Au lendemain de la clôture du Festival panafricain, qui a égayé, deux semaines durant, les journées et les nuits algériennes, le temps est au bilan. Et en marge du bilan officiel établi par les autorités, les citoyens, censés en être les premiers « bénéficiaires », dressent de cette quinzaine une évaluation des plus mitigées. Et il semblerait que cet événement, malgré sa pluridisciplinarité, n'a marqué les foules que par son aspect « festif » et musical. Hormis les concerts organisés quotidiennement et qui auront eu le mérite de sortir de leur torpeur et de leur léthargie Alger et les autres villes concernées, les autres activités « n'auront visé que les experts et les avertis », constate Lamia. Cette riveraine de la Grande-Poste, où l'une des scènes était installée afin d'accueillir de nombreux shows, avoue n'avoir vécu ce festival qu'à travers des comptes rendus publiés par les médias. « Par manque d'intérêt pour les programmations, surtout musicales. Mais par peur aussi, car il faut avouer que ça a été l'anarchie la plus totale », explique-t-elle. « Je ne pense pas que les Algériens soient vraiment prêts à accueillir une manifestation de ce type. Preuve en sont les agressions racistes et les attaques qu'ont vécues nos invités africains », estime, quant à elle, Sihem. Pour Fatiha, ces incidents sont « politiques », voulus et pensés dans le but de nuire « au bon déroulement du Panaf', qui dérange ses détracteurs », dit-elle. Cette jeune femme que l'on pourrait appeler une « africoptimiste », tant elle considère cet événement comme une aubaine pour l'Algérie et pour le peuple, qui a ainsi eu l'occasion « de voyager et de côtoyer d'autres cultures, d'autres traditions, des danses et chants folkloriques séculaires ». Les « afroptimistes » et les autres Les Algériens auraient-ils accepté leur « africanité » et se seraient-ils réappropriés cette identité ? « Pas vraiment, car ce sont surtout les artistes locaux qui ont le plus drainé les foules », tempère un quadragénaire. « Mais qu'à cela tienne », rétorque Fatiha. Et de poursuivre : « Des familles entières ont pu se divertir grâce aux spectacles. En temps normal, elles ne peuvent se permettre ce type de distractions, tant financièrement que du point de vue sécuritaire. Les citoyens ont un tant soit peu pu oublier leurs tracas quotidiens. De plus, nous avons su montrer une belle image de notre pays et de nous-mêmes, et ce, de par notre hospitalité légendaire. » Fatiha n'est pas la seule « africoptimiste » à sillonner les rues d'Alger ce matin. A Kettani, même les éléments des forces de l'ordre en poste à proximité de la scène installée sur le front de mer se sont pris de passion pour cet événement. « Ce fut vraiment magistral. Des familles entières envahissaient cet espace la nuit tombée dans une ambiance bon enfant et conviviale. Aujourd'hui même, alors que les manifestations publiques ont pris fin hier, des passants nous accostent pour connaître le programme », affirme un policier. Sur l'esplanade de Riadh El Feth, l'estrade, comme les autres scènes de la ville, n'a toujours pas été démontée, « à cause de l'importance des équipements et du matériel qui appartiennent en grande partie à des étrangers », confie un agent de sécurité. Selon lui, les concerts se sont « globalement » bien déroulés, « mis à part quelques anicroches, bagarres, vols et légères agressions. Mais les spectateurs étaient vraiment heureux ». Un Panaf' « juteux » Mais ceux qui ont le plus profité de ce Panaf' sont assurément les commerçants et autres gérants de cafétérias, qui ont connu, grâce à ces manifestations, une fréquentation hors normes. Certains, à l'instar de l'exploitant d'un salon de thé à Riadh El Feth, confient avoir « engrangé le double des gains habituels ». « Nous restions ouverts jusqu'à deux heures du matin, et avons vu passer des centaines de consommateurs, étrangers et délégations y compris », déclare-t-il, d'ores et déjà nostalgique de cette quinzaine « juteuse ». Cependant, hormis des bénéfices record, que restera-t-il de ce festival panafricain ? « Pour ceux qui y ont assisté et se sont amusés, de très bons souvenirs. Pour les autres, qui n'y ont vu aucun intérêt particulier, pas grand-chose », s'attriste un trentenaire. Et cette « amertume » est partagée par nombre de personnes. Comme ce boulanger âgé de 75 ans, tenant boutique juste en face d'une des scènes musicales. « Un festival qu'aucun autre pays ne voulait organiser, et après ? Des milliards de dinars partis en fumée, alors que des Algériens fouillent les poubelles afin de subsister… et dans quelle finalité ? Pour un peu de prestige éphémère, dont l'effet aura disparu dans quelques jours. »