La laïcité américaine est relative. Le constat est fait par Blandine Chelini-Pont, docteur en droit et en histoire contemporaine, qui a animé, mardi soir, une conférence au Centre culturel français (CCF) d'Alger, au titre éloquent : «Peut-on parler d'une laïcité américaine ?» Se référant à chaque fois à la tradition laïque française, qui ne peut être généralisée à l'ensemble de l'Europe, elle a remarqué que le principe de la séparation entre l'Etat et la religion a d'abord été appliqué aux Etats-Unis, avant de l'être en France avec la loi de 1905. Cela remonte aux premiers amendements de la Constitution américaine en 1791, la fameuse «Bill of rights». En vertu de cette déclaration, le Parlement n'a plus le droit de promulguer une loi pour «établir» une religion. La liberté d'exercer le culte et la liberté d'expression ont été également consacrées par ces amendements qui visaient à protéger la religion de l'interférence de l'Etat. En France, la laïcité a été instaurée pour protéger l'Etat de l'interférence de l'Eglise. Blandine Chelini-Pont a cité l'historien Alexis de Tocqueville qui avait dit que «la France est le pays des 300 fromages et une Eglise et les Etats-Unis le pays des 300 églises et d'un seul fromage». Selon l'universitaire française, seuls certains pays appliquent réellement cette séparation, à l'image de l'Australie et de la Chine. «En Turquie, cette séparation est relative. L'Islam sunnite est une matière enseignée à l'école publique», a-t-elle relevé. L'Etat américain, d'après Blandine Chelini-Pont, est réellement neutre, le pluralisme des cultes est respecté, mais la liberté religieuse connaît certains excès. «Au nom de cette liberté, la Cour suprême a donné raison à une secte brésilienne d'utiliser la drogue dans ses réunions», a-t-elle noté. Il suffit de se déclarer association religieuse pour bénéficier d'exonération fiscale aux Etats-Unis. «Cela n'a pas manqué de susciter des polémiques, notamment autour de l'église scientologique», a-t-elle noté. Il reste que les Américains sont profondément attachés à la religion. Preuve en est, le serment au drapeau, hérité de l'époque de la guerre froide : «One nation under God» (une nation sous la protection de Dieu), est toujours chanté dans les écoles américaines avec des élèves portant la main sur le cœur et le discours d'investiture présidentielle est marqué par des référents religieux appelant à la protection de l'Amérique. «Beaucoup d'Américains pensent que la main de Dieu s'est étendue sur leur terre. C'est une mythologie d'origine biblique. 95% d'entre eux croient en Dieu et 80% ne voteront pas pour un homme politique ouvertement athée», a-t-elle relevé. Autre fait marquant : «45% des Américains déclarent pratiquer régulièrement leur culte, alors qu'en France la pratique du culte n'est que de 6%», a indiqué la conférencière. La théorie darwinienne sur l'évolution est, d'après elle, toujours mal perçue aux Etats-Unis. Beaucoup de parents s'opposent à son enseignement à l'école. «Cette théorie est qualifiée de diabolique, d'anti-humaine. Les débats sur l'interdiction de son enseignement est cyclique aux Etats-Unis. Il a fallu une jurisprudence fédérale pour interdire l'interdiction», a-t-elle noté. Aux Etats-Unis, la liberté de religion est considérée comme la Première des libertés, «first freedomf. «Ce n'est qu'un mythe. C'est presque un accident puisque l'amendement sur la liberté religieuse était en deuxième position. Il est passé à la première parce que l'amendement qui le précédait a été rejeté», a expliqué l'auteure de Dieu en France et aux Etats-Unis, co-écrit avec Jeremy Gunn et paru en 2005. Contrairement à la France, il n'existe aucun débat aux Etats-Unis sur le foulard islamique ou sur les signes extérieurs de religion. En 2004, une loi adoptée en France interdit aux élèves des écoles publiques de porter des vêtements et des insignes qui manifestent «ostensiblement une appartenance religieuse». Une loi soutenue à 72% par les Français, mais qui a valu à la France des critiques du département d'Etat. Des deux côtés de l'Atlantique, la liberté religieuse est différemment appréciée. Aux Etats-Unis, les signes religieux sont proscrits dans les édifices publics. Cela n'a pas empêché des groupes de vouloir imposer les Tables de loi (Les tablettes de pierre sur lesquelles Dieu aurait gravé les Dix Commandements remis à Moïse) dans les tribunaux. Blandine Chelini-Pont est auteure de plusieurs ouvrages, dont Histoire de l'Eglise (écrit avec Jean Chélini) et de Histoire des relations entre les Etats-Unis et le Saint-siège, 1939-1953. Elle est également directrice de l'Institut de droit et d'histoire religieux (IDHR) à la faculté des sciences politiques d'Aix-en-Provence (France).