Une approche originale du développement durable est proposée à travers une relecture historique du Maghreb antique. Les hautes plaines maghrébines, base arrière stratégique de l'empire romain pour son approvisionnement agricole, sont aujourd'hui parsemées de sites archéologiques hérités de ce passé, frappés par une désertification et une érosion spectaculaires. n'était la présence entêtée des vestiges de presses à huile et de moulins à grains, on aurait eu du mal à croire que ces régions ont constitué jadis le fleuron de l'industrie agricole puniquo-berbéro-romaine. Ainsi, des oliveraies et champs de céréales qui entouraient Timgad, il ne subsiste aujourd'hui que des collines dénudées et des terres ravagées par l'érosion. Croyant au mythe de la fertilité naturelle de la terre, les acteurs agricoles antiques sont à l'origine d'une des premières catastrophes environnementales connues, rapportée vers l'an 250 par saint Cyprien en ces termes : « le monde se mourait, les sources s'asséchaient, les famines s'étendaient dans tout le bassin méditerranéen ... ». Pourtant, visionnaire de génie, Columelle, agronome célèbre de l'antiquité, prédisait deux siècles plus tôt : « Je ne crois pas que de telles infortunes nous échoient de par la furie des éléments, mais bien plutôt par notre propre faute. » Beaucoup de travaux sur la chute de l'empire romain s'accordent sur le fait que le développement de l'empire portait en lui les germes de sa décadence. Ce constat, appliqué également au domaine agricole apparaît bien exprimé dans cette observation de Goldsmith (1988) : « ... pour répondre aux besoins d'une plèbe nombreuse, Rome entreprit des campagnes militaires de plus en plus lointaines et adopta des méthodes agricoles toujours plus destructrices ... Le déclin de la production agricole fut à la fois la cause et l'effet de l'effondrement social... ». Le Maghreb, ayant été marqué par cette présence romaine, se présente aujourd'hui comme « un cas d'école vivant » pour illustrer le concept moderne de développement durable. Par une relecture de son histoire, focalisée sur son économie agricole et interprétée à la lumière des connaissances agronomiques modernes (Goldsmith, 1988 ; El Faïz, 1995), il est possilble de dégager les grands enjeux agricoles de cette époque et les marques par lesquelles ils s'expriment 2000 ans plus tard sur les sols et les paysages maghrébins actuels. Après la chute de l'empire romain, alors que l'Europe tout entière sombre dans le chaos de la longue nuit du Moyen Age avec ses pestes, ses famines et une surface agricole réduite à 4 %, le Maghreb va se repositionner dans la nouvelle sphère géocivilisationnelle musulmane qui se prolonge jusqu'en terre espagnole avec les royaumes d'Andalousie. Là, un agronome andalou, du nom de « Ibn El Awwam », héritier de la pensée de Magon et de Columelle, restitue les principes de l'agriculture nabatéenne dans son livre Kitab el Filaha (Le livre de l'agriculture), largement inspiré du livre de Ibn Wahsiyya sur « l'agriculture nabatéenne ». Ibn Wahsiyya, dont la pensée était physiocratique, 8 siècles avant que ce courant économique ne se développe en Europe (El Faïz, 1995), mettait l'agriculture, l'amélioration de la condition paysanne et la maîtrise des sciences au centre de tout développement économique vrai. La renaissance européenne, largement influencée par ces travaux (Bolin, 1972), redécouvre peu à peu les chemins du développement. Au Maghreb, la perte de la souveraineté alimentaire et la fragilisation extrême des ressources naturelles coûtent actuellement à l'Algérie une facture annuelle de 5 milliards de dollars en hausse continue. La tendance lourde qui se dessine aujourd'hui dans la filière euro-américaine des biocarburants entraîne une compétition accrue sur les céréales et les oléagineux et met gravement en danger la sécurité alimentaire du Maghreb. Dans ce contexte, repenser l'agriculture maghrébine dans une vision durable ne peu pas se dissocier de l'objectif de souveraineté alimentaire. L'atteinte de cet objectif passe par l' établissement d'une gestion environnementale contraignante, la mise en place d'une politique de développement des sciences tournée vers les besoins internes, le développement d'un encadrement technique efficace et la valorisation des métiers agricoles. Bibliographie : Albertini, E.1937. L 'Afrique romaine, Alger, Imprimerie officielle, 1955, 130 p. Augé de Lassus, L.1888. Les spectacles antiques, librairie Hachette, Paris. Bolin, L. 1972. L'eau et l'irrigation d'après les traités d'agronomie andalous au moyen-âge (XIe-XIIe). ClHEAM, Options méditerranéennes, 16 déc.1972 Bouchareb, A. 2006. Cirta ou le substratum urbain de Constantine. Thèse de doctorat. Univ. Mentouri-Constantine, DAU, 600 p. De La Malla, D. 1840. Economie politique des Romains, t.II, librairie Hachette, Paris, 512 p. Du Bois, L. 1844. Columelle. De l'économie rurale. Tome premier, Iivre Il. C. L. F. Panckoucke, 1844. Bibliothèque latine française, seconde série. El Faïz, M. 1995. l'agronomie de la Mésopotamie antique. « Analyse du livre de l'agriculture nabatéenne » de Qutama. Ed. E. J. Brill, New York. Flavius Joseph, 75-79. Guerre des Juifs. livre IV, Chap. X. ln Œuvres complètes, trad. en français sous la direction de T. Reinach, 1932, Publications de la Société des études juives. Goldsmith, T. 1988. The Great U-Turn - de-industrialising society. Edit Green Books. Gsell, S. 1913-1928. Histoire ancienne de l'Afrique du Nord. Hachette, Paris, 8 volumes. Guillon, N.S. 1837. Traité contre Démétrien. Œuvres complètes de Saint Cyprien, èvêque de Carthage. J. Angé et Cie, éditeur. Versailles, 1837. Julien, C. A. 1994. Histoire de l'Afrique du Nord. Des origines à 1830. Ed. Payot & Rivages, Paris. 867 p. Le Bohec, Y. 2002, L'Egypte des Romains, de l'exploitation à la provincialisation. http://www.clio.fr. Quatremère, 1835. Mémoire sur les Nabatéens. Nouveau journal asiatique relatif à l'histoire, à la philosophie et à la littérature des peuples orientaux. Tome XV. Imprimerie royale. Paris. p. 5-54, 98-130, 209-240. L'auteur est : agr., Ph.D Groupe conseils agricoles de l'Abitibi. Québec. Canada