Boycott. Depuis au moins quatre ans, des campagnes périodiques sont lancées pour inciter les consommateurs à surseoir à l'achat de tel ou tel produit : sardine, poulet, voiture SKD-CKD… Dernière cible de l'appel lancé par l'Association algérienne de protection et d'orientation du consommateur et son environnement (Apoce) : la banane. Un hashtag #khelihlechwada (laissez-le au singe) accompagne des messages postés sur les réseaux sociaux pour dénoncer la brusque hausse de son prix : jusqu'à 800 DA, contre 300 DA/kg quelques semaines auparavant. Pour le président de l'Apoce, Mustapha Zebdi, rien ne justifie une telle flambée : prix mondiaux à la baisse et stabilité du dinar à la banque depuis septembre. La campagne a fait réagir les pouvoirs publics. Un communiqué du ministère du Commerce, rendu public le 25 novembre dernier, au lendemain de la campagne, précise que l'importation de la banane et de la viande en morceaux n'obéissait pas au régime des quotas ou aux licences d'importation. Le ministre du Commerce, Saïd Djellab, précise la démarche de son département : «Le prix de la banane baissera prochainement jusqu'à 250 DA le kilogramme, après l'exemption de l'importation de ce fruit des quotas et des licences d'importation.» «Dans le processus de réhabilitation du commerce extérieur, on a supprimé les licences pour pratiquement tous les produits. Il ne restait plus que deux produits qui sont la banane et quelques types de viande», signale le ministre. Après ces annonces, les prix ont effectivement baissé. «Nous vendons la banane à 320 DA, contre 800 DA il y a quelques semaines. Les clients ne pouvaient pas l'acheter. Il y a eu un boycott avant même l'appel de l'organisation (des consommateurs)», indique un commerçant du quartier Fico à El Magharia (ex-Leveilley, Alger). L'Apoce a relancé, il y a deux jours, sa campagne coup-de-poing sur sa page Facebook, avec les mêmes mots d'ordre et le même mot-dièse. «Le boycott est un outil qu'utilise l'organisation afin de réguler le marché. Les mécanismes de régulation institutionnels sont actuellement défaillants», constate Zebdi, qui assure adhérer à toutes les campagnes «justifiées» qui recourent à cet «outil très redoutable». Initiées par son association, les premières campagnes de boycott lancées en 2012-2013 n'avaient pas eu un grand écho. «Les gens n'y avaient pas adhéré, parce qu'ils ne croyaient pas à la démarche de notre association», estime le président de l'Apoce. Gagnant en crédibilité, l'organisation affirme avoir réussi deux «très grandes campagnes» : appel au boycott de la sardine et de la viande de poulet. Lobbies et absence de corrélation ? «La première, lancée il y a trois ans, a touché la sardine qui était vendue à 700-800 DA le kg. Après une semaine de boycott, le prix est retombé à 200 DA. La deuxième campagne, ce fut la même chose pour la viande blanche en août dernier. Notre action a été là aussi une vraie réussite», rappelle M. Zebdi. Comment arriver à un tel résultat ? L'Apoce a investi les médias, particulièrement les nouvelles chaînes TV, mais aussi les réseaux sociaux. La conférence de presse pour la première campagne sur la sardine «a permis d'aborder l'action, ses modalités et son objectif. Il faut préparer les consommateurs à l'avance sur l'action», signale M. Zebdi. Le choix des produits touchés par les campagnes n'a pas toujours eu l'assentiment des consommateurs. Certains soupçonnent l'organisation de «rouler» pour des lobbies, d'autres encore s'étonnent qu'elle cible certains produits qui sont le monopole des «gros bonnets». «Pourquoi la banane ? Même à 100 DA, les gens ne peuvent pas s'offrir ce produit, qui n'est pas local. Pourquoi ne pas généraliser le boycott aux fruits disponibles localement ou même à d'autres produits, comme les légumes secs, les pois chiches… ?» s'interroge un internaute sur la page de l'Apoce. Le président de cette organisation assure que le choix des produits n'est pas «fortuit». «La banane, pour prendre ce premier fruit comme exemple, est un produit qui permet d'influer sur le cours des autres articles», argue-t-il. Qu'en pensent les commerçants ? Le président de l'Association nationale des commerçants et artisans algériens (ANCA), Hadj Tahar Boulenouar, estime que l'Algérien n'a pas encore acquis la culture du boycott. «La majorité des gens font le contraire de ce qui est demandé. Le lendemain de l'appel, ils se rassemblent dans de grandes files d'attente pour acheter les produits qui devaient être supposément boycottés», sourit M. Boulenouar. Le représentant des commerçants considère qu'il n'y a pas de «corrélation évidente» entre les appels au boycott et la baisse des prix : «Il y a une raison à cette hausse enregistrée périodiquement : l'insuffisance du produit. Parfois, les produits sont en quantité insuffisante et donc vendus à des prix élevés. L'appel conduit les détaillants à ne pas acheter le produit, qui s'est raréfié et donc, automatiquement, les prix augmentent. C'est très vicieux comme système.» L'Apoce n'est visiblement guère sensible aux remarques de ses détracteurs. Un appel pour la collecte d'argent pour pouvoir poursuivre en justice les entreprises autorisées à exercer l'activité de montage automobile, objet d'une campagne de boycott, est lancé. Un post de l'organisation déplore que l'écho soit insignifiant. Que dit la loi ? Rien dans la loi et la réglementation n'interdit les appels au boycott ou le boycott lui-même. Aucun des textes régissant le secteur commercial n'organise cette pratique ou ne prévoit des sanctions contre les initiateurs d'un appel. Toutefois, la loi est contre les pratiques commerciales illicites ou déloyales définies dans la loi n° 04-02 du 23 juin 2004 fixant les règles applicables aux pratiques commerciales. Il est interdit, entre autres, le dénigrement, la discrimination et la publicité mensongère…Pour que cette disposition soit impliquée, toute partie qui se sent lésée doit prouver que l'action est menée par un concurrent de mauvaise foi.