L'hôpital Nedir Mohammed de Tizi Ouzou subit depuis une dizaine d'années les assauts répétés de toutes sortes d'artisans et entrepreneurs qui s'affairent dans des transformations à n'en plus finir. Ils cassent et déplacent des cloisons, ils en créent de nouvelles, ils repoussent les murs et étirent les espaces pour les élargir… le prix à payer pour que cette vieille institution de la santé s'habille enfin du titre de « Centre Hospitalo-Universitaire, CHU ». Il faut, en effet, obtenir des locaux pour accueillir des équipements nouveaux et du matériel d'exploration, notamment radiologique. Il faut également créer des structures nouvelles pour recevoir les spécialités naissantes et mettre à leur disposition les espaces appropriés. Il faut aussi multiplier le nombre de blocs opératoires indispensables aux unités de chirurgie spécialisées qui arrivent. Tout cela nécessite, bien entendu, une extension de l'institution hospitalière. En l'occurrence, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Excepté le bloc des urgences qui a été construit, il y a une dizaine d'années, rien de nouveau n'est apparu et aucune bâtisse récente n'est venue modifier le paysage du CHU, lequel paysage n'a pas changé depuis les années cinquante. Faut-il rappeler que l'hôpital de Tizi Ouzou date de l'époque coloniale ? Il a été construit par les autorités françaises en 1956. En ce temps, il était dans la périphérie de la petite ville des genêts et était doté seulement des principaux services dont sont composés aujourd'hui les hôpitaux des secteurs sanitaires : service de médecine, de chirurgie, de pédiatrie et enfin de maternité et de gynécologie. Faut-il rappeler que l'hôpital Nedir Mohammed de Tizi Ouzou a obtenu le statut de CHU en 1989 ? Vingt ans après, rien de bien consistant n'a été proposé pour que cette institution de la santé puisse honorer les missions et les ambitions qui lui ont été attribuées par son nouveau statut. Assurer les activités de diagnostic, de soins et de prévention ; assurer la formation médicale et paramédicale en collaboration avec la faculté de médecine et l'école paramédicale ; participer aux travaux d'étude et de recherche ayant trait au domaine des sciences de la santé, etc. Pour autant, et en dépit de toutes les triturations et tortures ( !) qui lui sont infligées, cet hôpital « ne peut donner que ce qu'il a ». La loi de la physique est implacable, la structure n'est pas élastique et tenter de l'agrandir en poussant les murs « intra-muros » est illusoire. Cependant, les modifications ininterrompues qui lui sont apportées ne sont pas sans conséquences. Elles se font au détriment des espaces dévolus au malade et aux personnels médical et paramédical. Des services d'hospitalisation ont perdu des lits et des bureaux de médecins ont été sacrifiés pour installer des équipements, à l'instar de ce qui s'est passé dans le service de cardiologie ou dans ceux de chirurgie, d'urologie, etc. Les médecins n'ont plus les espaces nécessaires pour accueillir les malades ou recevoir leurs parents. Les bureaux à l'intérieur desquels ces derniers (les médecins) pouvaient se retirer pour se consacrer à leur travail personnel, de lecture, de recherche, etc., ont disparu. Situation déplorable et déplorée par de nombreux médecins. Bien sûr, le lecteur comprendra qu'il n'est pas dans notre intention d'occulter les progrès réalisés en matière d'exploration et de soins comme il n'est pas de notre intention de dévaloriser ou de ruiner les efforts de ceux qui travaillent à la promotion et au développement de la prestation médicale dans notre wilaya. Nous pensons en particulier au personnel paramédical et aux médecins. Les installations et les équipements nouveaux apportés au CHU sont nécessaires et indispensables et à titre d'exemple, le service de cardiologie, pour ne citer que celui-là, a fait un pas qualitatif appréciable dans la prise en charge du malade avec notamment l'apport des unités de pace maker et celui du cathétérisme cardiaque qui vient, il y a quelques jours seulement, d'être inauguré. Toutefois, force est de constater que ces travaux de réaménagement ont leurs limites et qu'ils apparaissent, au regard de l'allure qu'ils prennent et de leur durée dans le temps, plus comme une gesticulation dérisoire qu'une véritable mise en place de structures (de services) adaptées aux exigences d'une prise en charge rationnelle et efficace du malade et au souci d'être à la hauteur de la mission d'enseignement qui lui est assignée. Est-il possible de donner