Elles sont trois à être seules sur scène à Avignon ! Est-ce une première ? Peut-être ! Outre Zohra Aït Abbas, deux autres femmes algériennes tiennent le haut de l'affiche. L'Alsacienne Nouara Naghouche, avec son spectacle en solo Sacrifices, en refusant du monde. Cri de femmes majuscules, elle y sort sans limites de son origine maghrébine par cercles concentriques, pour décrire une société française complexe. Avignon : De notre envoyé spécial Des siens, Les Déracinés féminin pluriel, à tous ces autres qui composent la France d'aujourd'hui, elle parle de racisme, de mariages forcés, de la violence au quotidien vécue par les femmes. Bien encadrée depuis plus de deux ans par une équipe solide, elle est sûre qu'on entendra parler de cette comédienne. Plus sensible encore par les thèmes dérangeants abordés avec un humour corrosif, Faïza Kaddour présente Le Frichti de Kaddour. Pour parler de l'oppression féminine avec humour elle a créé une adolescente, mariée en Kabylie avec un émigré plus âgé qu'elle. Rebelle, elle va s'éveiller à la vie avec tout ce que cela peut supposer de levée des tabous et contraintes… en conciliant l'inconciliable : là d'où elle vient et sa destinée occidentale. Zohra Aït Abbas : « Comment je suis arrivée là » Zohra Aït Abbas dégage une exceptionnelle charge émotionnelle. Son spectacle Comment je suis arrivée là est un récit poignant sur l'exil. Dès les premiers mots, le décor est planté, déchirant : « Je suis arrivée en France en 1952, j'étais jeune, j'avais 21 ans. Ce jour-là, je ne savais pas que je ne reverrai plus ma mère, mes sœurs et mes frères. » Le spectacle de Zohra Aït Abbas doit tout au hasard des rencontres et des événements de la vie. Danseuse et enseignante de danse dans une compagnie, à Alès (Gard), elle animait avec une amie conteuse des soirées contes avec les femmes du quartier : « Des femmes majoritairement kabyles, de 20 à 75 ans », nous dit-elle. « Un soir, la conteuse n'est pas venue et j'ai pris le relais. Plutôt que de conter, je leur ai demandé de me raconter comment elles étaient arrivées là, en France. Leurs histoires étaient très douloureuses. Faute de subvention, la compagnie a été dissoute, et on s'est retrouvées sans travail. J'ai décidé alors d'écrire l'histoire de ma mère et de ma tante, avec tout ce collectage de la « mémoire de ces femmes. » Ainsi est né ce projet qui a déjà tourné dans quelques villes en France et qui fait escale au festival off à Avignon pour quelques jours (du 8 au 28 juillet) : « Le spectacle, je l'ai écrit pour ceux qui ont tellement supporté dans la déchirure d'avoir quitté le pays. Il y a la mémoire de ma mère mais pas seulement, car je me suis senti le devoir de rendre hommage à toutes les femmes dont chaque cas est unique, mais aussi la vie des hommes. Donner la parole à ces femmes, à ces exilées, inclure leurs soucis, leurs joies, leurs chants, cela me paraissait utile. » Son texte est d'autant plus fort que rien n'est inventé : « L'exil n'est pas l'eldorado, et je brosse une histoire de ces familles migrantes dont certaines ne sont plus jamais retournées en Algérie. A ma vieille tante que je cite à la fin du spectacle, je demandais pourquoi elle ne voulait pas partir en Algérie après toutes ces années. Elle me répondait avec ces mots maladroits : « J'ai peur qu'ils m'aient oubliée là-bas. Chaque année je me dis que je vais y aller, mais j'ai peur. Si j'y retourne, c'est pour mes vieux jours et mourir dans mon village ». Zohra explique comme cette femme était bloquée dans ce qui pourrait s'assimiler à un auto-bannissement. « C'est triste. Il y a une dame, elle est repartie à 82 ans, après plus de 40 ans sans revoir le pays. Elle est morte là-bas, à 92 ans. » Ainsi, discrètement, est posée la question de ces Algériens et de leur descendance qui, laissant le temps les submerger et les anéantir, n'ont plus de lien avec le bled. Dans ce contexte désespérant, elle réussit à montrer