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Rives de références
Publié dans El Watan le 23 - 10 - 2010

Voilà longtemps que Christiane Chaulet-Achour a quitté l'Algérie sans pour autant abandonner le territoire des belles lettres algériennes et les vastes espaces des littératures de langue française. Cette année, cette universitaire, exerçant depuis 1994 à Paris, a coordonné deux ouvrages stimulants.Le premier, Itinéraires intellectuels entre la France et les rives sud de la Méditerranée1, se veut une invitation au voyage des êtres et des mots. Donnons quelques aperçus d'une vingtaine d'itinéraires personnels qui se sont enrichis de l'Autre, croisant langues et cultures entre les deux rives.
Le destin tragique d'Isabelle Eberhardt est bien restitué, de même que sa fortune controversée en Algérie où elle est parfois regardée comme une espionne de Lyautey, alors qu'il n'existe aucune preuve l'attestant. Théodore Monod, scientifique doublé d'un croyant, «chercheur d'absolu», a trouvé dans le Sahara (surtout mauritanien), la flore, la faune et aussi des hommes confortant sa «vérité spirituelle». JMG Le Clézio a rencontré le désert marocain, source thématique de ses romans, mêlant fiction, histoire et discours anticolonial. L'approche de Mouloud Mammeri s'avère instructive car elle articule œuvres modernes et défense de la culture kabyle ancestrale, symbiose duelle de toute sa vie.
L'amitié littéraire des poètes Jamel-Eddine Bencheikh et Jean Sénac ne s'est jamais démentie et a été au cœur de leurs créations respectives, avec talent et émotion. La figure de Fanon, dont la pensée a été plus ou moins éclipsée en Algérie indépendante pour d'inavouables enjeux politiques, rayonne toujours et demeure actuelle en ces temps de guerres de mémoires autour du passé colonial. La parole de Pierre Bourdieu, que ce soit par le biais de son fameux Sociologie de l'Algérie ou ses collaborations avec Sayad ou Mammeri, reste une référence.
Leïla Sebbar s'est réappropriée dans une trilogie romanesque une Sherazade métisse et rebelle qui n'est guère – jusqu'à la graphie – la Shéhérazade conteuse et prisonnière des Mille et Une Nuits. Le peintre Ali Silem (dont un tableau orne la couverture du livre) célèbre un autre peintre d'Algérie, Atlan, précurseur de l'Ecole du Signe. Etiemble, en Egypte en 1944-1948, est une révélation, dans un pays où la francophonie était bien implantée avant de disparaître après 1952. Jacques Berque, dont le centenaire de la naissance, en 2010, est passé inaperçu, a su observer les métamorphoses de l'Algérie.
Sartre préfacier demeure controversé pour ses présentations d'un livre de Memmi et de Fanon, reflètant son idéologie politique, sa littérature militante et sa philosophie en action. Barthes et le monde arabe est instructif : la rencontre en Egypte de Greimas est déterminante sans sa quête sémiologique. Il se situe, sans engagement, dans le camp des indépendantistes durant la guerre d'Algérie, visite le Maroc et la Tunisie qui ne sont pour lui que sensualité d'un voyageur du Nord perdu. Le parcours triangulaire de Gisèle Halimi (avocate du FLN, féministe et écrivaine) paraît imbriqué lorsqu'on analyse ses romans, Le Lait de l'oranger et La Kahena.
Enfin, les écrivaines libanaises, Andrée Chedid et Vénus Khoury-Ghata, vivent à Paris dans et par la langue française, tout en nourrissant leurs nostalgies du pays natal arabe. Toutes ces études se révèlent fort utiles, puisqu'elles offrent un maximum d'informations souvent peu connues. Si elles renferment parfois des affirmations discutables ou sans démonstration, elles sont instructives et invitent à une découverte plus enrichissante des hommes et femmes et de leurs œuvres-vies.
Le deuxième ouvage, Dictionnaire des écrivains classiques francophones2, est une somme bien originale. L'ouvrage comprend trois textes introductifs qui tentent de justifier le titre : une préface de Bernard Cerquiglini, recteur de l'Agence universitaire de la Francophonie, un avant-propos de Jean-Marc Moura, spécialiste de la théorie postcoloniale et une présentation par Chaulet-Achour signée avec sa collaboratrice Corinne Blanchaud. L'intitulé se révèle, en effet, des plus problématiques. Si le mot «écrivain» (rédacteur d'œuvres de fiction) est à différencier du mot «auteur» (écrivant sur d'autres sujets), la place de Frantz Fanon est ici méritoire car il convient de relire sa pensée culturelle approchant la littérature.
