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Une immigration clandestine, jusqu'où ?
Publié dans El Watan le 02 - 05 - 2010

Parallèlement, il faut noter que bien qu'Alger ait ratifié la Convention des Nations unies de 1990 sur les droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille, elle n'est toujours pas d'application effective. Les migrants, même s'ils ont un permis de travail, n'ont pas encore le droit de jouir des droits économiques, sociaux et culturels garantis par la convention. Cette nouvelle norme tend à la fois à protéger et contrôler les migrants ainsi qu'à lutter contre toute immigration illégale. Elle vise la sortie et la circulation des étrangers sur le territoire algérien et remplace l'ordonnance n°66-211 du 21 juillet 1966 devenue obsolète et inopérante pour encadrer la condition des étrangers en Algérie du fait des changements apparus sur la scène internationale et nationale.
La nouvelle loi se veut plus adaptée à la situation actuelle de la migration des personnes, elle vise également à la lutte contre l'immigration illégale, contre les diverses formes de trafics, la criminalité organisée et le terrorisme. A partir des années 1990 et particulièrement en 2000, du fait que l'Algérie soit devenue en quelques années un pays d'immigration tout en continuant à être un pays de transit, les besoins législatifs et institutionnels ont évolué. L'embellie financière et la transformation économique du pays suite au plan de relance de l‘économie nationale et au plan spécial pour le développement du Sud algérien ont attiré beaucoup de migrants subsahariens et d'autres nationalités qui ont tendance à s'installer dans le pays pour y travailler. Pour certains, l'Algérie est devenue une destination finale, soit parce que le voyage jusqu'en Europe, ou le retour chez eux, n'est pas possible. Commence alors la débrouille dans l'illégalité et le travail clandestin, à la merci de diverses formes d'exploitation.
La loi de 2008 pénalise l'immigration clandestine y compris les patrons, les logeurs et les complices qui emploient, hébergent et aident les clandestins. Sur ce plan, la nouvelle législation algérienne s'aligne sur les régimes marocain et tunisien qui aggravent les peines en matière d'immigration clandestine, cette sévérité se veut dissuasive.
Selon les données diffusées par la Gendarmerie nationale, en 2007, dans 1550 affaires, 6988 étrangers ont été arrêtés. Soit une hausse de 2% en termes d'affaires, mais de 13% en termes de nombre d'étrangers appréhendés par rapport à 2006. Outre les villes de l'Extrême Sud, première étape des clandestins africains, les villes côtières de l'Oranie et de l'est en sont particulièrement affectées.
Oran, Tlemcen, Aïn Témouchent, Annaba et El Tarf sont les destinations prisées. Elles offrent l'avantage des courtes distances par rapport aux côtes espagnoles et italiennes. Même Alger n'a pas échappé, à un moindre degré, à la ruée de ces étrangers en transit. Cela continue. Au 1er trimestre de l'année en cours, la GN a traité 547 affaires et interpellé 2379 étrangers en situation irrégulière, soit une hausse de 20% par rapport à la même période de l'année précédente (457). Mais le nombre d'interpellés a diminué sensiblement : 2094, soit 74%. Il a été relevé que des étrangers sont impliqués dans divers trafics.
En réponse à la multiplication des expulsions d'Algériens d'Europe, l'Algérie a signé six accords de réadmission avec la France, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, et plus récemment avec le Royaume-Uni et la Suisse, afin de rapatrier des ressortissants algériens en situation irrégulière.
En 2002, le ministère de la Solidarité nationale a pris des mesures pour insérer les personnes expulsées d'Europe pour séjour illégal au niveau de 26 wilayas. Les résultats obtenus ont permis d'insérer 75% des personnes ciblées dans le dispositif d'emploi des jeunes. L'objectif de ces accords est l'organisation du rapatriement des ressortissants algériens, mais aussi de leur assurer un retour de manière coordonnée et dans la dignité. Les accords de réadmission signés avec les pays européens prévoient l'établissement préalable de la nationalité et de l'identité de la personne à rapatrier, l'assurance d'un retour dans la dignité et l'obligation pour l'Etat européen de reprendre la personne rapatriée en cas d'erreur. Ils prévoient également des procédures de travail et de gestion coordonnée des personnes à rapatrier.
