Londres et Leeds (Royaume-Uni) De notre envoyé spécial C'est que les Britanniques ont fini par comprendre, à leurs dépens, le danger que représente le terrorisme islamiste. Surtout qu'en l'espace de quelques années, leur pays est devenu le point de ralliement du terrorisme islamiste en Europe. Affublée du surnom de «Londonistan», la capitale britannique était déjà devenue durant les années 90 une sorte de base arrière du terrorisme à partir de laquelle les sponsors du GIA ont notamment pris pour cible l'Algérie. Depuis 2003, la Grande-Bretagne a mis en place, en effet, une stratégie pour faire face à la menace terroriste internationale baptisée «Contest», qui place les islamistes radicaux et les éléments des groupes d'extrême droite sous haute surveillance. Revu et corrigé en mars 2009 et classé «top secret» pendant longtemps avant d'être mis à la disposition du public, ce manifeste du contre-terrorisme, en plus de renforcer de manière significative les pouvoirs des services de sécurité, présente la caractéristique d'impliquer plusieurs institutions ainsi que de larges pans de la société britannique dans la prévention et la lutte contre le terrorisme. Intitulé «Pursue Prevent Protect Prepare», ce document de 174 pages explique qu'il ne suffit pas de poursuivre des terroristes et de les empêcher de commettre des attentats, de protéger le pays en renforçant ses défenses contre le terrorisme et de préparer la population à réagir à un attentat afin d'en réduire l'impact. Selon ses concepteurs, il faut aussi se soucier d'une action préventive afin que des gens ne glissent pas vers le terrorisme ou le soutien à l'extrémisme violent. Cette action préventive — le pan le moins développé de la stratégie élaborée en 2003 — est considérée aujourd'hui par les spécialistes britanniques de l'antiterrorisme comme «la meilleure solution à long terme». Ces derniers précisent que «protéger des individus vulnérables qui pourraient être attirés vers une idéologie violente n'est pas simplement le travail de la police, mais aussi des autorités locales, des écoles et des universités, des communautés locales et de tous ceux qui sont en contact avec eux». Bref, en Grande-Bretagne, tout le monde est enrôlé dans la «guerre contre le terrorisme». Les enseignements des événements du 11 septembre 2001 «Les événements du 11 septembre 2001 et les attentats du métro de Londres, en juillet 2005, qui ont coûté la vie à 52 personnes, nous ont beaucoup éclairés sur la nature du terrorisme. Pour en venir à bout, il est indispensable de jouer sur plusieurs tableaux à la fois», soutient, sous couvert de l'anonymat, un membre du Département du contre-terrorisme au Foreign Office pour qui il est important de ne pas baisser la garde, même si de précieuses victoires ont été remportées contre le terrorisme. La mobilisation reste de mise en Angleterre pour la simple raison que les services de renseignements britanniques s'attendent à une évolution du phénomène du terrorisme. «Nous pensons que les activités terroristes menées sous le sceau d'Al Qaîda seront beaucoup moins importantes, mais à côté de cela, nous nous attendons à l'émergence de nouveaux groupes terroristes. Pour ce qui est de cette année, le gros du danger vient de l'Afghanistan, du Pakistan, de la Somalie, du Yémen et de la région du Sahel», soutient notre source. Concernant particulièrement la lutte contre le terrorisme au Maghreb et au Sahel, notre source révèle que le Royaume-Uni et l'Algérie ont conclu un accord de coopération assez large. «Cet accord est secret. Je ne peux pas en parler. Sachez seulement qu'il s'agit globalement de renforcer les capacités de l'Algérie. En termes d'expérience, le Royaume-Uni peut apporter beaucoup à l'Algérie. Nous affrontons le terrorisme depuis les années 60-70.» Il faut savoir que les services britanniques ont encore dans leur viseur 9 groupes terroristes ou des mouvements classés comme tels parmi lesquels figure en bonne place Al Qaîda. Al Qaîda, l'ennemi public numéro un du Royaume-Uni Un autre membre du Département du contre-terrorisme au Foreign Office explique, pour sa part, la nécessité pour les Etats engagés dans la lutte contre le terrorisme d'encourager les idéologies modérées et