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3 200 milliards de centimes détournés sur «recommandation» et «connaissance» Le procès de l'affaire BNA met en évidence le système archaïque de l'information
Le quatrième jour du procès dit de l'affaire BNA était riche en révélations. Les prévenus auditionnés hier par le tribunal criminel n'ont pas tari d'informations. Ainsi, lors de son passage à la barre, l'épouse de Abderrahmane Achour, Setouf Djamila, qui, soit dit en passant et contrairement à l'ensemble des accusés, n'a pas été entendue par les services de la police judiciaire, a informé le tribunal que son association dans la société Transport bleu appartenant à son époux n'avait d'autre but que la facilitation pour l'obtention d'un visa commercial. C'était en plus sur proposition de Abderrahmane Achour. L'accusée, qui comparaît librement, niera tout complicité dans le détournement des 3 200 milliards de centimes. Le président de l'audience lui demandera alors où sont passés les milliards de la BNA. Elle dira qu'elle n'a absolument rien à voir avec cette affaire et martèlera que son entrée comme actionnaire dans la société Transport Bleu n'avait pour seul et unique objectif que l'obtention d'un visa. M. Benkhorchi sortira la litanie de tous les retraits qu'elle a effectués aussi bien en liquide qu'à travers des chèques bancaires. Des chiffres en milliards. De quoi donner le vertige. Elle nie en bloc. Mieux, elle affirme ne rien savoir sur ce sujet. A propos des actions qu'elle a achetées dans le cadre de l'emprunt obligataire lancé par la compagnie aérienne Air Algérie, elle reconnaîtra l'opération. «Mais d'où provient cet argent puisque vous ne travaillez pas ?» lui demande le magistrat. «C'est l'argent de mes enfants [elle en a deux]. Il provient de leur livret d'épargne que j'alimentais régulièrement pour garantir leur avenir.» Et Mme Setouf d'ajouter : «Mon mari m'a proposé de faire fructifier cet argent à travers les actions. Je les lui ai ensuite cédées.». «Vous voulez dire à Transport bleu ?» interroge le magistrat avant de poursuivre : «Laquelle société a acheté des actions à Air Algérie pour la coquette somme de 5,5 milliards de centimes.» Mme Setouf et pendant toute la durée de son audition affirmera ne rien savoir sur tout ce qu'on lui reprochait. Le président de l'audience lui demande d'énumérer au tribunal les biens qu'elle possédait en son nom. «Il s'agit de deux maisons [deux villas, ndlr] et d'un lot de terrain. Elle affirmera avoir oublié pour combien elle a acquis tous ses biens. «Mais vous ne travaillez pas, avec quel argent les avez-vous acquis ?» questionne M. Benkhorchi. «Mon père est un grand commerçant !» lancera-t-elle. Une réponse qui n'a pas convaincu, loin s'en faut, le magistrat qui sait, pour détenir dans le dossier les documents des domaines recensant l'ensemble des biens immobiliers qu'elle a acquis. A la question de savoir si elle possédait un compte en devises, la prévenue répond par la négative. Le président de l'audience insiste dans l'espoir de l'entendre reconnaître l'existence d'un compte en devises. En vain. «Vous avez un compte de 625 000 euros à Paris.» L'épouse de Abdehrrahmane Achour nie de nouveau. «Je n'ai jamais ouvert un compte en France», dira-t-elle avant d'ajouter : «Monsieur le président, je suis une femme au foyer, je ne sais ni lire ni écrire. Je ne suis pas au courant de tout cela.» Elle avouera, par contre, détenir un compte au Maroc d'un montant de 4 millions de dirhams. Une somme qu'elle réservait aux dépenses de la scolarité de ses enfants. Rappelons que Setouf Djamila a séjourné au royaume chérifien de juin 2005 à juillet 2007. Des comptes à profusion au profit d'un client non solvable Son audition terminée, le tribunal appelle Amari Mohamed, directeur du réseau d'exploitation de la BNA. Celui que ses collègues ont mis cause, car c'est lui qui aurait recommandé Achour Abderrahmane. Lequel était une connaissance à lui puisqu'ils sont du même patelin. M. Amari dira au tribunal qu'il n'avait jamais pris connaissance de la multitude de mouvements bancaires qu'opérait le principal accusé dans cette affaire. Le président lui demandera pourquoi sur pratiquement chaque document il était mentionné à propose de Achour «connu» ou encore «recommandé». Le DRE répliquera que toutes les banques le faisaient. M. Amari dont la mission était beaucoup plus administrative, selon lui, chapeautait 7 agences bancaires, dont celles de Cherchell et de Bouzaréah. Le président revient à la charge sur les mouvements des comptes. Il indiquera que Achour ne devait pas bénéficier de l'ouverture d'un compte dans la mesure où il avait un contentieux (crédit non remboursé) au niveau de l'agence de la BNA. Mais Timidjar (directeur de l'agence de Bouzaréah, aujourd'hui en fuite) l'a contacté pour lui dire que son agence allait domicilier des projets de 20 milliards de dinars. Les révélations de Dahmani Ahmed, un autre directeur régional et qui chapeaute lui aussi 7 agences, sont pour le moins choquantes. En ce sens qu'il a raconté au tribunal qu'en prenant ses fonctions il avait découvert que Achour Abderrahmane était débiteur de 650 millions de dinars et que les garanties étaient loin d'être suffisantes. Sur instruction de sa hiérarchie, et après concertation, selon lui, la