Antoine Sfeir est venu à Alger animer une conférence sur « l'islam et l'islamisme » et signer son essai co-écrit avec Christian Chesnot : Orient-Occident, le choc ? Les impasses meurtrières, publié en Algérie par Sedia. Aux journalistes venus l'écouter à l'hôtel Sofitel d'Alger, le directeur des Cahiers de l'Orient fera remarquer que parler de l'islam est une « gageure » et qu'il faut connaître les « fondamentaux » pour en comprendre les mécanismes. Sfeir reviendra sur l'histoire de l'Islam, sur le parcours de son fondateur et des califes « bien guidés » qui lui ont succédé, mais surtout sur les soubresauts qui ont marqué les premières années de la Révélation. La succession du Prophète (QSSSL), la mise en forme du texte coranique, devenu « immuable », avec le calife Othmane, et le schisme qui a marqué les premières années de cette religion née dans le désert arabique, ont été traités succinctement par le journaliste franco-libanais. Sfeir mettra en avant la nécessité pour les musulmans de ne « confier leurs affaires » qu'à ceux qui possèdent le savoir. Mais une donne est intervenue bien plus tard. L'ijtihad, cet effort nécessaire, a été arrêté aux XIe siècle par un calife qui décida de n'accepter que les écoles doctrinaires sunnites, dont la plus rigoriste a été créée par un pieux, Ibn Hanbal, qui a inspiré, plusieurs siècles plus tard les Wabhabites. « Cela fut fatal pour une partie des musulmans », relève-t-il. Le chiisme, doctrine « déviante », ne cessaient d'affirmer les sunnites, ne connaîtra pas la même trajectoire chaotique que vivent leurs coreligionnaires. En revenant sur la genèse des « rawafidh », comme les qualifient El-Qaïda et une partie des sunnites d'Irak, Sfeir insistera sur la vitalité des campagnes des « ahl el bayt » qui s'appuieront sur le référent, « mardja' », notion qui les distingue des sunnites qui ne reconnaissent pas l'existence d'un clergé. « Velayat é Faqih » (le gouvernement des doctes) a été « théorisé » par l'ayatollah Mohammed Bakir Al Sadr. Avec les perturbations que connaît actuellement l'Iran, cette « mardjaïa, détenue par l'ayatollah Khameneï est contestée par les réformistes, comme cela en a été le cas de l'Irak avec Moktada Al Sadr, petit neveu de Bakir Al Sadr. ». Les « quiétistes » comme l'ayatollah Ali Sistani en Irak se verront concurrencer par les chiites arabes. La venue dans l'espace arabe de puissances étrangères, française et anglaise, a changé les assises géographiques des populations qui ont toujours vécu sous plusieurs empires. Les accords secrets de Sykes-Picot, signés en 1916 entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie tsariste ont favorisé des dissensions. Des courants furent créés, comme celui qui défend la « nation arabe » ou celui qui prône une une entité supranationale, la « oumma » qui transcenderait toutes les appartenances locales. L'Arabie saoudite est la première à défendre cette perception en favorisant l'installation, à travers le monde, des institutions, comme la Ligue islamique ou l'Organisation de la conférence islamique, OCI. Pour Sfeir, tout arabe n'est pas musulman, tout musulman n'est pas islamiste et tout islamiste n'est toujours pas intégriste. Il fera remarquer que « l'islamisme, suivant des enquêtes menées par les Nations unies, ne représenterait que 8 à 10% de la population islamique globale. Cette minorité ‘‘dangereuse'' ambitionne changer les habitudes des croyants. » Le journaliste battra en brèche la notion de dialogue des religions à laquelle il préfère celle, plus soft, de dialogue des cultures. « Il est nécessaire que chacun dialogue avec l'autre dans sa propre vérité », insiste-t-il.