– Comment est née cette idée d'organiser une manifestation à Alger sur le poète palestinien Mahmoud Darwich et pourquoi ce titre «Une vie de poésie» ? A l'origine, j'avais eu la chance d'assister au dernier récital donné par Mahmoud Darwich (14 juillet 2008 à Arles, France), puis, après son décès, j'avais rencontré le plasticien Rachid Koraïchi qui l'avait bien connu à Tunis à partir de 1981. Ensemble, ils avaient imaginé un travail intitulé Une nation en exil. Le désir est né alors de construire un hommage à partir de l'exposition de ce travail et de l'élargir à d'autres disciplines. De même qu'Une vie de poésie s'est imposé car Darwich, plus que d'être «le poète de la résistance» est avant tout «poète» au sens plein du terme : sa vie est une vie vouée avant tout à la poésie. Comme l'écrit Elias Sanbar, «Darwich a choisi la terre du poème et y a élu demeure». – Quels sont les thèmes qui seront abordés durant le colloque qui lui est consacré ? Et quels sont les critères du choix des invités à ce colloque ? On tentera de donner un aperçu de la complexité de l'œuvre de Mahmoud Darwich qui est «un océan sans rivages» pour reprendre la belle formule de Michel Chodkiewicz à propos d'Ibn Arabi. Pour cela, des compagnons de route, des poètes et des traducteurs aborderont chacun une facette de sa personnalité, de son travail. On a invité des personnes incontournables comme Elias Sanbar – historien, traducteur et ambassadeur de la Palestine à l'Unesco – qui l'a bien connu depuis les années 70, ou Farouk Mardam Bey qui le publie en France à Actes Sud depuis près de vingt ans, ou encore le poète et journaliste libanais Abbas Beydoun qui l'a interviewé de nombreuses fois. Deux regrets seulement : que Elias Khoury et Salim Barakat n'ont pu venir depuis Beyrouth, deux personnes très proches de Darwich et que nous tenterons d'inviter à nouveau. – Quel est, selon vous, la meilleure façon de perpétuer l'héritage artistique de Darwich sans qu'il ne soit banalisé par la récupération politique ? Précisément, il me semble que son œuvre est tellement vaste et variée, tellement exigeante qu'elle ne peut faire l'objet de récupération malgré toutes les tentatives ! C'est une œuvre qui a beaucoup évolué, notamment à partir de son recueil Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude (1995) et qui avait abordé un tournant à la fois plus métaphysique et plus intime avec son recueil – mon préféré – Comme des fleurs d'amandiers ou plus loin paru à Beyrouth en 2005. Et peut-être que le public arabe ne s'en était pas bien rendu compte et qui a fait que lors de son dernier passage à Alger en juin 2005, certains avaient pu être déçus… Du coup, comme pour tout artiste universel, ce sont les jeunes générations qui garderont vivante sa poésie et son message. D'où l'idée d'inviter le jeune poète d'El Qods, Najwan Darwich, (un homonyme) pour une résidence d'un mois à Alger ou de proposer à Nacéra Belaza une création de danse contemporaine à partir des textes de Mahmoud Darwich. – Pensez-vous que la liberté et le courage, portés par la poésie de Darwich, sont toujours présents dans la poésie arabe d'aujourd'hui ? Il reste des poètes à la hauteur de ce que fut Darwich : Saâdi Youssef l'Irakien, exilé à Londres, Ounsi EL Hage à Beyrouth, Samih El Qassim en Palestine ou encore Mohamed Bennis le Marocain qui sera là à Alger. Mais au-delà, il me semble que la poésie arabe contemporaine est extrêmement vivante par les thématiques et les formes. La question de la résistance ou de la liberté ne se manifeste plus dans l'art en général comme dans les années 60/70 parce qu'il n'y a plus de grandes causes à défendre, et qu'aujourd'hui il s'agit de causes individuelles. Mais ce qui demeure et se développe, c'est la dimension critique et la colère. Critique de nous-mêmes d'abord, comme l'écrivait Darwich dans un de ses derniers poèmes – Si nous le voulons – et qui avait suscité tant d'incompréhensions : «Nous serons un peuple, si nous le voulons, lorsque nous saurons que nous ne sommes pas des anges et que le mal n'est pas l'apanage des autres».