En effet, revenir à la réalité pour apprécier, après le recouvrement de notre souveraineté nationale, l'impérieuse nécessité de sa contribution sincère et honnête à la préparation de l'avenir et à la consolidation des acquis de cette magnifique Révolution. L'UGEMA prend ses responsabilités Aujourd'hui, nous allons revisiter cette glorieuse épopée, celle de la participation effective et ô combien concrète de notre jeunesse – représentée par sa classe instruite ou intellectuelle – à la lutte de libération nationale. Nous n'allons pas philosopher sur l'opportunité de cette décision irrévocable de quitter les bancs de l'université et des lycées, pour rejoindre les rangs du FLN et de l'ALN. Cette décision qui a connu, en son temps, et qui soulève présentement certains points de vue, voire quelques jugements essentiels de la part d'anciens dirigeants, sera versée à l'Histoire qui, elle, saura dans la sérénité et la sagesse expliquer le bien-fondé de cette volonté de quitter les études pour rejoindre le maquis. Quoi qu'il en soit, l'élan irrésistible de la révolution a drainé toutes les couches de notre population, principalement la jeunesse et les étudiants, qui n'ont pas hésité un instant à répondre à l'appel de la patrie… Et c'est cela que nous allons développer pour les jeunes qui doivent connaître convenablement leur passé et en faire une saine émulation, afin de gérer pleinement leur avenir. Leur participation donc s'inscrivait dans la continuité de la lutte à travers un long processus de décolonisation qui poussait de toutes ses racines. On comprenait également que les jeunes, ces combattants de la liberté, allaient donner à notre lutte de libération sa justesse et son ampleur, parce qu'ils voulaient démontrer que ce n'était pas, comme le clamaient les colonialistes français, simplement un mouvement insurrectionnel, mais un juste combat pour le recouvrement de la souveraineté nationale. Ainsi, en l'espace d'une année de lutte, ces jeunes qui ont contrarié les ambitions des grands chefs de la colonisation, depuis l'idéologue Prévost-Paradol jusqu'au ministre de l'Intérieur de l'époque, François Mitterrand, qui se targuaient de fonder cet «Empire méditerranéen» et d'équilibrer la «troisième nation-continent» autour de la «métropole», ont continué d'enregistrer de nombreux succès, qui n'ont fait que renforcer leur audience par leur engagement dans la fournaise de la lutte de libération. Ces jeunes, en fait, à travers leur participation effective et consciente, ne pouvaient plus «être vaincus et rejetés dans le statut colonial», pour reprendre une phrase éloquente d'un historien. Cette brève rétrospective pour ce qui a caractérisé l'entrée de la jeunesse dans la révolution confirme son attachement aux axes prioritaires qui ont fait que notre indépendance a été acquise par tant de sacrifices… Oui, tant de sacrifices car, ensemble et à pleine gorge, ils ont crié à la face des colonisateurs : «Avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres !» C'était l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) qui a confirmé, après que son «assemblée générale» l'eut votée à l'unanimité, la grève générale des cours et des examens.«A quoi serviraient-ils, ces diplômes qu'on continue à nous offrir pendant que notre peuple lutte héroïquement…? Il faut déserter les bancs de l'université pour le maquis ! Il faut rejoindre en masse l'Armée de libération nationale et son organisation politique, le FLN.» L'UGEMA s'exprimait ainsi par son «Comité directeur». Et c'est cet appel qui a permis à des centaines de jeunes étudiants de rejoindre le maquis et de démontrer par-là que «cet engagement dans la lutte de la jeunesse intellectuelle symbolise de façon éclatante l'unité nationale qui se forge». Et aussi, comme l'affirmait Henri Alleg, «pour les combattants, eux aussi très jeunes, qui voient arriver ces étudiants, c'est la preuve que la ville, que tout le pays est désormais avec eux». Ces jeunes étudiants ont engagé leur organisation en accentuant son action et ses prises de position, car, comme l'affirmait Mohamed Seddik Benyahia : «l'orientation générale en ces débuts, c'était d'apporter un soutien politique au FLN et de s'afficher officiellement comme étant pro-FLN. A l'époque, c'était très important, ce qui