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Construction et qualité : Et allons y pour le grand écart
Publié dans El Watan le 04 - 11 - 2009

Hot ! hot ! Tout est chaud, les fruits, les légumes, les matériaux de construction. Dans cette canicule ambiante, les ingrédients dans l'acte de construire étant constamment d'actualité, mon point de vue sur ce sujet, contaminé par une fièvre brûlante et confectionné au ras des pâquerettes, mériterait des répliques rafraîchissantes. A travers les propos qui vont suivre, d'aucuns penseront que je défonce une porte ouverte ou alors que j'ai cassé le pot. Qu'à cela ne tienne. J'aurais dans un cas enfoncé le clou dans la porte et dans l'autre situé la fissure sur le pot. Vous avez dit arguments frelatés ? Au commencement, il y eut le grand séisme d'El Asnam (10 octobre 1980), rebaptisée ChIef dès le lendemain. Depuis, et à chaque manifestation désastreuse du séisme (Tipaza en 1989, Mascara en 1994, Aïn Témouchent en 1999 et Boumerdès en 2003), les pouvoirs publics assistés des experts ont imposé une réglementation technique plus sévère, plus contraignante et plus restrictive.
L'actualisation de cette réglementation a entraîné la suppression des éléments de structures, tels que les poteaux courts, les vides sanitaires… et imposé la réalisation de voiles (murs en béton armé) tous azimuts, des pourcentages d'acier et des dimensions de structure plus grands, etc. Malgré cela, à chaque investigation des désordres et des ruines après un séisme, les experts sont étonnés d'être surpris par la faiblesse des résistances des bétons, (il a été relevé des résistances de 14 à 17 MPa au lieu de 27 à 30 MPa requis à Boumerdès), par la mauvaise qualité des matériaux et des dispositions constructives disparates. Pour y palier, il a été décidé d'augmenter certains paramètres de calculs, d'élargir les zones sismiques à plus grand risque, etc. Les architectes et ingénieurs en génie civil ont été sensibilisés pour la prise en considération de ces nouvelles mesures en les tenant comme responsables lors de la conception et de l'étude technique des ouvrages.
En somme, c'est comme sur un réseau hydraulique ; lorsqu'on constate une fuite au niveau d'une vanne, on serre d'avantage les écrous, quitte à rajouter des contre-écrous, sans s'intéresser aux joints d'étanchéité et au coup de bélier. Et ce qui s'ensuit ? La fuite réapparaît. En dehors de ces mesures quelque peu de «bureau», que constate-t-on sur le terrain, sur les lieux de production des matériaux et d'édification des ouvrages ? Il y a au départ «la confection» et la commercialisation de granulats (graviers et sables) non-conformes aux normes prévues. Lorsque sur les lieux de production ou de vente, quelqu'un se hasarde à signaler la mauvaise qualité des ces agrégats (forme plate, aiguille, langues d'oiseau, impuretés ; poussiéreux à l'extrême, etc.) car elle compromet l'adhérence du mortier de ciment sur les graviers, on lui répond : «Ah, vous faites la fine bouche, rouh ! kayene khouk fi souk» (Partez il y a d'autres clients que vous sur le marché). Pour le sable, on vous répondra : «Garanti ! c'est du sable lavé» ; oui lavé d'accord mais à demi, tellement le test d'essai équivalent de sable donnerait des résultats catastrophiques jusqu'à 40% d'impuretés), et encore on ne parle pas de la granularité discontinue (les dimensions des grains de sable doivent être progressives de 0,1 à 4mm en général).
La norme dit cela :
– Equivalent de sable 65 = sable argileux : risque de retrait ou de gonflement - à rejeter pour les bétons de qualité.
– Equivalent de sable entre 75 et 85 : le sable propre convient parfaitement pour les bétons de qualité.
Pour les autres matériaux, on est «logé» à la même enseigne :
– Les briques de dimensions non-réglementaires s'effritent à la moindre manipulation, engendrant ainsi de grandes pertes.
– Les éléments agglomérés, comme les corps creux pour les planchers (hourdis) ou les parpaings, se désagrègent à la moindre sollicitation, tellement le fabriquant a «rogné» sur le dosage en ciment, la gravelette 03/08 et surtout sur l'arrosage après démoulage.
