Le juge d'instruction du tribunal de Annaba, à l'issue de la première audience d'une instruction toujours en cours, a laissé jeudi en liberté provisoire les armateurs et patrons de pêche turcs, au nombre de 6, et placé sous contrôle judiciaire l'armateur algérien propriétaire du Djazaïr II. Tous les bateaux et les équipements ont été saisis : le thonier algérien actuellement dans le port de Bouharoun (Tipaza), le remorqueur et le bateau de servitude turcs dans le port de Annaba et au large de cette ville, le remorqueur turc avec sa cage flottante pleine de 210 tonnes de thon rouge, selon les déclarations des armateurs. Hier, une équipe du DPRH, de la direction départementale de la pêche et des gardes-côtes devait se rendre sur place pour effectuer le lâcher des thons saisis conformément aux dispositions de l'ICCAT, la commission internationale pour la conservation des thonidés. Dans une « mise au point » qui, en fait, ne se borne qu'à rappeler les procédures et réglementations en la matière, le MPRH, le ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques, s'en lave les mains de cette affaire et déclare qu'il prendra les mesures qui s'imposent et qu'il se constitue d'ores et déjà partie civile. La lettre du MPRH nous apprend aussi que des balises ont été installées à bord des thoniers algériens et que la pêche ne leur est autorisée que dans les eaux territoriales. Par contre, elle ne dit pas que cette année il a été clairement précisé aux armateurs qu'ils devront pêcher par leurs propres moyens et sans contrat d'assistance comme cela a été le cas les années précédentes. Simultanément une autre « mise au point » qui dément le scénario du faux échange de thon en mer nous est parvenue du représentant en Algérie de AKUA-GROUP, la société d'armement turque impliquée à Annaba. Curieusement, c'est la défense des armateurs algériens qu'il prend en affirmant que « les informations erronées ne peuvent que porter préjudice aux armateurs algériens qui ne sont que d'honnêtes gens qui aspirent à travailler dans la transparence pour s'acquitter des dettes contractées pour l'acquisition de leurs navires ». Se référant au code maritime algérien, il affirme également qu'aucune demande d'autorisation n'est exigée pour naviguer dans les eaux algériennes. Ce qui ne semble pas être l'avis de la direction de la marine marchande du ministère des Transports qui a systématiquement refusé cette demande lorsqu'elle a été introduite par Ecopêches, société de pêche algérienne qui est en partenariat avec le groupe turc Mammuli. L'affaire de Annaba a le mérite de lever le voile sur des pratiques illicites et prédatrices en cours depuis années. A cette même époque, en 2008, bien après le passage du thon le long de nos côtes, nous rapportions une pêche miraculeuse toujours à Annaba où 4 navires algériens assistés par le thonier Mammuli Reiss II utilisé comme remorqueur, appartenant au groupe turc Mammuli ont, en trois jours et trois sorties par temps défavorable, déclaré des prises de 150 tonnes le 12 juin, 185 tonnes le 13 juin et 100 tonnes le 14 juin, soit 435 tonnes, ce qui représente 50% du quota national de 2008 (876,02 tonnes). A titre d'exemple, les Japonais qui ont pêché pendant 45 jours dans nos eaux, en pleine campagne, avec leurs superbes équipements, 12 bateaux, avions de reconnaissance, technologies de pointe et tout leur savoir-faire, n'ont réussi à faire que 340 tonnes sur les 400 prévues et payées au Trésor public. Il y a de quoi se poser des questions et nous les avons posées au MPRH qui n'a pas été en mesure de répondre. Au contraire, il a nié les faits rapportés et versé dans la morale et le patriotisme de mauvais aloi. Pourquoi ? Où sont passées les 800 tonnes de 2008 ? Le MPRH répartit entre les armateurs algériens le quota national de thon attribué par l'ICCAT et elle fournit à cette dernière la liste des bateaux algériens engagés parfois à l'insu même de leur propriétaire. Ils ont été 21 cette saison mais 17 ont eu un quota. En 2008 et en 2009, nous avons demandé des informations sur le nombre et la nature réelle de bateaux qui ont bénéficié du quota national et nous avons également demandé la destination finale des centaines de tonnes qui auraient été pêchées par les Algériens. Les réponses sont vagues et noyées, si l'on peut dire, dans une prose faite de rappels de textes, de perspectives de développement et de procédures administratives. On retiendra cependant que le MPRH reconnaît implicitement que l'Algérie n'a pas les moyens de pratiquer la pêche car en parlant de pêche illicite, il est écrit que « comme l'Egypte, elle a une capacité de pêche relativement réduite » ; plus loin encore, il est rapporté que « les Algériens ne sont pas dépourvus de moyens matériels ; cependant, dans ce genre de pêche fort exigeante en matière de maîtrise et de professionnalisme, notamment la conduite des navires en haute mer, l'expérience acquise doit être sans cesse renouvelée ». Le MPRH parle sans plus « d'une stratégie d'exploitation avec une politique pour un saut qualitatif et quantitatif pour la constitution d'une flottille hauturière et thonière ». Le citoyen lambda s'est bien rendu compte que malgré des moyens financiers colossaux, cette stratégie a lamentablement échoué puisque nous en sommes arrivés à importer de la sardine de Tunisie.En fait, et c'est de notoriété publique et le MPRH ne peut pas l'ignorer, il n'y a pas de thoniers algériens capables de pêcher notre quota de thon et encore moins disposant du savoir-faire et de l'équipement nécessaire en mer comme à terre : filets pesant jusqu'à 40 tonnes, cages flottantes, moyens de réfrigération et de congélation, puissance de motorisation, engins de levage, etc. Une inspection récente sur un « thonier algérien » a pu mettre en évidence toutes ces défaillances. Il n'est pas le seul car de nombreuses unités navales toutes neuves, acquises dans le cadre du PNDPA et PRDPA, et construites dans les chantiers navals turcs sont en panne dans les ports algériens. Comment font-ils alors pour vendre leurs parts octroyées par le MPRH ? Ils se mettent tout bonnement en association, en assistance ou en partenariat avec des pilleurs de thon qui viennent avec des cages déjà pleines. En haute mer, par le truchement de cages flottantes à fond double pour tromper la vigilance des contrôleurs, on fait semblant de faire passer le thon des filets algériens dans les cages des pilleurs. La vente est faite et le tour est joué. Le pilleur détenteur du « papier quota » algérien peut alors repartir et débarquer et déclarer sa marchandise dans le port de son choix en conformité avec les règles de l'ICCAT. Sachant cela, pourquoi le MPRH n'a-t-il pas réagi. A cette question, on nous a répondu par la formule consacrée : « El harb khidaâ ! » (la guerre, c'est la ruse !) Les regards sont braqués sur Annaba, à bon escient, pourrait-on dire, mais en fait ce n'est là que la partie visible de l'iceberg. Il ne s'agirait que de 200 tonnes, mais où sont passées les centaines d'autres et celles des années précédentes. Le MPRH devrait le savoir car l'ICCAT a instauré des règles de traçabilité infaillibles et l'Algérie se targue d'être l'un de ses meilleurs élèves. Et il ne s'agit plus de savoir qui a pris le thon car on le sait, mais plutôt de savoir qui l'a donné.