explique certaines prises de position publiques de la part de l'UGEMA qui, tactiquement au niveau de la lutte contre le colonialisme français, pouvaient apparaître comme étant des erreurs, mais qui, en fait, ont été des décisions voulues. Parce que le plus important à l'époque, c'était de montrer que le FLN représentait la masse des Algériens. Et ce qui est encore plus important, c'est de montrer aussi que les intellectuels étaient pour le FLN, donc avec la révolution…» Même les lycéens et les écoliers étaient de la partie… Dans ce combat libérateur, les étudiants n'étaient pas les seuls à honorer la jeunesse algérienne. Il y avait les lycéens, la majorité des lycéens qui, conscients à cet âge du drame que vivait l'Algérie, sont entrés sans hésitation dans le combat juste que menaient leurs aînés. Meriem Belmihoub n'était que lycéenne lorsqu'elle a rejoint les rangs de l'ALN. Elle allait retrouver d'autres jeunes filles, les Saleha Djeffal, Safia Bazi, Fadhela Mesli et de nombreuses autres jeunes filles… Saci Boulefaâ, Zerrar Abdelkader, Ahmed Ghebalou dit H'amimed, et d'autres de la Médersa d'Alger n'étaient que des lycéens lorsqu'ils ont déserté les bancs avec, dans le cœur cette farouche volonté de participer à la lutte pour vaincre un ennemi qui avait longtemps opprimé notre peuple. Egalement, les Abdelmadjid Cherif, Mohamed Salah Mentouri, Benyamina Abdelwahab, Rachid Bouabdallah, Abderrezak Bouhara et d'autres jeunes de cette même trempe n'ont pas hésité un seul instant à choisir le maquis plutôt que cette vie de «potache» où ils ne pouvaient plus entendre dire que «nos ancêtres étaient les Gaulois», que «la Méditerranée traverse la France comme la Seine traverse Paris» et que les Arabes ont été vaincus à Poitiers par Charles Martel. Tous ceux-là n'ont pas hésité à crier leur réprobation devant un système qui n'avait rien d'humain, parce que trop humiliant et sans aucune morale. Ainsi, ils ont rejoint l'ALN où s'exprimait la volonté du peuple. Aujourd'hui, à l'heure des bilans, on ne peut s'aventurer à dresser une liste exhaustive de ces jeunes qui ont répondu à l'appel du FLN, on ne peut compter tous les martyrs qui sont tombés «libres», face à l'ennemi. Notre mémoire défaillante ou plutôt leur nombre éloquent risque de nous faire commettre des impairs. Cela est d'autant plus vrai puisque le lycée Amara Rachid, qui porte le nom du jeune chahid, étudiant en médecine, ancien élève de cet établissement, ne peut jusqu'à l'heure actuelle, recenser tous ses disparus qui ont rejoint le maquis, tellement ils étaient nombreux. D'autres établissements à travers le territoire national ont aussi éprouvé du mal à le faire. Le mouvement de l'UGEMA ne s'arrêtait pas qu'au niveau des étudiants et des lycéens. Le 1er octobre 1956, les écoliers algériens n'ont pas rejoint les classes. Eux aussi, conscients du problème et poussés par leurs parents, ont déserté les écoles pour ne laisser dans les salles de classe que les fils de colons ou les rares enfants de «collaborateurs» ou d'inféodés. Parallèlement à cette mobilisation générale et permanente face aux manœuvres de propagande utilisées par les colonialistes, ces jeunes devenus si vite adultes, parce que confrontés tôt à des choix d'homme, sont partis grossir les rangs de l'ALN. Nos enfants à cet âge-là savaient quelle était leur armée, quel était leur pays. Aucune action psychologique ne les a empêchés de réussir la grève scolaire, «de lancer tous les jours des chansons satiriques sur les talons des patrouilles françaises, de faire le guet pour les moudjahidine et les fidayine, autour des camps, en jouant innocemment aux billes, et enfin de servir d'agents de liaison». Cette idée de dissoudre l'âme du peuple algérien, en frappant sa jeunesse, n'était pas nouvelle. Du temps du Cardinal Lavigerie jusqu'au régime de Vichy, plusieurs tentatives de jésuites et d'officiers français ont été opérées pour, d'une part, «franciser» ces jeunes, et, d'autre part, les intégrer dans ces sections musulmanes au niveau d'un groupement paramilitaire qu'on appelait les «compagnons de France». Aucun résultat. Aucune organisation n'a pu réussir à dépersonnaliser la jeunesse algérienne, pas plus que toutes ces écoles où on enseignait une langue, une histoire et une géographie