– Les armatures de poutrelles confectionnées en atelier, donc prêtes à l'emploi, sont parfois faites avec des aciers non-réglementaires (diamètre 09 ou 09,5 mm par exemple) ; mais où a-t-on été chercher ces diamètres qui n'existent nulle part pour les normes établies (sauf, il me semble, au Japon et aux USA). Et comme si cela ne suffisait pas dans la «tricherie», les crénelures n'existent pratiquement plus, alors qu'elles assurent l'adhérence de la barre d'acier au béton qui l'enrobe. Il faut savoir que les planchers des bâtiments réalisés avec ces poutrelles en béton armé ne résistent pas seulement aux charges verticales, mais participent aussi à la stabilité d'ensemble du bâtiment à travers les diaphragmes qu'ils constituent.
– Le ciment commercialisé en sacs est emballé avec 2 simples feuillets de papier Kraft (naguère avec 6 feuillets), mais qu'importe, s'il s'évente et s'éventre lors du stockage et de la manipulation. L'on constate que d'une façon récurrente vers les mois de mai et juin, une cimenterie voire deux sont à l'arrêt pour des raisons de maintenance ; ce qui engendre le début du «tsunami» sur la disponibilité et les prix du ciment. Lorsqu'on cherche le pourquoi du comment à cette situation, les justifications font écho sur :
– La production limitée de l'ensemble des cimenteries.
– Une plus grande consommation du ciment au sortir de l'hiver.
A ces explications, mon jugement signale cela :
Les capacités installées dans le pays dépassent largement les 22 millions de tonnes, alors que la consommation se situe entre 17-18 millions de tonnes de ciment. Puisqu'il est admis et reconnu que les besoins en ciment augmentent considérablement durant la belle saison 5 avril-octobre, pourquoi ne pas créer des stocks durant la basse saison (hiver) organisé en turn-over. Si ce stockage est difficile ou onéreux (en grandes quantités), l'on peut se rabattre sur le stockage du clinker (75% de calcaire et 25% de silice cuit dans un four rotatif à 1450°C, généralement présenté sous forme de cailloux ronds). Enfin, pour veiller à une certaine conformité de tout ce qui ce qui précède, le contrôle doit être permanent et strict.
Pour en revenir à la construction en ce début du XXIe siècle, pour concevoir, calculer et dimensionner les structures de l'ouvrage, on fait appel à des logiciels performants et qui vous éblouissent avec plein de perspectives, couleurs et configurations. L'ingénieur se base aussi sur les calculs aux états limites, aux états limites ultimes et à l'extrême sur la détermination de rotules plastiques pour simuler une destruction sans effondrement… Pour concilier ces calculs pointus avec un dimensionnement économique, l'ingénieur adopte en hypothèses des bétons performants, donc ayant des résistances élevées jusqu'à 35 à 40 MPa), etc.
Dans les faits, les bureaux d'études ne s'embarrassent pas de ces extrêmes, ils s'en tiennent en général à placer la barre assez bas. (J'ai noté des choix de résistances nominales à 22 MPa). Sachant que les matériaux, comme signalé précédemment, sont médiocres, ils participent avec ces hypothèses à la… médiocrité ; alors qu'il y a plus de 30 ans, avant cette réglementation aux états limites, ces logiciels de calculs «performants», les résistances nominales de bétons adoptées étaient de 27 ou 30 MPa au minimum. Ces bureaux d'études auront donc accepté le credo de receveur de bus vis-à-vis de ses passagers : «Avancez en arrière.»
Pendant ce temps sur les lieux des travaux, comme si cela ne suffisait pas, des interdictions non fondées sont établies :
– Interdiction d'utiliser les graviers roulés. Qui a dit que ces graviers roulés étaient proscrits ? Certes, ils adhérent moins bien à la pâte de ciment, mais ils compensent cela par un meilleur coefficient de forme et à une meilleure propreté par rapport aux graviers concassés de carrière.
– Interdiction d'utiliser la pompe à béton pour la mise en œuvre des bétons dans les coffrages prévus pour les structures, sous prétexte que les préposés à la pompe vont fluidifier d'avantage le béton à mettre en place par un excès d'eau de gâchage. La mise en œuvre du béton par godet prend 3 fois plus de temps, entraîne des pertes importantes de béton pour les structures minces (les voiles qui sont actuellement utilisés tous azimuts) et sans vigilance pour les imperfections dans l'homogénéité du béton (ségrégations…).