une autre signification à des travaux qui ont pour seul objectif la création de box dans les services…pour avoir des chambres individuelles ? Est-ce indispensable ? Des cagibis bâtis en PVC, un matériau hideux et froid. La nécessité d'avoir des chambres individuelles ou d'isolement, « normalisées », comme cela doit être dans les services d'hématologie et/ou de maladies infectieuses, montre bien le dérisoire des travaux entrepris dans notre CHU.Quelle signification attribuer à la transformation des salles d'attente situées à l'entrée des services et réservées aux malades en cours d'hospitalisation ou à leurs parents - en bureaux de consultation ? Une petite pièce de moins de dix mètres carrés, quelquefois divisée en deux avec un panneau en PVC pour en « tirer » deux bureaux de consultations qui reçoivent alors simultanément deux médecins et leurs malades respectifs. Une promiscuité qui entrave le colloque singulier médecin-malade et qui hypothèque la sauvegarde du secret professionnel. Des consultations externes dans les services, une ineptie. Des services d'hospitalisation transformés pour la circonstance en véritable souk. Il suffit d'aller le matin dans les services pour prendre la mesure de l'encombrement des couloirs par des malades fatigués et impatients et par des accompagnateurs excédés et quelques fois agités par des attentes interminables. Les consultations externes doivent avoir lieu, et c'est le bon sens qui le dicte, à l'extérieur de l'institution hospitalière ou en tous cas à la périphérie pour mieux gérer non seulement le flux des malades mais aussi le parking. Des travaux qui engloutissent des sommes importantes d'argent… dans la pose de portes en fer à l'entrée des services et dans la pose de centaines de mètres carrés de faïence sur les murs. Pour quel intérêt ? Décidément, beaucoup d'agitation pour une efficacité contestable. Aujourd'hui, cet hôpital est au cœur de la ville et étouffe sous la pression d'une urbanisation croissante qui empêche toute possibilité d'extension. Pis que cela, il est pris en sandwich entre deux axes de circulation encombrés en permanence par un trafic automobile d'une densité extrême, en particulier aux heures de pointe et au moment des visites. L'accès y est presque impossible et les situations d'urgences sont très souvent compromises. Quand au portail d'entrée, chacun a pu constater la grande difficulté à le franchir et le nombre parfois impressionnant de voitures qui y font la file et qui ajoutent au « bouchon ». Le parking à l'intérieur ? Un parcours du combattant pour trouver une place, même pour le personnel qui y travaille. Par ailleurs et parce qu'il a une envergure régionale, le Centre hospitalo Universitaire Nedir Mohammed de Tizi ouzou garantit la couverture sanitaire de quatre wilayas : Tizi Ouzou, Béjaïa, Boumerdès et Bouira, soit 5 à 6 millions d'habitants. Il subit ainsi la charge d'une démographie galopante et d'une population dont les exigences de santé sont de plus en plus grandes et les demandes de soins sans cesse croissantes. De plus, il doit assurer, et c'est un très lourd fardeau, un accueil adéquat aux étudiants en médecine et aux élèves de l'école paramédicale qui viennent en nombre important pour y faire leurs stages pratiques. Le CHU Nedir Mohammed de Tizi Ouzou ! Des ambitions démesurées avec des moyens très limités. Chacun sait aujourd'hui que les missions de soins et d'enseignement qui sont attendues de cette vieille institution de santé ne sont pas remplies comme cela est le cas dans de nombreux CHU qui existent à travers le territoire national. Même si, nous le répétons encore une fois, des progrès ont été accomplis. N'en déplaise à sa direction, nous sommes loin des moyens offerts aux autres hôpitaux universitaires du pays et plus loin encore des prétentions affichées quand il nous est affirmé que cette institution n'a rien à envier aux centres hospitalo-universitaires de la communauté helvétique. Nous croyons qu'il y a là une grosse erreur d'appréciation. Nous croyons aussi que l'erreur devient faute quand on se satisfait d'une situation pour le moins en-deçà des espérances des patients et des exigences exprimées par le corps médical et que les responsables du CHU induisent en erreur les autorités locales en leur faisant croire que « tout est bien dans le meilleur des mondes » pour cette institution. C'était il y a quelques mois, à la réunion de l'exécutif de wilaya consacré à l'état de la santé dans notre région. « Je suis rassuré » aurait confié le Wali, à la