Cependant, qu'est-ce qu'un écrivain francophone classique et quelle est sa spécificité par rapport à un écrivain de France, particulièrement quand ils se retrouvent parfois ensemble dans les mêmes dictionnaires, genre littéraire très usité en France ? Dès les années 1950, avec l'apparition de littératures de l'ex-empire colonial français, on distinguait déjà les lettres de l'Hexagone (Belgique, Suisse et Québec inclus) des littératures «connexes» issues des pays ou régions «ayant le français en partage», selon la définition du terme francophonie inventé par le géographe Onésime Reclus (1880).
Avec la décennie 1970, coïncidant avec l'émergence de la francophonie politique, l'université française sépare la littérature de France de celle produite par les auteurs nés hors de France, y compris cette fois-ci la Belgique, la Suisse et le Québec à l'exception notoire – pour des arguments historiques compréhensibles – d'auteurs célèbres, tels les symbolistes belges, les suisses Jean-Jacques Rousseau, Mme de Staël et Benjamin Constant. Cet isolement est arbitraire car si on intègre encore de nos jours dans la littérature française des noms de la diaspora francophone, tels que le Belge Henri Michaux ou les critiques de l'école de Genève, il exclut paradoxalement les écrivains des départements d'outre-mer, de surcroit de nationalité française, même si culturellement ils se revendiquent autrement (négritude hier, créolité et métissage aujourd'hui).
La nationalité littéraire, si chère à Malek Haddad, recouvre-t-elle le droit du sol, tel que conçu par l'européocentrisme ou obéit-elle à un artifice universitaire et, dans son sillage, à la logique éditoriale de certains dictionnaires ? Les présentateurs et les auteurs répondent à ces questions.
Ainsi, Bernard Cerquiglini refuse la «balkanisation» de Chaulet-Achour qui a intégré de nombreux écrivains français issus de la décolonisation (Aimé Césaire, Maryse Condé, etc.). Il qualifie aussi d'oxymore (alliance de deux termes contraires) l'expression «francophone classique» réservée jusque-là à des écrivains de France. Cela est bien étrange car de nombreux écrivains francophones, retenus dans le dictionnaire en question, sont devenus classiques en France même, puisqu'ils figurent dans des manuels scolaires, des anthologies, des programmes universitaires, des éditions pédagogiques, etc.
Chaulet-Achour explique longuement le qualifiant «écrivain francophone», admis par Moura et constaté par elle. Il s'agit d'auteurs des Suds (le pluriel est de rigueur), repère géopolitique car ils sont tous nés dans un espace sous domination coloniale française, lequel constitue leur principale source d'énonciation. Quant à l'adjectif «classique», l'auteure développe son emploi en élargissant le champ sémantique d'un concept mouvant et donc difficile à circonscrire. De son point de vue, c'est au lecteur de confirmer ou d'infirmer cet adjectif à un écrivain. D'une valeur toute relative, un auteur devient aussi classique grâce à une subtile alchimie : notoriété auprès du public (très fragile, eu égard à l'usure du temps), consécration éditoriale, reconnaissance critique.
Le dictionnaire de Chaulet-Achour est une entreprise qui recense 105 écrivains, répartis à travers 19 pays, dont l'Algérie qui dispose d'une belle part avec 15 écrivains. Tous bénéficient d'entrées assez équilibrées, quel que soient leurs degrés de réputation. Les articles rédigés par 49 spécialistes sont complétés par de bonnes bibliographies, bien qu'il y ait à regretter çà et là quelques titres essentiels et de rares inexactitudes (dates, éditeurs, traductions). A cette mine d'informations s'ajoutent des index remarquables. Le lecteur intéressé est invité à un voyage où il ira de découvertes en surprises, invité à se poser des questions sur un domaine qu'il est impossible d'ignorer.

Note :
1 – Itinéraires intellectuels entre la France et les rives sud de la Méditerranée, sous la direction de Christiane Chaulet-Achour.
Ed. Karthala, Paris (Coll. Lettres du Sud'). Juin 2010, 356 p.
2 – Dictionnaire des Ecrivains Classiques Francophones, sous la direction de Christiane Chaulet-Achour. Ed. Honoré Champion, Paris (coll. Champion/Les Dictionnaires). Octobre 2010, 472 p.


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