La capitale française s'invente une station balnéaire chaque année. Le succès de Paris-Plages ne se dément pas. Touristes et parisiens se mettent en tongs, en espérant chaque jour que le soleil se montre moins timide. Rencontre avec des compatriotes en mal de mer. Mouloud est littéralement écroulé de rire. Avec une élégance hasardeuse, il essaie de marcher sur l'eau sur une sphère flottante. Comme un homme ivre, il n'arrive pas à garder son équilibre. Il tente de rester debout, seul, puis s'accroche maladroitement à son voisin. Arrivé à bon port, il présente timidement ses excuses à ses compagnons. « C'est du délire. Je sais maintenant ce que vivent les hamsters en courant dans la roue. Je me sentais comme un cobaye dans un laboratoire. Etrange et amusant. » Sur le Quai de la Loire (19e arrondissement), les Parisiens découvrent leur capitale en station balnéaire. Les pronostics de la Ville de Paris sont justes. Paris-Plages est un grand succès. L'opération a été placée cette année sous le signe « Eté solidaire, dans un contexte économique difficile ». « C'est vrai qu'il y a tous les jours beaucoup de monde. Dans mon quartier, les gens sont peu partis en vacances. En raison de la crise. Ils ont tous peur des lendemains difficiles. Moi, le premier, s'angoisse Mouloud. Technicien aérien dans une entreprise de fret à Roissy, il redoute de perdre son boulot à la rentrée. Chronopost est en train de racheter ses petits concurrents. Aucune raison que notre société leur échappe. Les rumeurs disent qu'en octobre, les trois-quarts du personnel seront remerciés. » Prévoyant, il préfère passer ses trois semaines de congé à Paris, en profitant des activités culturelles et sportives. Madjid et Yacine, ses deux enfants, s'improvisent véliplanchistes professionnels sous le regard naturellement épaté de leur père. Zohra repousse presque violemment l'invitation de son mari. Elle ne reconnaît plus son Abdelaziz, après plus de trente de mariage. Au milieu d'une vingtaine de personnes, l'époux éconduit esquisse des pas de danse. Ahurie, Zohra répète : « Il est fou, regardez-le, lui qui n'a même pas dansé au mariage de sa fille ! » Abdelaziz ne l'entend pas. Avec un sens du rythme qui lui est propre, il prend un grand plaisir à imiter les danseurs amateurs. Ses yeux sont en alerte, cherchant à prendre le bon rythme. Au bout de trois minutes, il abandonne, au grand soulagement de sa femme : « C'était bien, c'est la première fois que je danse… la valse. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je ne le regrette pas. » Inutile de briser son bonheur en lui révélant que c'était de la salsa, que la musique était cubaine… Justement, Zahia, leur fille, les rejoint en poussant un landau sur la voie Pompidou, transformée en plage avec sable et palmiers. Zohra et Abdelaziz, nouvellement grands-parents, se coupent la parole pour raconter l'exploit. Zahia ne cache pas son étonnement : « C'est la deuxième fois que mes parents viennent en France. Ils m'aident à m'occuper de mon bébé. J'ai l'impression de faire leur connaissance autrement. Ils sont enfin eux-mêmes, ils subissent moins les contraintes sociales et les on-dit. » Abderahmane, lui, a la manie de la comparaison. « Mais chez nous » revient comme un leitmotiv, une ponctuation dans ses phrases : « La Seine est belle, mais chez nous il y a la mer. » Il y a de beaux monuments à Paris ? « Oui mais chez nous, la vue sur le front de mer est unique. » La 8e édition de Paris-Plages draine beaucoup de monde ? « Chez nous, t'as intérêt à prendre une mini serviette à Sidi Fredj, tellement la plage est bondée. » Et la propreté sur la plage ? Abderahmane change de sujet. Il n'en revient pas de voir que les organisateurs proposent des livres et BD gratuitement. « Il faut juste déposer une pièce d'identité ! Maximum respect ! », s'exclame-t-il. Le naturel revient vite. « Oui mais chez nous, il fait toujours beau », ironise-t-il en montrant du doigt le ciel gris parisien.