On ne peut que s'en réjouir : les éditions Dahlab rééditent les ouvrages de Mohammed Dib. La d i f f i c u l t é q u e r e n c o n t r e n t l e s lecteurs de ce côté-ci de la Méditerranée pour acquérir des ouvrages d'écrivains publiés à Paris, n'a plus de raison d'être. Le choix fait par l'éditeur est aussi intéressant que la démarche ; le catalogue reprend des livres édités par Albin Michel. Les oeuvres publiées l'année de sa mort ou celle p o s t h u m e s s o n t d é s o r m a i s disponibles : Simorgh (2003), Laëzza (2006) e t vendues à seulement 420 dinars, à la faveur de cet effort soutenu par le ministère de la Culture. Les livres, dont la page de couverture porte l'effigie de Dib, peuvent être lus par tous, l'édition étant agréable au toucher et bien faite. L'écrivain toujours fécond, a su explorer sans trop s'y appesantir, plusieurs langages. Sorti du pays en 1959 pour ne plus y revenir que par l'esprit, il saura trouver une autre manière d'écrire où se mêlent plusieurs genres. Dib bouscule le lecteur en le contraignant à des choix souvent improbables. L'auteur originaire de Tlemcen, c'est aussi ses mots bien sentis, brefs, tranchants. Après avoir parlé dans Simorgh du peu d'égard qu'ont les pouvoirs publics pour les artistes, il dira agacé : « Qu'en coûterait-il à l'Algérie d'instaurer un Prix assorti d'une dotation équivalente à celle même du prix Nobel, à côté de celle dont n'importe quel dignitaire du régime se remplit les poches et de ne pas se faire faute alors de décerner ce Prix indifféremment à un étranger ou à un autochtone ? Bravo la Suède, bravo la France,, bravo la Belgique, bravo le Canada, les autres pays et merde pour nous ! » (page 208). Rien de plus juste pour décrire l'incurie officielle. Racontant sa mésaventure avec les éditions d'Alger qui lui ont demandé de céder ses droits de traduction de contes publiés en France il dira avec ce verbe qui le distingue de tous : « Les enfants algériens n'ont pas eu droit à des contes, tout bonnement venus de leur trésor naturel. La connerie officielle n'a pas de limite (…) » (page 196). Les enfants n'ont pas le droit de lire des livres qui leur sont destinés en premier, mais il en est aussi des adultes. Mohammed Dib n'a jamais été pourtant censuré et quelques uns de ses textes sont même étudiés dans les écoles, mais le silence institutionnel sur son oeuvre et celle de ses c o n t e m p o r a i n s (Amrouche, Yacine, Feraoun, etc.) ne trahit pas sur intentions des responsables de la culture. En rééditant ces oeuvres, Dahlab y remédie en partie, mais il y a un regret, celui de ne pouvoir découvrir l'homme qu'une fois mort. Dib l'écrivain de la déshérence et du refus des identités qui nous renvoient à une appartenance, dont on voudrait se défaire, a toujours lutté en dehors des frontières nationales. Sa terre, celle de Omar était t o u j o u r s l à , présente en filigrane dans ses oeuvres dont le décor était la Finlande ou la lointaine Amérique où il a enseigné durant les années 1970. Depuis 1953, année où il s'est vu décerner le prix Fénéon avec un certain Alain Robbe-Grillet pour Les Gommes, Mohamed Dib a gagné en épaisseur. Et l'estime de nous tous.