banque décide de lui ouvrir un compte pour pouvoir recouvrer la créance. Il n'en fallait pas plus pour que le président de l'audience, choqué, sorte de ses gonds. «Vous trouvez normal d'ouvrir un autre compte à un client endetté et qui ne présente aucune garantie ? N'aurait-il pas fallu, selon la réglementation bancaire, prononcer l'interdiction bancaire, c'est-à-dire l'interdiction de chèques ?» A propos de l'argent dilapidé, il dira qu'il ne pouvait pas le savoir parce que cela ne transparaissait nulle part. Et il rejettera toute la responsabilité sur les directeurs des différentes agences en cause dans cette affaire. M. Dahmane, en réponse à une question du procureur général, affirmera avoir accompli convenablement sa mission, y compris celle consistant dans le contrôle. Et le représentant du ministère public de rebondir : «Qui est responsable de la disparition des 2 100 milliards de centimes de l'agence de Bouzaréah ?» Le DRE dira que ce n'est certainement pas lui. «Les responsabilités ont déjà été déterminées», affirmera-t-il encore en allusion aux directeurs d'agence. Vint alors le tour de Merarbi Hassiba. La supposée illettrée, la supposée maîtresse de Abderrahmane Achour et celle qui est supposée avoir été promue du poste de femme de ménage à celui de secrétaire. D'entrée de jeu, elle formule une requête au tribunal. «Avant de me poser la moindre question, permettez-moi de tout vous raconter», sollicitera-t-elle. Le tribunal acquiesce. Prête-nom et location de comptes bancaires D'un calme olympien, elle racontera sa version des faits. D'abord, elle n'a jamais été agent d'entretien, contrairement à ce qu'avait affirmé le chauffeur Mouassi Mustapha. «J'ai fait deux années à Bab Ezzouar, filière biologie», dira-t-elle comme pour laver une humiliation, pourtant il n'y a pas de sous-métier. Elle sollicitera du travail au niveau de l'entreprise Rodiprom où elle est engagée dans un premier temps comme secrétaire. Avant d'occuper le poste d'infographe et de sérigraphe, ayant poursuivi des formations dans ces filières. Et comme pour démentir que Rodiprom était une société écran, Mme Merarbi précisera que l'entreprise possédait du matériel informatique, que les commandes des clients étaient bel et bien réelles puisque c'était elle-même qui faisait le travail d'infographie. Elle ne niera pas s'être rendue à l'agence BNA de Bouzaréah. La première fois pour distribuer des cadeaux de fin d'année et la deuxième fois pour encaisser un chèque libellé en son nom pour prestations de services : «M. Abderrahmane Achour m'a confié une commande. Je l'ai exécutée.» Abderrahmane Achour est également le propriétaire de Rodiprom, dont la gérance a été confiée à Ainouche Rabah. Elle niera toutes les accusations portées contre elle. Elle ira plus loin. «Je défie quiconque d'apporter la moindre preuve démontrant mon implication dans un quelconque détournement ou complicité ou encore être sortie de l'agence de Bouzaréah avec des sacs d'argent.» A ce moment, le président appelle le chauffeur de Rodiprom pour une confrontation. Il reviendra sur sa déposition en niant avoir dit qu'elle sortait avec des sacs d'argent et que c'était lui qui l'accompagnait à chaque fois. Mme Merarbi niera également s'êre rendue dans la même agence en compagnie de son patron, comme avancé par Mezrani Akila. Celle-ci est aussi appelée pour une confrontation. Elle se rétractera en faveur de Mme Merarbi. Laquelle reconnaîtra qu'elle possède deux véhicules à son nom. Une Nissan et une Kangoo. Cette dernière appartenait à l'entreprise avant de changer de main, l'accusée expliquant ce transfert par des considérations purement pratiques. Le président de l'audience et le procureur tenteront à plusieurs reprises de la déstabiliser en revenant sur les mêmes questions. Mais elle restera imperturbable. Louati Djamila est l'épouse de Aïnouche Rabah. Elle niera savoir quoi que ce soit sur les sociétés détenues par son mari et encore moins détenir un compte bancaire. Elle dira que, depuis vingt-trois ans, son mari mettait à son nom à elle tout ce qu'il pouvait acquérir comme biens, histoire d'assurer l'avenir des enfants. Le directeur de la comptabilité éclairera la cour sans pour autant utiliser les termes propres. C'est-à-dire la complicité, la collusion des directeurs d'agence et la dissimulation. Il mettra en exergue les graves défaillances du système d'information de la banque qui demeure archaïque. Deux commerçants ont été auditionnés par le tribunal. L'un a ouvert un compte bancaire et confié sa gestion à Abderrahmane Achour à travers une procuration. Il s'agissait de grands projets de travaux publics que le principal accusé devait prendre et il lui fallait un compte pour ce faire. L'accusé était incapable d'expliquer le mouvement dudit compte d'où plus de 34 milliards de centimes ont été retirés avant de le solder. Le deuxième commerçant expliquera qu'il devait créer une société de travaux publics avec Abderrahmane Achour. Mais elle n'activera jamais. Pourtant les statuts ont été rédigés et un registre du commerce a été émis par le CNRC. L'accusé dira ne rien savoir de tout cela. Et laissera entendre tout comme le premier commerçant que Achour a utilisé le compte et les papiers de l'entreprise qui n'a jamais existé pour soutirer de l'argent à la banque. F. A.