L'immigration étant, dans son sens courant, associée à une idée d'établissement, même temporaire, sur le territoire de l'Etat d'accueil, seules les conditions d'admission dans la Communauté européenne pour des séjours de plus de trois mois seront considérées. Le traité CE distingue d'ailleurs, d'une part dans son article 62 , les séjours d'une durée maximale de trois mois, et d'autre part, dans son article 63, les séjours de plus de trois mois ou «séjours de longue durée», les conditions communes d'admission au court séjour des étrangers relevant de ce qu'il convient d'appeler le «système Schengen». Les trois principales portes d'entrée pour un immigrant étant l'asile, le regroupement familial et l'immigration légale à des fins économiques .
Le droit d'asile
Dans ce domaine, la communautarisation est très avancée. S'agissant de la définition des personnes à protéger, la directive «qualification» du 29 avril 2004 fixe des conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié. Elle prévoit en outre une «protection subsidiaire» au bénéfice des personnes inéligibles au statut de réfugié mais pour lesquelles existent des motifs sérieux et avérés de croire qu'un retour dans leur pays d'origine risquerait de les exposer à la peine de mort ou à une exécution, à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, ou encore à des menaces graves et individuelles contre leur vie du fait d'une violence aveugle.
A ces deux qualifications principales vient également s'ajouter une «protection temporaire» instituée par la directive 2001/55 du 20 juillet 2001 à la suite des événement survenus en ex-Yougoslavie. Cette procédure de caractère exceptionnel assure, en cas d'afflux massif de personnes déplacées en provenance de pays tiers et après décision du conseil, une protection immédiate et temporaire à celle-ci, sans préjudice de la protection classique de demande d'asile ou de celle tendant à accorder une protection subsidiaire. Le débat «vrais»/ «faux» réfugiés : réfugiés politiques et réfugiés économiques est à la mode. Plutôt que d'une mode, il faudrait parler d'une tendance à opérer une classification simpliste selon laquelle les migrants économiques sont des travailleurs et les migrants politiques des réfugiés. Pourquoi ce problème revient-il à l'ordre du jour, au moment où les gouvernements européens mettent en place des politiques restrictives à l'égard de l'immigration ?
A cette conception discriminative vient se superposer, de façon apparemment paradoxale, l'Allemagne de tous les étrangers du tiers monde, qu'ils soient demandeurs d'asile ou migrants, amalgame alimenté des peurs et des fantasmes qui tendent à se développer dans l'imaginaire social sous la forme de phrases de café du commerce : «Si on ne ferme pas les portes, ''ils'' vont tous arriver».
Le regroupement familial
Il concerne les titulaires d'un titre de séjour d'au moins un an dans un des Etats membres et qui ont une possibilité réelle de rester durablement peuvent demander le regroupement familial. Seuls le conjoint du regroupant et les enfants mineurs du couple se voient reconnaître par la directive un droit au regroupement qui est en revanche laissé à l'appréciation discrétionnaire des Etats pour les ascendants, les enfants majeurs et le partenaire non marié. L'Etat d'accueil pourra par ailleurs demander au regroupant de disposer d'un logement conforme aux normes générales de sécurité et de salubrité, d'une assurance maladie, de ressources stables pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille, et enfin de se conformer aux mesures d'intégration prévues par le droit national.
L'immigration légale à des fins économiques
A la suite du programme de La Haye, adopté par le Conseil européen les 4 et 5 novembre 2004, qui liste dix priorités pour renforcer l'espace de liberté, de sécurité et de justice dans les cinq ans à venir, la Commission a adopté un «programme d'action relatif à l'immigration légale». Celui-ci propose prudemment, s'agissant des conditions d'entrée et de séjour de ressortissants de pays tiers à des fins économiques, l'adoption de quatre directives sectorielles concernant exclusivement les travailleurs hautement qualifiés, les travailleurs saisonniers, les personnes transférées au sein de leur entreprise et les stagiaires rémunérés. Dans tous les cas, l'admission serait en outre subordonnée à la détention d'un contrat de travail et à un examen par l'Etat membre de ses besoins économiques. Il faut dire que les ardeurs de la commission ont été nettement refroidies par l'échec de la proposition de directive, qui poursuivait l'objectif d'une harmonisation beaucoup plus large de l'immigration économique. Plusieurs Etats, notamment le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Autriche, la France et le Danemark ont jugé cette proposition contraire au principe de subsidiarité, au motif qu'elle ne se contentait pas de fixer des règles générales mais qu'elle visait dans le détail les différentes procédures qui permettent à des ressortissants de pays tiers d'entrer sur le territoire d'un Etat membre .