suite de l'exposé que le directeur a fait sur l'état du centre hospitalier Nedir Mohammed. Nous venions juste de convaincre le Wali de la nécessité d'inscrire un nouveau projet de CHU pour la région. Pour pallier à l'impossibilité de créer de nouveaux espaces, à l'intérieur de l'hôpital de Tizi Ouzou, l'ancien sanatorium du Belloua a été mis à contribution. Un hôpital qui arbore un aspect désaffecté, il faut le dire, même si quelques dizaines de millions de Dinars ont été investis pour le rafraîchir et le rendre « habitable ». Les bâtiments prennent de l'eau par les sous- sols et ajoutent à la vétusté des lieux. Ici aussi, le PVC a fait son entrée sous forme de cloisons de séparation ou de portes. Cet hôpital, situé sur les hauteurs, à 4 km de la ville, accueille toujours le service de pneumologie.D'autres services sont venus s'installer. Mais parce que les bâtiments ne sont pas toujours adaptés à leurs besoins, parce que c'est loin de Tizi Ouzou et parce que la circulation est encombrée et souvent dangereuse, les personnels de ces unités d'hospitalisation attendent de déménager vers la « structure mère ». Comme cela a été le cas du service d'hématologie qui est venu chasser le service de psychiatrie du CHU Nedir pour prendre sa place. Un mépris pour les malades mentaux. Un crime commis contre la psychiatrie qui a perdu dans l'affaire 45 lits d'hospitalisation. Pour ne plus rencontrer et les regarder, les « fous » ont été jetés du côté de la morgue. Dix lits réservés aux urgences ont été installés dans un sous sol sans lumière et sans fenêtres… avec la bénédiction de la direction qui a autorisé cette infamie et du psychiatre chef de service qui a laissé faire sans réagir. Dans le site Internet du CHU, l'hôpital Belloua est présenté comme « l'avenir du CHU de Tizi Ouzou du fait des possibilités qu'il offre par son extension ». Envisager l'avenir d'un centre hospitalo-universitaire régional en « deux morceaux » — distants de quatre kilomètres et reliés entre eux par un goulot d'étranglement — n'a aucun sens. Cette façon de voir constitue un obstacle à une politique intégrée de la prise en charge du malade et une entrave à la mise en place d'une médecine de liaison, véritable garantie de l'accès à un « soin intelligent et efficace ». De plus, il faudra alors installer les équipements d'exploration dans les deux structures. A moins d'organiser un ballet de véhicules de transport des malades du Belloua vers Nedir pour que ces derniers, les malades, puissent bénéficier des examens complémentaires ou pour accéder à des actes spécialisés ou des soins d'urgence comme ceux effectués, par exemple, en service de réanimation. Au CHU de Tizi Ouzou, on y fait une greffe de rein de temps à autre. On y a même fait, il y a quelques semaines, une greffe de cochlée. En soi deux excellentes choses et des progrès à mettre à l'actif des praticiens qui ont pratiqué ces actes. Malheureusement, les unes et l'autre ont fait l'objet d'un effet d'annonce-propagande digne de l'époque soviétique. Greffe du rein, de la cochlée, des actes qui doivent être réalisés dans des services de chirurgie d'excellence. Un pôle d'excellence à Tizi Ouzou ? Pour la greffe du rein ou du foie, ou de la cochlée… Pourquoi pas ? Mais pas tout à la fois. Des actes de ce genre sont très sérieux. Ils ne doivent pas servir une propagande et être inscrits à l'actif d'une performance individuelle ou d'une politique de santé qui n'est pas capable de prendre en charge correctement les problèmes médicaux élémentaires de la population. Les griefs, en matière d'accueil et de prise en charge des malades, sont nombreux. C'est volontairement que nous ne les évoquerons pas dans ce propos. Les lecteurs apprécieront. Décidément, un nouveau CHU est indispensable pour la wilaya de Tizi Ouzou. Les arguments en faveur sont nombreux. Les élus régionaux (l'APW) et les autorités locales ont été sensibles et ont inscrit ce projet comme un élément fondamental pour le développement de la région. Une assiette foncière a même été dégagée pour l'accueillir. Il reste à convaincre les pouvoirs publics de cette nécessité. Le chef de l'Etat doit venir à Tizi Ouzou. Il semble qu'il va « proposer-offrir » un plan spécial pour le développement de la Wilaya. Beaucoup d'argent y sera investi (?). Le slogan électoral de son désormais ex-président de campagne dans la région était : « voter pour le développement ». Gageons que ce plan spécial, à venir, inclura l'inscription de ce nouveau CHU. L'auteur est psychiatre-Député du RCD