Le Parc national de Gouraya (PNG) et toute sa périphérie forestière sont menacés par l'avancée destructrice du béton mais aussi par les effets néfastes d'industries dangereusement polluantes. Béjaïa. De notre envoyée spéciale En plein cœur de ce parc, étalé sur une superficie de 2080 km2 et entouré par plus de 600 hectares de forêt, trois importantes carrières d'agrégats et une décharge publique asphyxient l'atmosphère, tuent à petit feu la faune et la flore et contaminent l'air au point de devenir la principale cause du nombre élevé de cas d'asthme, de bronchite et de dyspnée qui sont des maladies caractéristiques de la pollution atmosphérique. L'imprenable vue sur la baie, tout le long de la route sinueuse de Boulimat, est à couper le souffle pour les automobilistes. Pas pour sa beauté, mais pour les odeurs qui agressent les narines et la poussière qui irritent les yeux. Un vrai désastre. Sur les lieux, le décor est chaotique. Un immense nuage blanc s'élève des carrières et enveloppe tout le massif forestier. Elles sont au nombre de trois, ETR, SNTP et l'Enof, des entreprises publiques qui ont multiplié l'extraction ces dernières années dans le cadre de la réalisation du projet d'un million de logements. Leur exploitation date d'avant la création du PNG, mais leurs effets dévastateurs sur la nature sont visibles à l'œil nu. Les arbres ont perdu leur couleur verte pour apparaître sans vie, sur un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Des études récentes menées par le parc montrent que la carrière d'Adrar Oufarnou, exploitée par l'Enof sur une superficie de 4 ha, produit annuellement 250 000 m3 d'agrégats, ce qui légalement la soumet à une étude d'impact sur l'environnement qu'elle n'a pas effectuée. Le décret 88-149 du 26 juillet 1988 portant nomenclature des installations classées, stipule que les capacités d'exploitation égales ou supérieures à 150 000 tonnes par an doivent être soumises à ces études. L'étude scientifique du parc a permis de mettre en évidence « la prédominance de particules très toxiques qui peuvent pénétrer plus profondément dans le système respiratoire et atteindre les alvéoles ». Elle cite de « fortes agressions subies par le site du fait de la destruction et de la modification du paysage et des positions et dimensions des stocks de matériaux » et précise que l'impact sur la qualité d'une telle exploitation se situe au niveau des matières en suspension... En face, un interminable panache de fumée grisâtre s'échappe de la décharge publique. Du haut de cette route, les falaises sont recouvertes de détritus jetés dans la nature. Des tessons, des agrégats, des cannettes, des bouteilles en plastique, des déchets ménagers parsemant le flanc de la route et des sachets en plastique accrochés aux branches des arbres défigurent totalement la beauté de ce site féerique, alors qu'une procession de camions fait la chaîne pour déverser quotidiennement des tonnes de détritus et de déchets ménagers non triés dans un immense cratère qui dégage une odeur asphyxiante. Notre présence sur les lieux dérange les nombreux jeunes qui vivent de la collecte. Les déchets, une autre agression criminelle contre la nature Ils se montrent agressifs et nous somment de quitter l'endroit sous peine de représailles. Ces plaies à ciel ouvert qui défigurent totalement le site ne sont pas les seules à menacer son existence. Les forestiers affirment que 90% des incendies qui ravagent cet espace sont causés par la décharge. Les gaz que celle-ci laisse échapper provoquent des étincelles fatales pour les arbres. Tout au long de l'été, les gardes-forestiers et la Protection civile sont en alerte parce que les risques d'incendies sont ici multipliés. La semaine écoulée a été très pénible pour eux eu égard aux nombreuses interventions d'extinction de feux de forêt. Des feux qui pourraient avoir des incidences très graves si jamais ils venaient à prendre de l'ampleur. Le mont forestier de Gouraya est fortement habité par une population qui n'est ni rurale ni urbaine. Les constructions ont été réalisées sans prendre en compte les mesures de sécurité nécessaires en matière d'incendie de forêt. Dans ces villages, les gens n'ont pas prévu d'issues d'évacuation, de sources d'approvisionnement en eau et les consignes de sécurité en matière de feu de forêt sont inconnues. Pour remédier à cette catastrophe écologique, les autorités ont engagé un projet de création d'un centre d'enfouissement technique de déchets ménagers à Sidi Boudrahem, sur une superficie d'une trentaine d'hectares. Ce projet a enregistré un retard à cause de l'opposition exprimée par la famille révolutionnaire : les moudjahidine craignent que le site soit un cimetière des martyrs. Mais une opération de fouilles menées avec l'aide d'anciens de la région n'a rien révélé et, à ce jour, la réalisation du centre n'a pas encore été lancée. Pourtant, des études scientifiques réalisées par le PNG indiquent que l'atmosphère polluée de la décharge perturbe le fonctionnement métabolique des végétaux. En plus de la pollution atmosphérique qu'elle engendre du fait des émanations de gaz hautement toxiques comme le dioxyde de soufre (SO2), le dioxyde d'azote (NO2), l'ozone (O3), le dioxyde de carbone (CO2) et autre particules issues de l'incinération quotidienne de déchets, la décharge engendre de graves problèmes de santé aux habitants des villages limitrophes et détruit progressivement le patrimoine faunistique et floristique de la région. A la périphérie du parc, le domaine forestier est agressé quotidiennement. En quelques années seulement, plus de 700 habitations illégales ont été érigées à Sidi Boudrahem, dans le cadre de l'autoconstruction par les citoyens, sans que les autorités locales ne réagissent. Sur une superficie de 631 ha, une centaine est déjà défrichée et construite. Elle abrite aujourd'hui un quartier de 10 000 habitants que les autorités ont fini par fixer en introduisant l'électricité, l'eau et le gaz sans qu'aucun d'entre eux n'ait réglé le problème de la propriété du fait que tous les terrains font partie du domaine forestier. Si certains d'entre eux ont réalisé leur maison avec des permis de construire en bonne et due forme, l'écrasante majorité a construit, parfois sur plus de trois étages, sans aucun document légal. Une situation de fait accompli qui ne cesse de prendre de l'ampleur du fait qu'elle continue à s'étendre pour ronger de grandes surfaces plantées d'arbres qui couvrent le flanc ouest du parc. Aujourd'hui, toutes les bonnes volontés des scientifiques et agents du PNG pour la défense de cet espace naturel sont vouées à l'échec face à ces plaies qui le gangrènent au vu et au su de tout le monde. Le parc est vraiment en danger et attend un acte salutaire pour être sauvé d'une mort certaine, lui qui est pourtant protégé par une loi qui le met théoriquement à l'abri de toute menace.