Selon lui, on n'a pas assez écrit objectivement sur le début de la guerre de Libération nationale, le 1er Novembre 1954 et les événements qui avaient précédé cette date. «Le 1er Novembre n'est pas tombé du ciel. Il y a eu toute une préparation. Le combat politique de l'Emir Khaled a préparé cette date. Nous sommes encore victimes d'une tradition ancestrale de l'oralité. Il faut ajouter que pendant plusieurs décennies, on a permis politiquement une expression libre sur les faits historiques», a ajouté Messaoud Djennas. Le sociologue Nacer Djabi est du même avis : «Ce qui a été écrit est peu comparé avec ce qui devait être écrit. Dans ce peu, il y a l'écriture officielle de l'histoire qui n'a rien apporté de nouveau. Il y a également les mémoires et témoignages publiés depuis octobre 1988», a-t-il souligné. Pour lui, l'histoire a été transformée en idéologie par les pouvoirs successifs. «Nous n'avons pas écrit grand-chose par rapport aux Français qui nous dépassent de loin en volume et en qualité. Ils ont raconté l'histoire de la guerre à leur manière», a-t-il relevé. Yasmine Belkacem-Allik des éditions Chihab a observé, pour sa part, que les témoignages sont insuffisants. «Les personnalités qui ont été des acteurs majeurs et qui sont encore vivantes n'ont pas toutes estimé nécessaire ou utile de raconter l'histoire de leur point de vue», a-t-elle noté. Chihab a une collection histoire. Il a acheté les droits de plusieurs ouvrages des historiens français Benjamin Stora et Jean-Charles Jauffret et vient d'éditer deux précieux témoignages : Parcours d'un militant de Mohamed Mechati et Afin que nul n'oublie de Mahmoud Mostefaoui. Mahmoud Mostefaoui est militant de la Wilaya IV historique, alors que Mohamed Mechati, 89 ans, est l'un des derniers survivants du groupe des 22, qui a déclenché la guerre de Libération nationale. «Ces deux hommes sont arrivés à un moment où ils ont estimé qu'il était nécessaire de raconter ce qu'ils ont vécu», a remarqué Yasmine Belkacem-Allik. «On n'écrit jamais assez sur l'histoire. Un pays se construit sur sa mémoire. Nous avons besoin de tous les livres sur l'histoire algérienne. Cela va de la recherche académique des spécialistes jusqu'aux mémoires du plus petit combattant, celui qui a vu, assisté à une seule scène, aidé et ou participé d'une certaine manière à la guerre de Libération», a soutenu Sofiane Hadjadj, des éditions Barzakh. Selon lui, on ne mesure pas à quel point la mémoire est le fruit de tous les témoignages. «Il faut constituer un corpus sans se demander quel est le point de vue qui est donné, est-ce que c'est légitime ou pas, subjectif ou pas. Tout est à faire», a-t-il appuyé. Citant les cas des Etats-Unis et de l'Allemagne, il a relevé que la production d'ouvrages sur l'histoire de ces deux pays se mesure en dizaines de milliers. Le droit à plus de livres d'histoire Autant sur la naissance de la nation américaine que sur les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale. «L'histoire d'une nation se construit par l'écrit. Le drame est que beaucoup de témoins sont morts sans livrer leurs écrits. Certains disent qu'ils n'ont rien vu, d'autres disent que cela ne sert à rien. On leur dit que c'est vital pour les jeunes générations de recueillir leurs paroles», a estimé Sofiane Hadjadj. Selon lui, la génération qui a œuvré à l'indépendance de l'Algérie a un rapport sur l'écrit trop lié à la culture du secret. «On sait le rôle qu'a eu le MALG dans cette histoire. J'ai eu à rencontrer beaucoup d'anciens officiers qui, cinquante ans après, ont toujours cette culture. Ils pensent que s'ils disent tout ce qu'ils ont vu, cela sera politiquement incorrect. Or, je leur dit, même si vous témoignez de ce qui est politiquement correct, il faut le faire», a-t-il affirmé. Barzakh a publié plusieurs ouvrages comme celui de Mohamed Harbi 1954, la guerre commence en Algérie et les mémoires de Hocine Aït Ahmed. En 2010, cette maison d'édition va publier un ouvrage de Djamila Amrane sur les moudjahidate pendant la guerre. «Il s'agit d'une thèse de doctorat publiée