Au final, le bilan législatif européen reste pour l'instant assez mince ; tout juste peut-on signaler la directive 2004/114 du 13 décembre 2004 qui vise à rapprocher les législations nationales relatives aux conditions d'entrée et de séjour des étudiants, et la directive 2005/71 du 12 octobre 2005 qui entend faciliter l'accès des chercheurs au territoire de l'Union. Quant à la légitimité des expulsions collectives effectuées à Lumpedusa a fait également l'objet d'un examen de la part de la Cour de Strasbourg. Déjà, dans une lettre de mai 2005, le président de la troisième chambre de la Cour européenne des droits de l'homme avait indiqué, en application de l'article 39 du règlement de la Cour, qu'il est préférable, «dans l'intérêt des parties» et au bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser onze immigrés du territoire italien.
L'année suivante, la Cour s'est prononcée sur la recevabilité d'un recours introduit par des immigrés, faisant partie d'un groupe de personnes arrivées à Lumpedusa avec des embarcations en provenance de la Libye, et accueillis dans le centre de rétention temporaire de l'île ainsi que dans d'autres centres situés dans la sud de l'Italie, et qui avaient fait l'objet d'un décret d'expulsion entre mars et avril 2005. Invoquant l'article 4 du protocole n°4, ainsi que les articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, les requérants se plaignaient du risque de subir une expulsion collective vers la Libye ou d'autres pays de rapatriement, où le respect des droits de l'homme n'aurait pas été assuré, et alléguaient n'avoir pas fait l'objet de mesures judiciaires d'expulsion, de sorte qu'ils avaient été dans l'impossibilité de dénoncer, au niveau national, les violations dont ils estimaient être victimes .
A la lumière de l'ensemble des arguments des parties, la Cour a estimé que le grief posait de sérieuses questions de fait et de droit qui ne pouvaient être résolues à ce stade de l'examen, mais nécessitaient un examen de fond, et a donc déclaré le recours recevable. Cette prise de position de la Cour de Strasbourg, suite à une analyse tant des rapports internationaux que des arguments soutenus par le gouvernement italien, témoigne d'une forte préoccupation en ce qui concerne les modalités de gestion de cette politique d'externalisation et notamment le respect des droits fondamentaux.
D'autre part, on retrouve le cas de Mohamed El Bakri qui est exemplaire des situations juridiquement insolubles et humainement dramatiques. Né au Maroc en 1960, il est venu en France alors qu'il avait douze ans, avec sa mère, ses deux sœurs et son frère pour y rejoindre son père qui avait immigré quelques années auparavant et travaillait alors comme maçon. Il quitte l'école à seize ans, fait un stage de tourneur, mais ne trouve pas d'emploi. Après une période d'inactivité, il devient manœuvre dans le bâtiment avec son père, puis manutentionnaire en intérim, enfin coursier sur des contrats à durée déterminée dont le dernier remonte à 1988 ; depuis lors, il est resté sans travail. A vingt ans, il rencontre une jeune femme française d'origine algérienne avec laquelle il aura quatre enfants, tous français eux aussi, mais avec laquelle il ne s'est jamais marié ; elle n'a pas de qualification professionnelle et travaille occasionnellement comme femme de ménage.
C'est également autour de sa vingtième année qu'il commence à se droguer. Il fait plusieurs séjours en prison pour vol et trafic de stupéfiants. A vingt-huit ans, il apprend qu'il est séropositif. Parallèlement, sa situation juridique s'est progressivement dégradée. N'ayant pas fait les démarches nécessaires pour prendre la nationalité française à dix-huit ans, comme il en avait la possibilité, il fait l'objet d'une interdiction de séjour pour revente de drogue. N'étant pas suivi pour son infection en raison de son absence de protection sociale et de sa peur de se faire dénoncer s'il va à l'hôpital, il développe une forme grave de sida et meurt à trente-cinq ans, sans avoir pu recouvrer un statut juridique. Des problèmes liés au respect des droits de l'homme s'imposent également concernant les mécanismes de contrôle mis en place dans les pays d'origine de flux.