de donner le plus possible la parole aux savants de l'Islam pour contrer les islamistes radicaux. «Les extrémistes maîtrisent les nouvelles technologies et utilisent beaucoup internet pour répandre leur idéologie ce qui n'est malheureusement pas le cas des modérés. A ce stade, il est important de savoir que la bataille contre l'extrémisme doit aussi être menée sur internet et à la télévision. Il faut aussi gagner la guerre des idées. Il y a un défi de la communication à relever», a-t-il ajouté. Pour combattre Al Qaîda, l'ennemi public numéro un, Londres a décidé de ne pas lésiner sur les moyens. Récemment, le gouvernement de Gordon Brown s'est même mis à former des imams pour s'assurer que les 1500 mosquées que compte le Royaume-Uni — dont la majorité possède des minarets — ne finissent pas entre les mains de radicaux comme ce fut le cas, il y a quelques années, de la mosquée de Finsbury Park dans laquelle plusieurs dizaines de jeunes musulmans ont été embrigadés avant de servir de chair à canon pour Al Qaîda en Irak et en Afghanistan. Tout le monde paraît s'être passé le mot pour faire barrage aux salafistes qui se déclarent ouvertement favorables au terrorisme. Pour les besoins de ce programme de formation des imams, le gouvernement britannique a autorisé l'ouverture de 28 écoles. «Il est vrai que ‘‘Contest'' est une stratégie de lutte contre le terrorisme qui cible tous les mouvements violents. Une stratégie dans laquelle notre département est pleinement impliqué. A ce titre, nous sommes très attentifs aux agissements des groupes d'extrême droite, mais nous devons quand même signaler que notre principal souci aujourd'hui reste la menace provenant d'Al Qaîda», reconnaissent Masqood Ahmed et Mark Pethick, deux responsables au Département britannique pour les Collectivités locales et les Communautés (Communities and local Governement). Néanmoins, nos deux interlocuteurs ont tenu à préciser, sans toutefois en donner le chiffre, que «les islamistes radicaux ne constituent qu'une petite minorité au Royaume-Uni qui compte près de 3 millions de musulmans». Ils ajoutent également que leur institution veille à ce que la communauté musulmane, majoritairement constituée de Pakistanais et de Bangladais, ne soit victime d'aucun amalgame et que l'Islam ne soit pas stigmatisé. Un fonds doté d'une enveloppe de 12 millions de livres sterling vient d'ailleurs d'être mis en place pour favoriser le dialogue inter-religieux et combattre l'islamophobie et l'antisémitisme. Le Département britannique pour les Collectivités locales et les Communautés auquel il est dévolu, a, entre autres, la lourde tâche de veiller à la «cohésion de la société», abrite une division spécialisée dans la lutte antiterroriste dont l'un des rôles, indépendamment du travail des services de renseignements et de la police, est justement d'inciter les collectivités locales (les élus en particulier) et la communauté musulmane à combattre les idées extrémistes et à isoler les extrémistes. Concrètement, il est attendu surtout des musulmans modérés et de n'importe quel autre citoyen britannique de signaler une personne présentant un comportement suspect ou tenant un discours extrémiste. Repères : – Le Royaume-Uni, officiellement le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, est un Etat d'Europe de l'Ouest créé en 1707. Il est composé de la Grande-Bretagne (Angleterre, Ecosse et Pays de Galles) et de l'Irlande du Nord. – Première démocratie parlementaire, le système politique du Royaume-Uni repose sur une monarchie constitutionnelle, une des plus vieilles au monde. – Au recensement d'avril 2001, la population du Royaume-Uni était de 58 789 194 habitants, soit la troisième de l'Union européenne après l'Allemagne et la France. En deux ans, cette population serait passée à 60,2 millions, due nettement à l'immigration mais aussi à une hausse des natalités. – Près de 3 millions de musulmans vivent au Royaume-Uni. La plupart d'entre eux sont originaires d'Asie. L'Islam est la seconde religion pratiquée dans ce pays. – La communauté algérienne établie au Royaume-Uni est forte de 30 000 personnes. Plus de 1500 Algériens sont bien intégrés dans la société britannique et ont un statut social élevé.