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« Il faut un observatoire du crédit aux ménages »
Belkacem Boukhrouf. Universitaire, consultant formateur en management et en marketing
Publié dans El Watan le 02 - 08 - 2009

Le gouvernement algérien vient de décider la fin du crédit à la consommation. Comment peut-on analyser économiquement une telle mesure ?
Tout d'abord, il faut noter que ce genre de décision constitue une atteinte assez prononcée au droit à la consommation. On ne peut aucunement interdire à une personne de contracter une dette, de quelque nature que ce soit, dès lors qu'elle signe un contrat et s'engage à honorer les responsabilités qui en découlent. Puis, le crédit à la consommation est une fonction économique qui booste aussi bien les investissements que l'innovation et la croissance. L'Algérie, dont le marché est d'une dimension réduite, ne peut souffler qu'à travers une dynamique de consommation importante. Dans le cas de la décision prise, il y a du bon comme du mauvais : il est évident que cette mesure vise, selon l'objectif avoué du gouvernement, à protéger le consommateur d'un excès d'endettement qui risque de paralyser les ménages. Il n'est pas souhaitable que la grande part des consommations soit préfinancée et les consommateurs soient « contraints en liquidités ». Cela renforce la vulnérabilité des ménages et crée un excédent structurel de l'épargne tant les achats importants nécessitent des encaisses de départs importants. Mais l'interdiction pure et simple du crédit à la consommation risque de produire des effets pervers sur l'activité économique, surtout dans la sphère bancaire. Le timing de cette décision est un peu mal fait : la crise financière actuelle a produit une désinflation qui s'est traduite par une baisse des prix de la plupart des produits, notamment manufacturés (voitures, équipements électroménagers, etc.). Etant connue pour sa tendance importatrice, l'Algérie aurait pu, au contraire, encourager la consommation pendant cette période, donc octroyer plus de crédit pour ce faire. Je pense qu'il aurait été mieux d'encadrer le crédit à la consommation en redéfinissant les contours juridiques et techniques de cette activité. C'est d'autant important qu'il constitue une activité importante des banques notamment celles privées. Et fondamentalement, en consultant les bilans des banques et leurs comptes rendus, il n'y a aucune indication sur un éventuel taux important de non-remboursement ; ce qui est un bon indicateur. Autant alors laisser cette activité continuer tout en l'observant. D'ailleurs, il faudrait songer à se doter d'un observatoire du crédit aux ménages pour analyser, contrôler et orienter ses tendances actuelles et futures. Il reste aussi à savoir si le débat actuel sur la sécurité routière n'a pas pesé, tant cette décision vise surtout la limitation des crédits automobile.
Il s'agit peut-être là d'une des conséquences directes de la crise mondiale sur l'économie algérienne. Qu'en dites-vous ?
Toute décision est le résultat d'un contexte et celle-ci en a un, mais qui n'est certainement pas la crise financière. Il serait maladroit de spéculer sur les raisons profondes, puisque le gouvernement ne semble pas attacher une importance aux motifs. En réalité, le gouvernement veut limiter la facture d'importation qui prend l'ascenseur et dont il n'arrive pas à cerner les raisons. Une telle décision, aurait-il pensé, réduirait le montant. Mais ce qui est omis, c'est que le problème en Algérie est celui du pouvoir d'achat. Au lieu d'agir sur les importations, le gouvernement agit sur la consommation et c'est là que le cycle est faussé. C'est aussi paradoxal, surtout quand on entend le même gouvernement dire vouloir encourager une dynamique de production nationale. Ce sera difficile si l'on considère que la consommation est le vivier principal pour une telle dynamique. La crise aurait été une aubaine à l'Algérie en encourageant des investissements et en renflouant la consommation pour éviter un ralentissement.
Il faut dire que le pays reste dangereusement dépendant des recettes pétrolières. Nous exportons pour moins d'un milliard de dollars hors hydrocarbures. Cela dénote-t-il la faillite du gouvernement en matière de politique économique ?
Les capacités de l'Algérie à construire une économie compétitive sont, à moyen terme, limitées. Nous sommes une petite économie à forte dépendance aux matières premières (gaz et pétrole) et la réticence à ouvrir l'économie, à se libérer des entreprises budgétivores accentue le manque de lisibilité de ce que le gouvernement veut faire. Jusqu'aux concepteurs de la fameuse « stratégie industrielle », personne n'a jusque-là saisi la portée de ce qui est dit. Les réformes s'éternisent et se compliquent, le bilan des « plans de relance » relève de l'utopie et, entre temps, les recettes s'amenuisent. L'absence de vision est perceptible du fait qu'on a indexé tous les plans à la durée des mandats présidentiels, ce qui est un non-sens en termes stratégiques tant les secteurs de l'activité économique n'obéissent pas à la même allure de croissance et ne peuvent donc être soumis à des plans exclusivement « quinquennaux ». Il n'y a pas de recettes miracle : il faut libérer l'initiative nationale en termes d'investissements, sauter les verrous bureaucratiques et en finir avec ce paternalisme économique qu'il ne faut nullement confondre avec le patriotisme économique qui est une attitude plus claire et responsable et qui est plus l'émanation des consommateurs et des producteurs que l'Etat lui-même.
Est-il possible qu'au vu de la dernière mesure du gouvernement, le pays connaisse une dégradation sur le plan du climat des affaires ?
Le climat des affaires est déterminé par des indicateurs clairs que le pays doit améliorer. Certes, ces mesures inexpliquées et incompréhensibles – que le gouvernement a prises beaucoup plus par prudence – réduisent l'attractivité du marché algérien, mais le climat est déjà dégradé, donc cela en rajoutera seulement. Le climat des affaires se régule et la prudence est nécessaire et même salutaire. Le gouvernement s'attache à en finir avec les entreprises parasites, mais il se tromperait s'il considère que ce sont seulement les étrangères d'entre elles qui le sont.


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