-Ammar, 23 ans, étudiant. Batna : Le changement aura lieu quand il n'y aura plus de pétrole Je ne croie pas que ces marches apporteront le changement. De quel changement nous parle-t-on ? De celui qui a suivi Octobre 88 ? On n'en veut pas et il faut admettre qu'on a peur. Les jeunes auront du mal à suivre les personnalités qui ont encadré cette marche. Elles n'ont aucune crédibilité. Où étaient la société civile et l'opposition durant les dernières émeutes ? Elles ont montré leur incapacité à traduire les attentes du peuple et sont aussi corrompues que le régime. La rente pétrolière offre à l'Etat une grande marge de manœuvre lui permettant à la fois d'absorber la colère sociale et d'«acheter» l'opposition et la société civile. Le changement aura lieu quand il n'y aura plus de rente pétrolière.
-Tarek,22 ans, étudiant, membre d'Algérie Pacifique. Rouiba : Nous nous démarquerons de la Coordination Nous avons répondu à l'appel de la marche du 12 février. A 10h nous avions tous été embarqués. Nous continuerons à répondre aux différents appels à la marche, mais le 19 février, nous nous démarquerons de la Coordination et nous nous mettrons dans un carré bien à nous, celui des jeunes pour une Algérie Pacifique. Nous ne voulons plus être assimilés au RCD et à son chef qui a voulu faire de cette marche la sienne et non celle du peuple. Aussi, comme nous croyons que le changement passe par les marches, nous marcherons également vendredi 18, bien que nous ne partageons pas l'avis de ceux qui sont derrière et qui sont établis à l'étranger.
-Taghzout, 21 ans, étudiante, membre du MJIC et d'Algérie Pacifique. Rouiba : Le RCD a fait un show médiatique La dernière marche était une mascarade. Saïd Sadi est venu accompagné de quatre gardes du corps ! Le RCD a formé son propre carré et faisait son show médiatique, il s'adonnait aux conférences de presse tout comme M. Bouchahi, alors que les jeunes étaient dans les commissariats. C'est honteux ! Cependant, malgré notre déception et notre refus de voir Sadi s'approprier la marche – je parle au nom d'une vingtaine de jeunes – on participera probablement aux prochaines marches bien que ne soyons pas d'accord avec tout ce que fait la Coordination. Nous sortons parce qu'il faut agir, et les commissariats ne nous font pas peur tant que nous sommes interpellés pour nos idées et nos principes, auxquelles nous croyons profondément.
-Nassima, 28 ans, étudiante. Aïn Bénian : Je préfère Bouteflika à l'incertitude Je suis contre la marche tant que les revendications ne sont pas tout à fait claires. Appeler au départ de Bouteflika n'a pas de sens pour moi car il ne signifie pas le changement, le vrai. Où étaient la société civile et l'opposition lors de l'amendement de la Constitution qui a permis au président de briguer un 3e mandat ? C'est à ce moment-là qu'il fallait sortir. De plus, quelle sera l'alternative? Saïd Sadi ? Ali Benhadj ? Ils ont décrédibilisé le mouvement. Je ne leur fait pas confiance et je ne partage pas leurs postions. J'ai aussi peur de ce qui peut arriver, la décennie noire fait que nous craignons maintenant tout appel au changement. Il ne faut pas oublier qu'en Tunisie et en Egypte, le peuple n'avait rien à perdre, le vide politique est toujours mieux que le régime. Chez nous, je préfère Bouteflika à l'incertitude. Il a réussi à se positionner comme le «garant de la stabilité». Il a réussi à «droguer» le peuple avec des mesures sociales qui répondent à certaines de leurs attentes. Il est normal que la masse croit plus en lui qu'en Saïd Sadi.
-Abderrazak,24 ans,vendeur de cigarettes. Bab Ezzouar : La politique nous écœure Ouallah je ne comprends rien à ce qui se passe en Algérie. Je me sens complètement largué. Moi, Allah ghalab, je n'ai pas fait d'études. Et je n'ai jamais participé à une manifestation publique. Sortir manifester pour moi c'est aller faire la fête au stade. C'est notre manif' à nous. Nos slogans c'est la misère, le désarroi, la hogra et la harga. Je vous le dis, nous n'avons pas cette culture de manifester et la politique nous écœure. Pendant les élections, ces gens-là viennent nous voir, nous invitent à participer à des rassemblements, nous promettent travail et logement et pleins d'autres choses. Une fois élus, on n'entendra plus jamais parler d'eux. Ce qui m'a marqué personnellement, en 2007, deux mois après l'élection de notre maire, c'est qu'il a donné l'ordre aux services de sécurité de dégager la voie de nos tables et de nous confisquer notre marchandise. J'ai perdu 10 000 DA ce jour-là et je suis passé devant le juge qui m'a condamné à une amende de 5000 DA. C'est ça notre pays, bled el hagarine. Je leur laisse ce pays. Moi, je veux un visa pour partir d'ici. Je n'ai plus de place dans mon pays. Les autres, ils peuvent marcher, mais moi je ne me sens pas concerné puisque je ne vais pas rester.
