En dépit de son jeune âge, Noria Adel confirme le talent d'une auteure à l'âme écorchée vive. Son second ouvrage intitulé Youss veillera sur le marais. Acte poétique d'un gardien, publié en mars dernier aux éditions El Beyt, déroute par le caractère foncièrement novateur de son style d'écriture. On penserait volontiers aux calligrammes d'Omar Khayyam, voire à la poésie d'Henri Michaux. Sans aucun prologue, le livre nous met sur une piste dédaléenne. Dans la septième page, une note annonce la couleur : « Une pièce flotte sur l'eau et abrite en son coeur un lit. Vapeur, bois, sombre et étrange lumière sont l'écrin de cette action poétique. En son coeur, un homme, son nom est Youss. » Le reste est un éboulis de mots à la résonance poétique, placés de manière verticale sur le fil des pages du début jusqu'a à la fin. Youss est un long poème. Le premier personnage affirme son existence et règle ses problèmes avec ses sens. Il n'est pas pessimiste. « C'est un homme qui veut sortir des coins et des recoins et refuse de vivre caché », nous dira Noria Adel, rencontrée jeudi dernier à Alger. Ecrit à Damas en 2007, le texte peut être lu d'une traite. « L'écriture est très vive. On peut le lire comme on peut le voir comme s'il agissait d'une pièce théâtral », ajoute-t-elle. La t h é m a t i q u e du l i v r e demeure également inédite. Noria part comme un soldat en quête du corps voilé, oublié, brisé, altérée et confiné dans l'asservissement et l'altération. Noria, dans la peau d'une briseuse de tabous, parle comme un patriarche : « L'idée de l'interdit n'est pas absolue. En réalité, dans le noir tout est permis à condition que tout ne soit pas vu. Ceci est une pure hypocrisie. Tout existe dans notre pays comme ailleurs. L ' h o m o s e x u a l i t é , l a prostitution, la sexualité de la femme sont considérés comme des phénomènes intrus. Or, ce ne sont que des états, dont il faut absolument parler », plaide-t-elle. Cette recherche passionnante et passionnée des vastes plaines du corps n'est pas nouvelle chez cette jeune auteure. En 2006, elle a consacrée sa thèse de fin d'études à l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger à « la rumeur du corps », dirigée par le cinéaste algérien Tariq Teguia et dans laquelle elle a sondé l'image du corps et sa place dans l'art contemporain dans l'espace arabo-musulman. Elle rappelle, dans un de ses textes, que la représentation du corps subit dans les sociétés des pays arabes et musulmans les contraintes d'une réalité socio-culturelle très pesante. « Peut-on raconter frontalement et au présent l'individu et son corps pris dans la réalité, dans les interdits, dans la guerre ? Ou, s o m m e s - n o u s fondamentalement éduqués dans le mensonge et dans les n o n - d i t s ? » D e c e s interrogations, Noria Adel étrenne une inlassable fouille archéologique. Dans son entreprise hardie, la poétesse réaffirme sa conviction : « Il faut rendre la vie au corps. Il faut rendre le corps au corps. Il faut en parler comme on parle d'autres choses. » Vivant entre Alger et Damas, la poétesse a déjà participé à l ' é c r i t u r e d'un recueil de poèmes, avec trois autres femmes (Hassaïn- Daouadj, S. Imekraz et N. Belloula), intitulé Arbres bleus, fantasmes naufragés, publié aux éditions Mille Feuilles. Des projets futurs, elle en a plein la tête ; entre autres, la mise en scène de Youss veillera sur le marais. Acte poétique d'un gardien.