Une nouvelle forme de consommation des biens durables s'intègre progressivement dans les habitudes des ménages algériens, c'est le crédit à la consommation. Voiture, logement, appareils électroménagers, outils informatiques, meubles, tout s'achète aujourd'hui à crédit. La principale couche sociale ciblée par cette méthode d'acquisition de biens durables est celle constituée par les ménages à revenu moyen qui y voient une aubaine, un moyen facilitant l'accès à des produits habituellement réservés à des couches plus aisées. Mais dans cette aubaine que constitue le crédit à la consommation, il y a le revers de la médaille, et c'est le surendettement. Les consommateurs se trouvent en proie à des charges de dépenses supplémentaires fragilisant leur capacité à faire face à différentes formes de dépenses quotidiennes. Pour l'achat d'une voiture ou d'un logement, le consommateur se voit tenu de rester endetté et son salaire partagé avec la banque prêteuse des années durant. La Banque d'Algérie estime à 40% le taux des crédits octroyés par les banques qui vont vers le crédit à la consommation. Plus de 200 milliards de dinars ont été injectés en 2006 dans le portefeuille des crédits au logement et à la consommation. Et dans ce magma de crédits, l'absence de mécanisme de protection des consommateurs risque de mettre les débiteurs dans une situation de surendettement, donc d'appauvrissement. Le crédit à la consommation est l'attrape-nigaud de l'Algérien qui veut consommer in Le passage à l'économie de marché n'a pas été sans influence sur la mentalité algérienne, et surtout sur les modes et habitudes de consommation. Youcef Benabdallah, chercheur au Centre de recherche en économie et développement, explique cette nouvelle tendance de consommation par, d'abord, l'effet psychologique entraîné par l'ouverture du marché. Après la période de pénurie vécue par l'Algérie, l'Algérien aspire à consommer in à l'instar du consommateur européen ou des voisins marocains et tunisiens. Autre facteur entraînant la consommation à crédit, l'installation exagérée d'un certain nombre de crédits, dans le continuum de progression de l'économie algérienne, « c'est-à-dire qu'aujourd'hui les crédits à la consommation ont tendance à se développer plus rapidement que les autres crédits comme le crédit à l'investissement ou le crédit à l'exploitation. Si vous avez un crédit à la consommation qui se développe plus que les autres crédits, cela veut dire que c'est un crédit qui participe à la subvention aux importations et à la production étrangère ». Nul ne peut nier que les produits proposés à la consommation sont des produits importés et fabriqués ailleurs qu'en Algérie. Cet état de fait est qualifié de tendance dangereuse pour l'économie nationale par le professeur Benabdallah qui plaide pour le renforcement du crédit à l'exploitation et créateur de richesses. « Tout le monde possède un téléphone portable, mais combien d'utilisateurs savent que le service que leur offre cette technologie est payé par la nation en devises. Lorsque vous téléphonez, c'est chiffré en devises, certains opérateurs sont étrangers et donc sont obligés de transférer leurs revenus à l'étranger », indique M. Benabdallah qui place cet exemple sur le cas de l'automobile, de l'électroménager ainsi que d'autres produits que les Algériens trouvent si facilement avec la possibilité de les acheter à crédit. L'aspect du surendettement est aussi un mal qui guette le consommateur par crédit. Pour le chercheur du CREAD, le crédit à la consommation fonctionne tel un attrape-nigaud « devant l'électroménager, la voiture et les biens d'équipement en général, les ménages, surtout moyens, perdent leur esprit de rationalité en adoptant des attitudes extrêmement optimistes par rapport à leur capacité de rembourser le crédit ». Notre interlocuteur pense qu'on est déjà dans un scénario de surendettement des ménages, puisqu'ils procèdent à un transfert d'une grande partie de leurs dépenses sur le remboursement du crédit. « Ce sont des ménages qui revoient carrément la structure de dépense de leurs revenus, et je pense que les postes essentiels de leur consommation, c'est-à-dire l'éducation de leurs enfants, la consommation et la santé de leurs enfants prennent un coup », dira Youcef Benabdallah en qualifiant ce transfert de « faire du pique-assiette au profit des bailleurs ». Le professeur en économie donnera l'exemple d'un père de famille touchant 20 000 DA par mois, ayant à sa charge une