En vérité, il est préférable que le béton soit souple, pour améliorer son ouvrabilité, sa compacité et son homogénéité, en veillant bien sûr en permanence aux bons dosages de ses composants. La pompe à béton offre à mon sens un meilleur outil pour cela. Il est utile de signaler que les structures de la Tour Montparnasse à Paris ont été réalisées en utilisant la pompe à béton sur des hauteurs de 100 m. Les maîtres d'ouvrage sélectionnent parfois les entreprises pour leurs projets sur la base d'un simple cahier des charges ou plutôt un devis quantitatif établi par les bureaux d'études. Et voilà que ces entreprises concourent à arracher les projets par des délais minimums à qui mieux mieux ; sans connaître le contenu du projet, ni reconnaître les lieux des travaux, ni consulter les études techniques (souvent non prêtes). Vous les verrez une fois à l'ouvrage «ruer dans les brancards», car les études techniques imposent une plus grande densité d'aciers, car la topographie des lieux et la nature des sols ne sont pas favorables.
il leur est imposé aussi des travaux supplémentaires omis par les études. Et pour corser le tout, les architectes et ingénieurs, qui pourraient tant bien que mal palier à ces avatars, sont absents de ces lieux. Les cohortes d'architectes et d'ingénieurs diplômés chaque année, se sont-elles reconverties ou entraînées sur les radeaux ? De même l'adoption et la réquisition de grandes «tahtahate», qui font office de parkings (zones de dépôts et de dangers dès la nuit tombée), engendrent des coûts et des délais supplémentaires, alors que la réalisation de sous-sols ferait meilleur choix.
Ces sous-sols, outre les fonctions de parking, peuvent servir aux locataires de caves personnelles, de locaux culturels, associatifs, sportifs, etc. L'on pourrait même les utiliser comme «refuges» en cas de catastrophes. Et j'oublie le plus important : la création de ces sous-sols offre un ancrage sécurisant aux immeubles et donc une meilleure stabilité et sécurité vis-à-vis des séismes, puisque associés aux planchers bas du rez-de-chaussée, ils fonctionnent comme de véritables boîtes rigides résistant bien mieux aux séismes. Il n'empêche qu'au sein de tous ces intervenants et à travers des placards publicitaires plein les yeux, des sociétés, entreprises et organismes vous informent qu'ils acquièrent la certification ISO… quelque chose. A mon avis, avant d'être ISO, il faut être IZEM (lion) et créer son label afin qu'en bout de chaîne, le produit ou la prestation ne soit pas friable. Nous assistons aussi à la réalisation de projets où des «injonctions» et «ultimatums» sont formulés pour achever au jour J, au vu des retards ou de l'urgence. Il faut le dire en toute objectivité, l'urgence ne s'accommode pas avec la qualité, sauf à mettre l'aspect économique de côté.
– Conséquence à toutes ces conséquences, les pouvoirs publics et à leur tête le gouvernement déplorent et sont offusqués des retards et des surcoûts engendrant des réévaluations financières.
– Conséquence à toutes ces conséquences, le gouvernement doit décider l'importation pour 1 million de tonnes de ciment. Cela, alors que les pertes en ciment font suite :
– à la mauvaise fabrication d'agglomérés ;
– à l'éventement facile des sacs ;
– aux pertes énormes de béton occasionnées par l'utilisation mordicus des godets pour bétonner les voiles, banches et poteaux.
Pour ma part, j'évalue ces pertes au 1/20e des quantités de ciment utilisées. Alors pour une production estimée à 18 millions de tonnes, faites vos comptes !
Droit dans le mur ?
Les enseignements que nous pouvons tirer des 2 procès relatifs au séisme de Boumerdès devraient être analysés et servir de leçons draconiennes pour l'avenir. En effet, l'on a pu noter que toutes les parties impliquées ou concernées lors de ces procès sont reparties avec un sentiment de frustration.
Les accusés ou relaxés ? Bien qu'ils aient été blanchis ou lavés des accusations, il reste que pour eux la souillure leur aura laissé des taches qu'aucun détergent ne pourra faire disparaître.