étrangères. Ils se sont comportés en héros Commissaires politiques, agents de liaison, soldats, infirmiers, médecins, agents des transmissions, professeurs dans les écoles de cadres de l'ALN ou représentants de la révolution à l'étranger, les jeunes se sont engagés dans la vie militante avec toute leur ardeur, leur intelligence et leur fidélité. La grève générale a été bénéfique à plus d'un titre. Elle n'a pas seulement anéanti la conception colonialiste de l'«intellectuel-francisé-coupé du peuple», mais elle a permis aussi à un grand nombre de jeunes et d'étudiants de devenir des militants éprouvés et des cadres valeureux sur lesquels la Révolution pouvait compter. Les jeunes Algériens, qui ont brisé les barrières de la peur et du doute, n'en étaient que plus ardents dans le combat qu'ils menaient à l'image des martyrs, comme Benbatouche Allaoua, les disparus, le cas de Abdelkader Belarbi et les condamnés à mort, l'exemple de Abderrahmane Benhamida. Le bilan de leurs actions a été extrêmement positif. «Ils ont montré qu'on pouvait affronter victorieusement, dans une lutte à mort, la formidable puissance d'un régime colonial, installé depuis de longues, de sombres et douloureuses années», écrivait El Moudjahid (N° 27 du 22 juillet 1958). L'année 1956 ne se termina pas sans montrer au monde entier la détermination de nos jeunes, et, par ailleurs, les atrocités de l'armée dite «de pacification» qui, pour répondre aux offres de paix du FLN – la 2e offre a été faite par le biais d'une déclaration au journal Le Monde, le 16 septembre 1956 – opposait une singulière conception de reniement du problème algérien. Ainsi, la position française n'avait pas changé d'un iota depuis la déclaration de François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur et celle de Robert Lacoste qui se disait «socialiste» et qui parlait du «dernier quart d'heure». Ce en quoi, un de nos jeunes répondait avec la perspicacité et l'ardeur qu'on connaissait à cette frange de notre population. Il écrivait ainsi dans l'éditorial d'El Moudjahid : «Persistez dans vos erreurs et vous aurez, à coup sûr, votre Diên Biên Phu. Nous ne désespérons pas, à notre tour, de faire revenir la France à une conception plus saine, plus juste et plus conforme à la réalité. Cela exigera sans doute une lutte plus longue, plus difficile et plus meurtrière. De toute notre âme et de toutes nos forces, nous nous y préparons. Les jours qui viennent en convaincront peut-être Lacoste et consorts qui, pour la paix de leur mauvaise conscience, tournent délibérément le dos aux réalités.» Les jeunes du monde se solidarisent avec les jeunes algériens Le combat de nos étudiants, de nos lycéens, bref de toute notre jeunesse, doit être mieux conté, et en d'autres circonstances que celles-ci, car comme le disait, à juste titre, un éminent historien : «La jeunesse algérienne a démontré, au cours de sa lutte, une grande leçon d'humanisme à l'humanité toute entière. N'en témoigne que la solidarité des jeunes du monde à son égard.» Juillet 1957, une importante délégation d'étudiants algériens devait représenter l'Algérie à Moscou au Festival mondial de la jeunesse et des étudiants. Djelloul Baghli, le représentant de l'UGEMA, Mohamed Khemisti, Redha Bensemane, Larbi Mekhalfa, et autre Abdelhamid Ferdjioui, dirigeaient l'importante délégation qui allait expliquer le combat légitime du peuple algérien. Du 2 au 8 février 1958 au Caire, se réunit le 1er Congrès de la jeunesse d'Asie et d'Afrique. Une délégation des étudiants algériens était présente. De plus ce 1er Congrès afro-asiatique, qui a mandaté le délégué algérien pour parler au nom de toute l'Afrique, a adopté une série de résolutions spéciales dont l'une, la principale, consacrait le combat légitime de l'Algérie. Du 7 au 10 décembre 1958 à Colombo (Ceylan), le comité exécutif de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD) a examiné avec soin la situation de la jeunesse algérienne et adopté une motion importante. Il a en plus octroyé des bourses à nos étudiants et une aide financière au profit des jeunes réfugiés. Ce même comité exécutif a envoyé un message à l'ONU, un message courageux et fougueux, en voici le texte : «Le comité exécutif de la FMJD, qui reconnaît le GPRA, réaffirme le droit du peuple