les moments de joie, les peines, les difficultés, le racisme, le rejet, et la nostalgie du pays lointain : « C'est la force qu'on retient d'eux, et que j'ai voulu retranscrire. » Pour faire passer le tout, elle glisse des pointes d'humour : « Dans notre culture, on raconte les choses dramatiques avec dérision pour que ça passe, on n'a pas besoin de psychologue. Les femmes riaient tout le temps en racontant leurs déconvenues. Elles sont comme ça. » L'accueil du public est différent selon les origines. Pour les Maghrébins, nous a-t-elle expliqué, « il y a beaucoup de ressenti. La première fois, il y a avait deux cents femmes. C'était pour elle un bouleversement, elles ne s'attendaient pas du tout à se voir là à nu sur la scène. J'ai eu très peur de leurs réactions. Au contraire, elles m'ont donné beaucoup d'amour, elles pleuraient, elles riaient en retrouvant sur scène leur histoire, notre histoire. A chaque phrase presque, elles applaudissaient. A la fin elles étaient en larmes, j'avais de gros sanglots dans la salle ». Les Français, eux, selon elle, « apprennent beaucoup. Ils restent dans la retenue même lorsqu'ils pourraient rire, de peur d'être déplacés. Ils se disent cela nous concerne nous, est-ce qu'on peut rire de ça. Une fois, une dame de plus de 70 ans est venue en larmes sur mon épaule, me disant : "Excusez-moi, je ne savais pas". Elle ressentait de la culpabilité. Je lui ai dit, adressez-leur juste un sourire, et vous serez accueillie merveilleusement. Beaucoup me disent que désormais ils regarderaient les femmes arabes différemment. Là, je me dis que le message est passé ». Zohra Aït Abbas, née en France, n'a pas revu l'Algérie depuis longtemps. Son montage scénique l'a convaincue de rentrer bientôt. Ce sera en septembre. « Cela va être un gros choc pour moi. Je me dis qu'après tout va s'enchaîner et j'y partirais régulièrement par la suite. Jouer mon spectacle en Algérie, c'est aussi un rêve car c'est aussi important que les Algériens sachent ce qu'ont vécu les exilés. » Une nouvelle mission ? Kad Merad, l'Algérien Kad Merad renoue pour la première fois avec ses racines algériennes dans son prochain film, en cours de tournage à Marseille. Mais c'est par le biais italien… Le comédien d'origine algérienne par son père (sa mère est du Berry) va interpréter un homme qui préfère oublier d'où il vient en se composant un personnage d'Italien. Le film qui pose avec humour un réel problème identitaire, s'intitule pour l'instant L'Italien. Il est réalisé par son compère de toujours, Olivier Barroux (de Kad et Olivier). C'est le deuxième long métrage qu'ils font ensemble depuis Safari, après que Kad Merad eut raflé le pactole de la célébrité avec Bienvenue chez les ch'tis, de Dany Boon (un autre comédien français dont le père est Algérien, mais qui a enfoui cet atavisme sous des couches d'indifférence apparente). Nous avons contacté la production du film qui n'a pas souhaité, pour l'instant, nous ouvrir la porte du tournage. Ce n'est que partie remise, nous a-t-on promis. En tout cas, dans le quotidien La Provence, seul à disposer de l'information, et qui a assisté à des prises de vue, Kad Merad, Mourad dans le film, « se protège de la bêtise ambiante sous un vernis méditerranéen », en l'occurrence italien. Pour le réalisateur, dans les mêmes colonnes, « le film raconte l'histoire d'un homme englué dans le mensonge… Il mène une double existence. Il a deux identités pour fuir son quotidien de Français d'origine algérienne et il ment tout le temps ». Pour expliquer cette dérive, il pense qu' « on ne donne pas tous les moyens à ceux qui souhaitent s'intégrer ». Kad Merad, quant à lui, sait ce qui l'a attiré dans le projet : « La possibilité de traiter de façon légère un sujet qui ne l'est pas et qui me suit depuis que je suis né. » L'intégration, mode de « désemploi », ce sera un peu le thème d'un film qui devrait à sa sortie faire débat… après avoir fait rire.