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« Nous sommes jaloux de notre indépendance » B. Samraoui. Professeur au laboratoire de recherche et de conservation des zones humides, département de biologie à l'Université de Guelma
Quel est l'intérêt scientifique et/ou pédagogique à baguer les flamants d'El Goléa ? L'intérêt scientifique et pour la conservation est immense car nous ne pouvons pas protéger une espèce et gérer des milieux sans une bonne connaissance de la dynamique des populations. Le baguage est un très bon outil qui nous fournit des données cruciales concernant la reproduction, l'espérance de vie ou la dispersion des individus. Ces informations sont vitales pour comprendre la dynamique des différentes colonies autour du bassin méditerranéen. L'intérêt pédagogique ou économique est également immense car ces mêmes outils (marquage, traitement des données, etc.) peuvent être appliqués indifféremment au flamant rose, aux stocks de thon en Méditerranée ou aux insectes ravageurs des cultures. Les étudiants de l'université de Guelma ont acquis une expérience enrichissante qui sert pendant la formation théorique qu'ils reçoivent en cours. La découverte de la colonie d'El Goléa, au cœur du Sahara algérien, suscite également plusieurs questions : origine des flamants qui y nichent, leur structure d'âge, leurs liens avec les autres colonies, etc. Le baguage des poussins et la lecture des bagues des adultes nous permettront à terme de répondre à ces questions. Qu'avez-vous appris depuis le dernier baguage de 2006 ? Beaucoup de choses et les données stockées sous forme de base de données sont en cours d'analyse (une thèse de doctorat de Boucheker A.). Les colonies algériennes jouent probablement un rôle-clé au sein de la métapopulation de flamants roses du bassin méditerranéen. Les flamants nés et bagués à Ezzemoul ont été observés dans 7 autres pays autour de la Méditerranée (du Portugal à l'Italie et du Maroc à la Libye). Il est trop tôt pour l'affirmer mais il est probable que beaucoup se reproduiront en Europe mettant fin au « mythe » de l'Afrique du Nord servant simplement de crèche aux flamants roses nés en Europe. Deux individus bagués à Ezzemoul se sont reproduits avec succès à l'âge de trois ans à El Goléa. Des individus bagués en Turquie ont été observés se reproduisant pour la première fois hors de la Turquie. L'analyse de milliers de lectures de bagues à l'aide de puissants logiciels de modélisation va nous permettre de construire un modèle de la structure spatio-temporelle de la métapopulation méditerranéenne des flamants roses. Avez-vous été aidé pour l'opération d'El Goléa et par qui ? Notre projet s'inscrit dans le cadre d'un projet Cnepru sur la conservation du flamant rose et des zones humides algériennes, mais l'aide du MESRS est plutôt symbolique. Nous avons également une collaboration étroite au sein d'un réseau international « Flamant rose » qui gère la base de données communes. Cette collaboration est possible grâce au support de la fondation MAVA qui nous a vraiment aidés au cours des trois dernières années. Nous sommes également reconnaissants au Groupe Benamor (Fedjoudj/Guelma) qui nous a apportés son appui en confectionnant les tenues portées par les étudiants et chercheurs lors de l'opération de baguage. Les bagues proviennent de la Tour Du Valat et auraient dû avoir la lettre P inscrite sur la bague ; pourtant, celles-ci ont la lettre A pour Algérie, racontez-nous... Pour la majorité des oiseaux d'eau que nous baguons, nous avons cotisé pour acquérir les bagues. Pour l'Ibis falcinelle, la station biologique de Donana (Espagne) nous a gracieusement fourni les bagues comme elle l'a fait pour d'autres chercheurs (e.g. la Tour du Valat, France). Pour le flamant rose, nous avons acheté nos bagues qui portent un code spécifique à l'Algérie (Ax/xx où x est un caractère alphanumérique) grâce au support de la fondation MAVA. Nous avons une collaboration scientifique sur le flamant rose avec la Tour du Valat (encadrement commun d'une thèse de doctorat, accès à une bibliothèque de renommée, exploitation de la base de données commune, etc.). Bien qu'ouvert à la collaboration, nous sommes toutefois jaloux de notre indépendance. Nous pensons que c'est notre rôle d'investir et de maîtriser les techniques de pointe liées au domaine de la biodiversité et de la conservation et de former une génération compétente et rompue aux goûts de l'effort et des challenges. Qu'est-ce que cela peut apporter pour l'Algérie et nos zones humides ? Le flamant rose comme toute autre composante de la biodiversité de notre beau pays mérite d'être protégé. C'est également une espèce porte-drapeau des zones humides et son sort est étroitement lié à ces milieux vulnérables qui ont durant des millénaires fourni de multiples services à l'humanité. Des flamants bagués en Algérie qui circulent à travers toute la Méditerranée sont un gage de sérieux et de compétence du savoir-faire algérien en termes de conservation de sa biodiversité. Il y va du prestige (et des engagements internationaux) de l'Algérie d'être capable de protéger ses richesses naturelles.