en France. Mais nous allons éditer un ouvrage complet de 700 pages qui récapitule tout l'engagement des femmes algériennes dans la révolution. On espère venir à bout également des mémoires de Claudine et Pierre Chaulet. L'engagement des Chaulet pendant la guerre de Libération est connu», a expliqué Sofiane Hadjadj. Karim Chikh, des éditions APIC, a relevé que tout n'a pas encore été dit ou écrit sur la Révolution algérienne. «Pour vraiment "en finir" avec l'histoire algérienne, je pense qu'il faut au moins un siècle d'écriture. D'abord par rapport à la Révolution algérienne, il faut profiter de certains acteurs encore en vie. Cela devient une urgence. Il y a la grande guerre véhiculée par l'Etat mais il y a aussi la "petite" guerre, celle du vécu de chaque individu, de chaque Algérien. C'est la petite histoire de cette révolution qui n'est pas encore racontée», a estimé Karim Chikh. Il faut, selon lui, aller dans les détails de cette révolution. Radia Abed des éditions Sedia a revendiqué «fortement» le droit d'avoir plus de livres d'histoire surtout qu'il existe des maisons d'édition spécialisées en cela. Sédia, qui représente le groupe français Hachette en Algérie, n'édite pas de livres d'histoire par choix. «Lorsque nous avons décidé de nous ouvrir sur les manuels scolaires, on a été autorisé à faire tout sauf l'histoire, l'éducation islamique et l'éducation civique. La chose est réglée depuis longtemps», a précisé Radia Abed. Mustapha Madi a tenu à indiquer que les éditions Casbah ne sont pas spécialisées en écrits historiques. «C'est un hasard qui a fait qu'on s'intéresse aux écrits sur l'histoire. Le catalogue de notre édition est ouvert à tous les genres. La conjoncture, après la petite ouverture démocratique de 1988, a fait que les acteurs de la guerre de Libération ont commencé à écrire des mémoires. Avant, ce n'était pas possible», a-t-il souligné. Il a rappelé que l'Algérie en guerre, de Mohamed Teguia, avait été censuré en 1978. Selon lui, l'écriture des mémoires est devenue un phénomène. «Les livres d'histoire sont fort demandés par le public. Mieux que les autres genres. Ce que je ne comprends pas, pourquoi les mémoires écrites en français se vendent mieux que celles rédigées en arabe. Harbi traduit en arabe n'a pas un grand succès», a-t-il ajouté. Ali Bey de la librairie du Tiers-Monde a confirmé les propos de Mustapha Madi. «Après le parascolaire, les livres d'histoire et ceux de la littérature politique sont ceux qui se vendent le mieux», a-t-il attesté, soulignant que les mémoires du général Khaled Nezzar et d'Ahmed Taleb Ibrahimi se sont bien vendus. Autant que le dernier livre de Hamou Amirouche sur l'Akfadou. Selon Mustapha Madi, il reste beaucoup à écrire sur la Fédération de France du FLN, sur les trésors du FLN, sur le patrimoine du FLN en France et sur l'affaire Melouza. Radia Abed se dit contente que le dernier roman de Anouar Benmalek, le Rapt, paru chez Sédia, relate des faits qui n'ont pas été rapportés auparavant. «Il manque beaucoup de choses sur la guerre de Libération. Il manque beaucoup de vérité. D'où l'intérêt d'un livre comme le Rapt. J'espère qu'il y en aura d'autres. Seulement, il faut laisser les gens s'exprimer et dire les choses», a-t-elle confirmé. Pour le romancier Amin Zaoui, on a écrit que sur la forme de l'histoire du pays. «L'histoire psychologique, celle des symboles, de la violence vue par un homme de lettres n'a pas encore été écrite. Les Algériens n'ont pas encore lu un beau texte sur cela», a-t-il observé. Nacer Djabi a appelé à améliorer la relation entre les jeunes et l'histoire. «Pour atteindre ce but et réhabiliter l'histoire, il faut diversifier les supports, livres, BD, cinéma, théâtre…», a-t-il suggéré. Yasmine Belkacem-Allik a regretté l'absence de travaux sur l'Algérie ces dernières années. «Si l'on veut savoir ce qui s'est passé en 1965, en 1988 et en 1992, on ne trouve rien. L'histoire immédiate n'est pas écrite», a-t-elle constaté. «Il manque des révélations dans les livres d'histoire», a conclu Abdallah Benadouda des éditions Socrate