Ecrits d'exil est le titre du tout dernier ouvrage du sociologue algérien, Ali El Kenz, publié aux éditions Casbah. C'est un livre agréable à lire, tant ce qu'il y narre est, non seulement très bien écrit, mais également riche en enseignements. L'auteur a, en effet, la particularité de s'être intéressé très tôt à ce qui se passait dans son pays en mettant à contribution le métier de sociologue qu'il maîtrise à la perfection pour essayer de le comprendre. C'est ainsi que l'industrialisation des années 1970 et ses répercussions sur la société algérienne, essentiellement rurale, le mode d'organisation d'une entreprise nationale industrielle (SNS) et ses aspirations en matière économique et sociale, les rapports entre les cadres dirigeants d'entreprises publiques et la société en général, furent l'objet de laborieuses enquêtes souvent couronnées par d'intéressantes et, parfois même, troublantes observations, comme ce fut, par exemple, le cas pour le complexe sidérurgique d'El Hadjar. La question des langues et notamment celle relative à la coexistence de l'arabe, du français et du tamazight, trois langues qui auraient dû contribuer à la richesse culturelle du pays, mais qui paradoxalement ont été mises en guerre les unes contre les autres pour de sordides objectifs de pouvoir, est également abordée à la lumière d'enquêtes et analyses sociologiques aujourd'hui encore d'actualité. Mais la partie de l'ouvrage la plus poignante à nos yeux est, sans conteste, l'itinéraire autobiographique de l'auteur, allant de sa prime enfance à Skikda, son passage au lycée de Constantine, l'Ecole normale de Kouba, sa carrière d'enseignant dans un grand lycée d'Alger et à la faculté d'Alger, ses activités de recherche au Cread, ses principaux travaux, en passant par sa période d'exil en 1993 qui le mènera dans un certain nombre de pays avant de se stabiliser à l'université de Nantes où il fera une brillante carrière de professeur et chercheur en sociologie. Savoureux à lire, on trouve dans chacun des passages de cette longue autobiographie, un intérêt particulier, que ce soit dans la description de la vie communautaire dans les villes algériennes au temps de la colonisation, l'esprit insurrectionnel qui prédominait chez les jeunes qui ne supportaient plus leur injuste sort de colonisés, les comportements pas toujours héroïques de certains de nos compatriotes lors de la guerre de libération, les espoirs des algériens une fois l'indépendance recouvrée, le désenchantement qui suivra avec les luttes pour le pouvoir et, plus tard, la mauvaise gouvernance et ses conséquences désastreuses sur la vie des algériens. Son départ précipité d'Alger en 1993, en raison du terrorisme sanglant qui ciblait toute la population algérienne, mais sans doute plus encore les intellectuels, sera vécu par l'auteur comme un exil mais, sans doute aussi comme l'échec d'un sociologue qui n'avait pas su prévoir d'aussi dramatiques débordements. Bien qu'activant en France (université de Nantes), Ali El Kenz demeure très attaché à l'Algérie qu'il n'aurait, du reste, jamais voulu quitter. En dépit de ses lourdes charges d'enseignant et de chercheur, il trouve toujours le moyen d'être disponible lorsqu'une université, un centre de recherche ou tout autre importante institution algérienne sollicite ses services. Cet ouvrage et ses 155 pages autobiographiques mérite d'être lu, car il nous rapproche considérablement de l'auteur qu'on finit par apprécier, non seulement pour ses mérites professionnels et son érudition, mais aussi et surtout pour ses qualités humaines et sa proximité sentimentale de l'Algérie qu'il continue à aimer en dépit de toutes les épreuves qu'il y a enduré.