algérien à l'indépendance et exige l'ouverture des négociations entre le gouvernement provisoire algérien et le gouvernement français…» Ainsi, une situation politique et diplomatique nouvelle, impulsée par l'activité intense de l'UGEMA, venait de se créer pour l'Algérie combattante. L'organisation menait, tambour battant, ses activités officielles, lors de toutes les manifestations internationales, sous la houlette de délégués chevronnés qui sillonnaient le monde. Alors, dans sa haine, le régime colonial, pour subtiliser à ces jeunes ce qui leur restait de la liberté d'expression, allait jusqu'à dissoudre leur organisation, l'UGEMA, le 28 janvier 1958. Cela n'a pas empêché, bien sûr, l'organisation d'activer clandestinement à l'intérieur et, ouvertement, à l'extérieur, là où les conditions de travail et de militantisme lui ont été offertes. Les jeunesses du monde, pour la plupart, imbues de sentiments progressistes et d'idéaux avant-gardistes, n'ont pas baissé les bras, ils sont partis plus loin dans leur solidarité en refusant le diktat colonialiste et en dénonçant énergiquement les actes arbitraires dont étaient victimes les jeunes Algériens dans leur pays. En effet, la Coordination des unions nationales occidentales (COSEC) a convoqué, de son côté, une Conférence internationale extraordinaire des étudiants pour «étudier la dissolution de l'UGEMA» et donc pour se dresser contre cet acte arbitraire et antidémocratique. Cette conférence s'est tenue à Londres les 17 et 18 avril 1958 et a regroupé 23 unions nationales venues d'Europe, d'Amérique du Nord et d'Amérique latine. L'Assemblée mondiale de la jeunesse (WAY) s'est réunie en août 1958 à New Delhi, en présence d'une délégation algérienne, et devait elle aussi prendre une résolution qui stipulait : «Indignée par la situation de la jeunesse algérienne, victime d'une répression féroce, vivant dans un état d'insécurité permanent et privée des libertés les plus élémentaires, condamne violemment la guerre coloniale en Algérie et les atrocités perpétrées dans le pays par les forces coloniales… Elle lance un appel pressant à toutes les organisations nationales et internationales pour qu'elles œuvrent par des moyens appropriés à la fin de la guerre d'Algérie.» La solidarité de la jeunesse mondiale ne s'est pas arrêtée là. De nombreuses autres organisations nationales et internationales ont adhéré au combat des jeunes Algériens, y compris l'UIE (l'Union internationale des étudiants) et les étudiants français aux côtés de plusieurs autres progressistes parmi les intellectuels. L'UNEF, l'Union nationale des étudiants français, a pris une position sérieuse et s'est rangée du côté du droit et de la justice ; n'était-ce pas une bonne position, à travers ce communiqué : «Alors que la guerre oppose cruellement deux jeunesses, l'UNEF et l'UGEMA entendent montrer aussi que le dialogue est possible et qu'il est seul susceptible de mettre fin à la guerre coloniale d'Algérie et d'aboutir à la paix.» C'est un extrait du communiqué commun rédigé à Lausanne le 6 juin 1960. Cette modeste rétrospective historique – nous n'avons pas tout dit, bien sûr – montre que notre jeunesse n'a pas volé les éloges que le monde entier tenait à lui faire. Sa détermination au combat lui a valu ces titres de noblesse et ces qualificatifs qu'on ne formule qu'aux authentiques combattants de la justice et de la paix. Car, réussir à faire voter par plusieurs organisations nationales et internationales des motions et des résolutions claires, percutantes, avant-gardistes, amener les jeunes du monde à crier, à la face du colonialisme, leur refus de la politique annexionniste et impérialiste, mettre les étudiants et les intellectuels devant leurs responsabilités, afin de se prononcer sur les actes qu'il était impossible de taire, leur demander d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés, au nom du peuple français, c'est une performance digne des enfants de Novembre qui ont juré de rester debout, devant le plus abject et le plus sale régime de répression. Voilà ce qu'a engendré le 19 mai 1956, ce jour où des forces juvéniles ont décidé d'infliger à l'ennemi des revers sur les plans militaire et diplomatique… – Ancien membre du Conseil national de la jeunesse. Ancien ministre et ambassadeur