Les victimes ? Celles qui ne sont plus là, n'ont plus rien à exprimer, les autres se sentiront comme au premier jour avec des blessures morales, physiques, matérielles et beaucoup de ressentiments.
Les pouvoirs publics ? Ils garderont la déception de n'avoir pu constater des condamnations qui serviraient de leçons et d'alertes pour tous les acteurs dans l'acte de bâtir à l'avenir. L'opinion publique ? Déjà blasée par ailleurs, beaucoup de cette masse invisible seraient offusqués que tant d'investigations, de contrôles, d'expertises, d'analyses, de temps et d'argent, n'aient abouti qu'à un «coup d'épée dans une mare», alors que des coupables, il devrait y en avoir certainement dans le cadre du procès ou ailleurs. Tout cela pour mettre en évidence le délitement ou même la déliquescence de la notion de responsabilité. Pour illustrer ce manque en la matière, j'ose évoquer de nouveau(1) la date butoir du 4 septembre 2009 pour l'interdiction des sables d'oueds, qui a déjà donné lieu à un 3e sursis depuis juillet 2009 (soit 6 ans de sursis). Les questions qui se posent seraient :
– Les nouvelles stations de concassage pour le sable sont-elles opérationnelles ? – Les programmes de constructions de logements, ouvrages d'art et hydrauliques seront-ils correctement approvisionnés en sable d'oued ou de carrière de qualité ? – Les mesures prises récemment pour l'achèvement des constructions dans des délais limités qui entraînent des besoins énormes en sable seront-elles respectées ?
Encore heureux que les chaussées de l'autoroute Est-Ouest ne soient pas en béton (heureux, que dis-je ? en Allemagne, les premières autoroutes en béton datent de 1933 et je crois bien que certains tronçons sont encore utilisés). Je l'affirme tout de go. Il sera progressivement de plus en plus difficile d'alimenter en sable réglementaire ces dizaines de milliers de chantiers, que déjà le prix du sable a pris exemple sur celui du ciment. Si pouvoirs publics ne prennent pas immédiatement les mesures appropriées pour l'ouverture de carrières de production de sable, ils devront de nouveau accepter un autre sursis (le 4e avec août 2011 comme pronostic) pour l'utilisation des sables d'oueds. Dans tous les cas, oued ou carrière, le sable de qualité sera de plus en plus rare et une plus grande vigilance doit être de mise au regard de tout ce qui précède. Pour éviter la cacophonie en matière de responsabilité et plus particulièrement lors des travaux, il est impératif et urgent de répartir et de situer les quote-parts en la matière. Et là, je crois fortement que les personnes physiques chargées du suivi et du contrôle de ces travaux (surtout les ingénieurs) devraient être totalement habilitées et assumer tous les engagements relatifs aux travaux du début à la réception. Cet engagement ne sera bien accepté par ces surveillants que si certaines règles sont de mise :
– participer au choix de l'entreprise ;
– assumer envers et contre tous (y compris vis-à-vis du maître d'ouvrage) les multiples aspects d'organisation de travaux, de matériaux, etc.
– endosser les délais prévus ;
– assurer des relations professionnelles avec l'organisme de contrôle en défendant leurs choix.
En outre, à travers ces missions totales, le surveillant des travaux (qui peut être une tierce partie vis-à-vis du bureau qui a réalisé les études) ne peut en aucun cas se considérer comme «couvert» ou «immunisé» suite à des injonction et ultimatums, car lui seul devra justifier toute conséquence. Paré donc d'une responsabilité totale, ce sujet surveillant devra être rémunéré comme il se doit, c'est-à-dire beaucoup mieux que ceux qui activent au bureau ou aux faiseurs de discours, car c'est lui qui laisse des traces dans le déroulement des travaux du début à la fin.
In fine ?
Tout n'est pas faux sans doute dans les lieux communs de l'acte de bâtir, mais comme le disait Blaise Pascal : «Trop de vérité nous étonne.» Puissent ceux qui, dans le domaine, mènent la barque à tous les niveaux, corriger les écarts y compris ceux notés à travers ce point de vue car the time is now. Et si on remettait tout ça à
plat ?
– (1) El Watan du 10 septembre 2007 : Ah ! ce sable «mouvant»
L'auteur est ancien DG du CTC Centre


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