-Sonia, 22 ans, étudiante. Réghaïa : Le traumatisme de la décennie noire doit être dépassé Les jeunes ne sont pas passifs et ils sont conscients que le changement est impératif. Le traumatisme de la décennie noire doit être dépassé et l'argument sécuritaire ne peut plus marcher. Les Algériens veulent jouir encore de cette «sécurité» mais ils veulent plus que cela : du travail, des logements décents, une meilleure qualité de l'enseignement, en finir avec la corruption… C'est ce qu'ils sont sortis dire pacifiquement. Mais 30 000 policiers déployés ? Sérieusement ? Pourquoi n'ont-ils pas été déployés durant les violentes émeutes ou pendant cette fameuse décennie noire ? Et si les rassemblements sont interdits, pourquoi des milliers d'Algériens ont été invités à exprimer leur soutien à leur équipe de foot dans la rue ? Je veux le changement. Un vrai changement qui touchera tout le système et fera tomber les généraux. Pourquoi avoir peur du futur ? D'autres personnalités plus proches du peuple et plus crédibles vont émerger.
-Sofiane, 24 ans étudiant. Dergana : Je marcherai aujourd'hui, je marcherai demain ! Je marcherai chaque samedi jusqu'à ce que les choses changent dans notre pays. Samedi dernier, mes amis et moi sommes arrivés à la place du 1er Mai à 9h30. Au moment même où la police a commencé à interpeller brutalement les militants. Comment, face à cette injustice, les Algériens continueront à observer le silence ? Mes amis, tous étudiants, avaient la trouille et c'est normal : une arrestation arbitraire avec de graves chefs d'inculpation peut conduire à la prison. C'est toute votre vie qui est perdue à cause d'une cause juste. Nous avons tenté de rejoindre la foule, la police nous ont intimé l'ordre de faire marche arrière. Nous avons alors fait un grand détour, nous nous sommes joints à «ouled el houma» (habitants du quartier) en faisant semblant de regarder ce qui se passe. Puis Amazigh Kateb et Safy Boutella sont arrivés et nous avons joint le rassemblement. Un moment chargé d'émotion. Je suis décidé en compagnie de mes amis et camarades à continuer le combat jusqu'au bout, à répondre à chaque appel à la marche. Je marcherai aujourd'hui en réponse à une initiative lancée sur facebook. Je marcherai demain et je sais que nous serons encore plus nombreux. Ces derniers temps, je suis collé à mon ordinateur, branché sur les sites comme twitter ou facebook pour suivre l'actualité et les retombées de la marche du 12. Nous avons créé une page sur facebook pour sensibiliser les jeunes à participer massivement en leur expliquant que c'est une marche citoyenne, populaire, qui n'a ni couleur ni casquette. Pour dire que ce ne sont pas les partis politiques, notamment le RCD à cause de la polémique qui s'en est suivie, ou Ali Belhadj, qui ont organisé la marche. Même s'ils ont tout à fait le droit de sortir comme tout le monde.
-Etudiant, gréviste, 21 ans. Alger : «Parle et meurs» ne marche plus, aujourd'hui, nous voulons vivre On a réduit la crise à un simple problème de sucre et d'huile, il est donc normal que nous soyons tous pour la marche. Mais de là à y prendre part ou à en parler… Nous n'avons pas de liberté d'expression. Si je parle politique, ils me réprimeront. Ils ? Ce sont ceux qui sont derrière moi en uniforme bleu et qui prenaient il y a quelques instants des photos des étudiants grévistes. La célèbre citation «si tu parles tu meurs, si tu te tais tu meurs, alors parle et meurs» ne marche plus. Aujourd'hui, on veut vivre. A quoi bon parler ou mourir, nous ne serons pas écoutés. Il est difficile pour nous d'avoir de l'espoir aujourd'hui. Nous avons été trop optimistes par le passé, notre déception fut grande. Alors nous sommes pessimistes, peut-être aurons-nous d'agréables surprises…
-Redouane,27 ans, cadre dans une entreprise privée. Bab El Oued : Ce n'est pas une manifestation qui amènera le pouvoir à changer son comportement méprisant Les Algériens devaient sortir le jour maudit de l'amendement de la Constitution en 2008 qui a permis à Bouteflika un troisième mandat et par conséquent un règne à vie et sans partage. Ce jour-là, personne n'a levé le petit doigt, personne n'a crié au scandale. L'événement est passé sous silence. Et la campagne de désinformation qui s'en est suivie n'a pas suscité la colère des Algériens. L'armée est complice et responsable de la situation actuelle. Les dernières émeutes ont été réduites à une intifadha de l'huile et du sucre, une aberration de trop : un peuple réduit à un tube digestif. Face à ce mépris de nos gouvernants, encore une fois, personne n'a osé parler. Les députés, des béni-oui-oui, touchent 400 000 DA par mois. Les flics ont été augmentés de 50% pour mieux bastonner. Moi je ne marcherai pas le 19, car face à autant d'aberrations, les gens ont observé le silence durant des années. Aujourd'hui, je ne vois pas l'intérêt de sortir marcher dans la rue. Face à l'entêtement de ce pouvoir, ce n'est pas une manifestation publique qui l'amènera à changer son comportement méprisant. J'appelle les Algériens à une grève générale et illimitée, seule solution pour le départ de ce système. De toute façon, nous n'avons rien à perdre, y a l'argent du pétrole pour compenser les pertes.