famille de 5 personnes, et dont le salaire est amputé de 40% chaque mois, parce qu'il vient d'acheter une voiture à crédit : « Cette personne va avoir une voiture qui va engendrer à son tour des dépenses supplémentaires. Donc, sa structure de dépense va complètement être déformée. Ce qu'il donnait pour subvenir aux besoins de sa famille, il va le transférer vers la voiture. » Dans un tel cas, l'irrationnel prend le dessus pour assouvir un besoin qui risque d'absorber des dépenses destinées au départ à des besoins essentiels. Pour cet éminent spécialiste de la chose économique, la clé de régulation du crédit à la consommation réside dans le renforcement du crédit à l'exploitation et l'investissement. Les pouvoirs publics doivent sont tenus, dit-il, de limiter la proportion du crédit à la consommation par rapport au niveau de crédit global. « Il est vrai que le consommateur reste libre de sa décision de contracter un crédit, mais comment se projette-t-il dans le futur, comment projette-t-il son revenu, comment estime-t-il sa capacité de rembourser ? », s'interroge M. Benabdallah estimant qu'une action pédagogique doit être engagée vis-à-vis des ménages afin de leur montrer quelles sont les conditions d'un endettement et quelles sont les possibilités de se faire piéger par cet endettement. Autre mesure qui s'impose, dira l'économiste, c'est la création de mécanismes de protection des consommateurs, « le meilleur mécanisme, c'est peut-être de relever le niveau des revenus qui auront accès au crédit ». Soulignant que cette mesure peut paraître injuste vis-à-vis des revenus moyens qui aspirent eux aussi à jouir de biens d'équipements nouveaux, Youcef Benabdallah estime plus grande encore l'injustice de les laisser tomber dans le piège d'une banque au détriment de ce qui est essentiel pour eux et pour leurs enfants. Fragilisation de la balance des paiements Outre les effets directs sur les ménages à travers un surendettement inévitable, le crédit à la consommation, qui n'est pas accompagné de création de richesse, peut agir sur la balance des paiements en la fragilisant. « Sur le plan macroéconomique, ce qui se passe ailleurs n'est pas semblable à ce qui se passe chez nous. Aux Etats-Unis ou en Europe, le crédit à la consommation redynamise l'économie par la consommation. Redynamiser, c'est-à-dire créer de l'emploi et faire de la croissance économique, et éventuellement dans le long terme redistribuer les fruits de la croissance à ces mêmes ménages qui sont endettés », explique M. Benabdallah. Ce dernier note que, dans le cas de l'Algérie, le schéma est tout autre puisque le crédit à la consommation vient dynamiser l'importation avec des effets très probables sur la balance des paiements. L'économiste n'hésite pas à tirer la sonnette d'alarme pour dire que la situation d'aisance financière, dont jouit aujourd'hui l'Algérie, risque de basculer vers un seuil critique de déséquilibre de la balance des paiements. « L'Algérie a d'excellentes recettes pétrolières mais il n'est pas improbable que dans 10 ou 15 ans, on se retrouvera avec une balance des paiements qui aura des difficultés à se rééquilibrer », précise l'analyste économique en notant qu'une des causes principales de ce déséquilibre réside dans le transfert vers l'étranger des revenus des opérateurs installés en Algérie. Ne visant pas les investissements directs étrangers (IDE) créateurs de richesse, l'économiste estime que les pouvoirs publics doivent réfléchir à un moyen d'obliger les opérateurs, qui se contentent de vendre leurs produits en Algérie, à s'installer en bonne et due forme pour créer de la richesse. « Si on prend l'exemple de l'automobile, il n'y a aucune perspective pour qu'un constructeur installe une usine d'assemblage en Algérie, on continue à importer certaines marques de voitures du Maroc, alors que le marché algérien est nettement supérieur au marché marocain », dira l'économiste en s'interrogeant sur les intentions réelles de ces opérateurs. « Il faut qu'on sache comment ces opérateurs anticipent le marché algérien et comment les pouvoirs publics analysent cette situation. Est-ce juste une période de transition avant que les opérateurs viennent s'installer en bonne et due forme ou alors est-ce qu'ils sont là juste pour avoir leur part de la rente. Si c'est cela, alors ce serait la pire des choses qui puisse nous arriver, car on risque de retomber dans le même phénomène des années 1980, c'est-à-dire la dilapidation d'une ressource rare. »