Après les accusations du général à la retraite, François Buchwalter, le président Nicolas Sarkozy hausse le ton et exige que la vérité soit faite sur les circonstances de l'assassinat des sept moines de Tibéhirine en mars 1996. « Je vous dis une chose, je veux la vérité. Les relations entre les grands pays, elles s'établissent sur la vérité et non pas sur le mensonge », a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse tenue avec son homologue brésilien, Lula da Silva, à Paris. Le président français parle, bien entendu, des relations entre l'Algérie et la France, et demande indirectement aux autorités algériennes de dire « la vérité » sur cette affaire. Le général à la retraite, François Buchwalter, qui était attaché de la Défense à l'ambassade de France à Alger au moment des faits, avait accusé dans sa déposition faite devant la justice française, le 25 juin dernier, l'armée algérienne d'avoir commis une « bavure » qui aurait coûté la vie aux sept moines de Tibéhirine enlevés par le GIA. M. Buchwalter avait précisé que les moines avaient été touchés par des balles tirées d'hélicoptères sur un bivouac censé abriter des terroristes du GIA. Le général Buchwalter a repris ainsi une confidence d'un officier supérieur de l'armée algérienne dont le frère était aux commandes d'un des hélicoptères qui avaient participé à l'attaque. M. Sarkozy affirme qu'il est prêt à lever le secret défense sur tous les documents demandés par la justice française. « J'indique de la façon la plus claire que, naturellement, je lèverai le secret défense sur tout document que nous demandera la justice. Il n'y a pas d'autre façon de faire la vérité, aucune autre façon », a-t-il souligné, affirmant qu'« on ne peut pas dire que l'amitié entre les peuples et entre les pays peut résister aux mensonges. Il faut faire la lumière, il n'y a rien à cacher ». Le président français dit être déterminé à aller jusqu'au bout de cette affaire. Aux déclarations de Sarkozy ont succédé des réactions de la part d'actuels et d'anciens responsables français. Ainsi, Michèle Alliot-Marie a promis, en sa qualité de ministre de la Justice, de mettre « tous les moyens pour mener à bien » l'enquête. Il précise qu'il y aura des « investigations supplémentaires ». De son côté, le ministre français de la Défense, Hervé Morin, affirme n'avoir aucune raison de vouloir cacher quelque chose, précisant que la levée du secret défense dépend plutôt d'une autorité indépendante appelée la Commission consultative du secret de la Défense nationale. L'ancien juge antiterroriste et ex-député de droite, Alain Marsaud, n'a pas été tendre avec les autorités françaises de l'époque. Pour lui, l'affaire de Tibéhirine avait été « enterrée volontairement ». Il estime que l'ensemble des hautes autorités françaises de l'époque étaient complètement au courant de ce qui s'était passé. M. Marsaud a souligné avoir tenté sans succès d'ouvrir une information judiciaire après avoir reçu dès 1996 des informations sur une probable responsabilité de l'armée algérienne dans la mort des moines. L'ancien attaché de la Défense avait assuré avoir adressé à ses supérieurs des rapports détaillés. L'ex-Premier ministre français Alain Juppé, en fonction au moment des faits, s'est défendu, hier, sur les ondes de la radio France info, affirmant qu'il n'y a absolument rien à cacher. M. Juppé se dit entièrement favorable à la levée du secret défense. « Ce fut un drame épouvantable et dès que nous avons appris l'enlèvement des moines de Tibéhirine par le GIA, nous avons utilisé toutes les procédures et tous les moyens pour essayer d'obtenir leur libération », a-t-il indiqué, reconnaissant que « les négociations ont échoué » et « depuis lors, des rumeurs circulent sur l'origine de ce massacre ». Hervé de Charette, alors ministre des Affaires étrangères, a quant à lui complètement réfuté la thèse développée par M. Buchwalter, la considérant comme « une énième version ». S'exprimant sur la chaîne d'informations en continu LCI, l'ancien ministre des Affaires étrangères a rappelé les différentes versions dont il a entendu parler : « J'ai entendu ; ce sont des conflits internes entre les civils et les militaires algériens ; j'ai entendu : ce sont des règlements de comptes menés par les services spéciaux algériens ; j'ai entendu : c'est une action du GI, d'ailleurs c'était la version officielle ; puis on a dit, ah mais non, c'est une action du GIA mais menée par un groupe très spécial conduit par un dénommé Zitouni mais qui est manipulé par les autorités algériennes. Voici donc la quatrième ou cinquième version de ces faits. Moi je m'en tiens à ce que je sais, à ce que j'ai pu voir, et pour le reste, malheureusement, ça restera dans les mystères de l'histoire. » La version du général Buchwalter ne semble pas faire l'unanimité en France. Plusieurs versions contradictoires ont été, effectivement, avancées depuis le massacre des sept moines après avoir été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 dans leur monastère, à 90 km au sud d'Alger. Le GIA avait revendiqué leur assassinat à l'époque. Seules leurs têtes avaient été retrouvées. Du côté d'Alger, c'est toujours le silence sur cette affaire où l'armée est directement pointée d'un doigt accusateur.