Alors que l'Union pour la Méditerranée (UPM) fête son premier anniversaire, il est impossible d'afficher un satisfecit plein et entier devant ses évolutions générales. « Il serait à bien des égards erroné de dire que le projet d'UPM a vécu. Evidemment, ses avancées demeurent chaotiques et parfois incertaines. Mais il est toujours d'actualité et la plupart des pays du sud et de l'est de la Méditerranée affichent un intérêt certain en sa faveur. Certes, leurs motivations ne sont pas les mêmes que celles entretenues par les porteurs européens du projet ; cela étant dit, pas un Etat Sud et Est-méditerranéen – ou presque – ne prône pour autant une pleine rupture de ses relations avec les Européens. Ce qui permet toujours de croire en une marge de manœuvre exploitable. Il convient néanmoins d'être clairs sur les raisons qui ont provoqué les blocages auxquels nous assistons actuellement. Pourquoi l'UPM donne-t-elle l'impression d'être restée en deçà du processus de Barcelone et de ses objectifs ? Très probablement du fait de la grande ambition entretenue par beaucoup d'Européens devant les potentielles évolutions de ce projet. Ces derniers ont en effet clairement présenté l'UPM comme un tremplin vers une meilleure uniformisation des perspectives dans le sud et l'est de la Méditerranée, exemple de la construction européenne à l'appui. Alors que, de leur côté, les « Sud-Méditerranéens », conscients qu'ils sont de la portée des divergences politiques les entretenant, ne pouvaient concevoir leur inscription dans un espace politico-géographique global, qui plus est du fait d'une seule volonté européenne allant en ce sens. Certes, à quelques exceptions près (celle de l'Algérie, jusqu'à un certain point, et surtout de la Libye), le jeu ne fut pas moins joué par les gouvernants du Sud. Mais il aura suffi d'un seul événement – l'offensive israélienne à l'encontre de Ghaza initiée en décembre 2008 – pour que l'UPM connaisse un premier coup d'arrêt durable, en termes de suivi et de réunion s'entend. Les blocages relatifs à la question de la localisation des secrétariats généraux de l'UPM, qui avaient prévalu dès l'officialisation de ce projet, n'avaient dès lors plus matière à être exploités par les opposants à une bonne consolidation de l'UPM ; avec les questions israélo-arabes en général et israélo-palestiniennes en particulier, on touchait concrètement au cœur du problème. Qui dit blocages en termes de réunion et de suivi ne dit cependant pas pour autant dilapidation pleine des acquis euro-méditerranéens. En témoigne surtout la portée des projets engagés par les Européens dans les espaces sud et est de la Méditerranée, et qui trouvent toujours des preneurs. Qui, en effet, saurait réellement rechigner devant l'injection européenne de fonds en faveur de projets méditerranéens, surtout lorsque ceux-ci n'ont pas pour corollaire absolu une adhésion franche aux horizons politiques souhaités par l'Union européenne ? Bien au contraire, les gouvernements arabes en général ont d'ores et déjà des réponses toutes faites aux revendications que seraient susceptibles de leur faire valoir les Européens. Qu'on les rappelle à l'ordre sur les questions de la démocratie et des droits de l'homme et ils sauront insister sur le scandale que constitue à leurs yeux la main libre laissée à Israël dans son approche de la question palestinienne. Qu'on leur demande de s'en tenir à une délimitation territoriale et frontalière claire (problème du Sahara occidental, tracé de la frontière entre la Syrie et le Liban) et ils ne manqueront pas de rappeler combien il est abusif à leurs yeux de voir l'Etat hébreu perpétuer son occupation de plusieurs terres arabes. Qu'on leur demande de faire des efforts en matière de lutte anti-corruption et ils pourront toujours trouver maints exemples démontrant que les pays européens sont loin d'être vierges en termes de transparences financière et gestionnaire. Comparaison n'est pas raison pour autant, évidemment, et de tels arguments peuvent facilement être assimilés à de simples prétextes cachant mal le refus par les Arabes de toute perspective d'envergure pouvant gommer les spécificités et le leadership régional auquel tous aspirent. Néanmoins, le malaise est bel et bien là, et il convient de le pointer à travers ses réalités. Les « Occidentaux », Européens soient-ils ou non, sont décrédibilisés aujourd'hui, chose qu'ont favorisé pour beaucoup les frasques régionales de l'Administration Bush et l'incapacité de l'Union européenne à leur opposer un contrepoids. Ainsi, le pourrissement de la situation israélo-palestinienne incarne toujours aussi bien un facteur majeur apte à être approprié par les gouvernements cherchant à pointer l'existence de « contradictions occidentales ». Mais quand bien même ce facteur et la question des territoires arabes occupés en général venaient à être sereinement évacués, les Arabes ne trouveraient pas moins d'autres motifs de positionnement. La situation en Irak, et les évolutions iraniennes, en sont les principaux. Mais même s'ils devenaient à leur tour moins fondamentaux, et/ou moins exploitables, les Arabes pourraient toujours à ce moment puiser dans des motifs historiques (histoire de la colonisation européenne, passif en termes de soutien de certains gouvernants régionaux au détriment d'autres suivant les périodes de l'histoire…) et/ou factuels et contemporains autres (différentiels dans les PIB et leurs répercussions sur leur santé économique, politiques de migration européennes particulières…) afin de se plaindre de trop profonds différentiels en la matière. Pour le dire d'une phrase, la faveur des Arabes ne va ainsi en rien à la consolidation de l'UPM. Cela est vrai du point de vue des opinions publiques arabes, qui ne voient à travers ce projet qu'un OVNI qu'ils perçoivent – à tort ou à raison – comme la seule expression d'un Occident cherchant à se donner bonne conscience en créant l'illusion d'un engagement fort et vertueux sans pour autant que ce sentiment soit franc. Et cela est tout aussi vrai concernant les gouvernants arabes, dont les conceptions en termes d'intérêt national demeurent plus fortes que tout projet promu par les Européens. Ainsi, tant que les Européens doubleront leurs aspirations euro-méditerranéennes d'enveloppes financières substantielles, ils trouveront des interlocuteurs prêts à discuter avec eux, même si la symbiose et les accords ne seront pas pour autant au rendez-vous. Par contre, si les Européens venaient à être plus exigeants sur les contreparties politiques qu'ils attendent en retour de leur investissement financier, ils auraient bien des raisons de se voir opposer des fins de non-recevoir franches et durables. La raison en est toute simple : les Arabes voient mal comment composer sérieusement avec une Union européenne qui n'a pas de lignes politique et diplomatique claires, empêtrée qu'elle est le plus souvent dans les contradictions de ses 27 agendas nationaux. Pour autant, que les Européens se retirent franchement, et ils perdront réellement un espace vital présent à leurs frontières tout en laissant encore plus de marge d'action aux Etats-Unis, à la Russie, à la Chine, ou encore à l'Inde ou au Japon. Qu'ils fassent par contre preuve de plus d'investissements, et qu'ils décident d'afficher des principes et une ligne politiques clairs vis-à-vis des espaces Sud et Est méditerranéens, et il en ira très probablement autrement à terme. La cohésion politique a en effet une grande importance ici, mais cela ne va cependant pas non plus sans l'investissement du facteur temps. En l'espace d'un demi-siècle, la construction européenne a avancé, certes, mais sans pour autant que les questions politiques et économiques ne puissent prétendre à l'égalité. On comprend mal comment, dans ce cas, les Européens peuvent, avec toutes ces questions qui les séparent, exiger des Arabes de faire aussi bien, voire mieux qu'eux, qui plus est sur une échelle temporelle réduite.