Le processus de coopération avec les pays de la rive sud de la Méditerranée vise à prévenir les départs des migrants, en incitant les pays concernés à renforcer les contrôles et à démanteler les réseaux de trafiquants qui sont, dans la plupart des cas, les facilitateurs des traversées. Or, cette stratégie pourrait également constituer une violation grave des droits de l'homme, au cas où elle empêcherait de présenter une demande d'asile car des procédures d'asile ne sont pas accessibles dans la plupart des pays en question. Le soutien au renforcement de ces dispositifs serait du moins douteux du point de vue des droits de l'homme, car les aspirants à la migration seraient détenus dans des conditions inhumaines et subiraient des traitements dégradants dans ces pays. Les conditions «extrêmement difficiles» dans lesquelles se trouvent les migrants dans certains pays d'Afrique du Nord ont d'ailleurs été décrites par le détail par plusieurs organismes internationaux et ONG dans des rapports qui ont eu un vaste écho, amorçant le débat sur les dangers et la légitimité des politiques d'externalisation.
Mais le résultat paradoxal de la répression exercée par les Maghrébins, dont l'Algérie, contre les migrants subsahariens, c'est qu'elle se retourne d'abord contre leurs propres enfants. C'est parce que les pays maghrébins ont durci «la chasse aux migrants» que les Algériens ne peuvent plus utiliser les passages fonctionnels et moins dangereux dans les pays voisins et qu'ils ont donc été amenés à prendre plus de risques en partant depuis l'Algérie dont les itinéraires sont plus dangereux. Si les Marocains ont fait du zèle jusqu'à aller tirer en octobre 2005 sur les migrants subsahariens à Ceuta et Melilla, près de 1000 de leurs jeunes sont aujourd'hui détenus dans des conditions moyenâgeuses en Libye qui, selon un rapport de la Frontex (l'Agence européenne des frontières extérieures chargée de la lutte contre les migrants et qui ne peut être soupçonnée d'hostilité aux pays qui l'aident dans sa tâche) détient plus de
60 000 migrants prisonniers.
Il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas parmi eux des Algériens, comme tendraient à le confirmer les témoignages recueillis sur le terrain auprès des migrants. On sait d'ailleurs qu'il y a eu des familles qui ont saisi le gouvernement à propos de morts suspectes au large de la Tunisie et de la Libye. Mais cette participation des pays maghrébins à la répression tue aussi des enfants maghrébins. Ainsi, si la Libye obtient et demande des moyens pour traquer les migrants, le nombre de morts s'accroît : sur le seul canal de Sicile, passage privilégié des Maghrébins et des Algériens, le nombre de morts, qui était de 302 en 2006, a atteint le chiffre de 502 rien que dans les 9 premiers mois de 2007 et, bien sûr, parmi eux beaucoup de Maghrébins et d'Algériens. Cette réalité macabre que révèle le phénomène des immigrés clandestins en Algérie remet les choses en place : les Maghrébins qui font la police pour l'Europe ne sont pas du bon côté du bâton, même s'ils jouent à l'oublier.
Alors qu'elle se félicite de la chute du mur de Berlin, l'Europe pousse les pays du Maghreb à inventer le crime d'«émigration illégale» alors que du point de vue du droit international, ce qui est criminel, ce n'est pas le fait, pour un individu d'émigrer, c'est le fait pour une autorité publique de tenter de l'empêcher. La Déclaration universelle des droits de l'homme proclame le «droit de quitter tout pays, y compris le sien». Pourtant, toutes les études tendent à prouver que d'une part, ces flux sont minimes y compris par rapport à d'autres sources de migration (les Latinos-Américains, les Européens de l'Est ou les Asiatiques surclassent les Maghrébins et les Subsahariens, objets de tous les fantasmes d'invasion sont encore bien infimes comparés aux Maghrébins) et que d'autre part, la répression est contreproductive. Le verrouillage des frontières tend à accroître la pression migratoire aux portes de l'Europe et la sédentarisation aléatoire de ceux qui ne peuvent plus repartir car, plus on ferme les frontières, plus les migrants s'installent alors que plus on les ouvre comme on l'ai fait depuis 1991 à l'est de l'Europe, plus ils circulent.
B. B. N. : Universitaire
Bibliographie :
* Ali Bensaâd, Harraga / Hagarra : le binôme du désastre, quotidien El Watan , 16 mars 2008.
* Abdelkhalek Berramdane, Jean Rossetto, La politique européenne d'immigration .
* L'immigration dans l'Union européenne, Christine Bertrand.
* Migrations méditerranéennes Rapport 2008-2009, Consortium pour la Recherche
Appliquée sur les Migrations Internationales (Carim) :
– La dimension juridique des migrations,
Azzouz Kerdoun.
– La dimension politique et sociale des migrations, Hocine Labdelaoui .


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