors qu'il avait des dettes non payées ? », lui dit-il. L'accusé : « Il avait une situation normale, de plus je n'ai jamais donné d'instructions à ce sujet. » Il révèle avoir pris des mesures contre Achour lorsque ce dernier avait un contentieux avec la banque en 1996. « A l'époque, je m'occupais de l'escompte et des crédits, mais cette affaire concerne les chèques qui ne sont pas de mon ressort. Je ne peux croire que tout le monde, du PDG jusqu'à l'agence, a fermé les yeux dans cette affaire et je refuse de payer à la place des autres. » Son collègue, Ahmed Dahmani, directeur d'exploitation du réseau, abonde dans le même sens. Il est sommé d'expliquer pourquoi avoir donné des instructions pour aider Achour à ouvrir des comptes, alors qu'il a eu maille avec la banque. « Ce sont des instruction de la direction générale et de l'inspection générale, dans le but de centraliser ses comptes et de les avoir sous les yeux. A l'époque, nous avons mis en action les biens hypothéqués », déclare l'accusé. Il refuse lui aussi d'assumer la responsabilité de la perte des 21 milliards de dinars, car, selon lui, c'est celle, des directeurs des agences chargés de l'encaissement commercial, alors que lui ne s'occupe que des crédits. Interrogé sur les contrôles qu'il a effectués, il affirme que la situation qui lui a été présentée était sans faille. « Mon travail consiste à analyser les informations qui me parviennent des agences. Si celles-ci ne mentionnent pas les anomalies comment pourrais-je le savoir ? » Le directeur de la comptabilité, Samir Tamrabet, accuse plutôt le système d'information de la BNA « très archaïque, incapable de vérifier les opérations à temps et très fragile », rappelant au passage que toute organisation repose sur les hommes. Pour lui, cette affaire a dévoilé un problème de gestion et non de comptabilité. Lorsque le juge lui demande comment cette dilapidation n'a pas été détectée, il répond : « Parce qu'ils ont utilisé un procédé diabolique qui consiste à ne pas faire apparaître les écritures. » L'accusé rappelle les différentes instructions et notes prises pour la protection des données, mais le juge le ramène à la réalité, en lui précisant : « Malgré vos notes, la modernisation bancaire et les règlements, 21 milliards de dinars se sont évaporés. »L'accusé : « Tout simplement parce que ces notes et instructions n'ont pas été appliquées. » Le magistrat : « Pourquoi elles n'ont pas été appliquées. » L'accusé : « Parce qu'il y a eu collusion. » Des associés et employés dupés Le juge appelle Hassiba Merabti. L'accusée était la secrétaire de Aïnouche, gérant et associé de l'imprimerie Prodiprom. Elle précise qu'elle a le niveau de 2e année universitaire, en biologie et qu'elle a commencé, alors qu'elle avait 23 ans, comme secrétaire et de par ses connaissances en informatique, elle s'est spécialisée en infographie et sérigraphie. Elle récuse toutes les accusations portées contre elle par le chauffeur de Aïnouche, lors de son audition par le tribunal criminel et déclare n'avoir aucun lien avec la BNA ou encore avec les chèques. Elle précise à propos de l'imprimerie de Achour au Maroc, qu'elle a eu une proposition pour aller se former là-bas, et elle est partie sans savoir ce qui se tramait. Elle est partie cinq ou six fois, au royaume chérifien, aux frais de la société, y compris lorsqu'elle a pris avec elle ses parents. Elle reconnaît que la Kangoo, achetée par Ainouche, a été mise à son nom pour éviter les problèmes de la procuration sur les routes. Cependant, la C3, elle déclare l'avoir acquise avec son propre argent. Elle nie avoir eu à encaisser des chèques sauf un, représentant le paiement d'un contrat de réalisation commandé par Achour. Elle souligne n'avoir jamais été convoquée, et qu'elle ne savait pas qu'elle était recherchée jusqu'à ce qu'elle soit arrêtée au Maroc. Le juge appelle Badlèche Moussa, un commerçant de Koléa, patron de la société Ambalia, domiciliée à Zéralda, par où 106 chèques, d'un montant de 2 milliards de dinars, ont transité et encaissés. L'accusé déclare n'avoir jamais été mis au courant de ces opérations. Il affirme avoir été approché par Achour Abderrahmane pour lui conseiller de créer l'Eurl Batumat, en 2003, mais dont l'activité, selon lui, n'a jamais démarré, ce qui a poussé à la fermeture de ses comptes moins d'un an après. Laouati Malika, épouse de Aïnouche, associé de Achour, a aussi nié les faits qui lui sont reprochés. Le juge l'interroge sur la société Rodiprom de son mari. Elle ne sait rien des activités de ce dernier. Il lui demande ce qu'elle possède comme biens et elle répond : « Cela fait 23 ans que mon mari, à chaque fois qu'il achète un bien le met à mon nom ou au nom des enfants, en me disant, on ne sait jamais. J'ai un appartement, une carcasse de villa et un 4 x4 Nissan X-Trail. » Un véhicule qu'elle n'a pas conduit parce qu'elle n'a pas de permis. Elle raconte qu'elle était au Maroc, lorsque son mari a été arrêté. Ses avocats lui ont demandé de rentrer parce que le juge avait besoin d'elle. Elle est rentrée rapidement, et dès sa première entrevue avec le juge, il lui a demandé d'aller dans le hall ramener un avocat, avant de l'inculper et de lui confisquer le passeport. Le procès reprend aujourd'hui avec l'audition des cinq derniers accusés.