Plus d'une fois, ces apartés prenaient des accents de brimades et autres blâmes adressés aux moins assidus parmi les membres de l'exécutif. Pour ne pas déroger à une règle qu'il entend ériger en tradition, le président de la République se préparerait à entamer, dans les prochains jours, un cycle d'auditions de ses ministres en vue d'évaluer l'action du gouvernement. L'an dernier, le ballet des auditions avait débuté en septembre et cela coïncidait pile avec le Ramadhan. Visiblement, cette année aussi, les audiences vont coller au mois sacré. « Bouteflika veut donner l'impression, en choisissant précisément le mois de Ramadhan pour ces auditions, qu'il est le seul qui travaille », note l'ancien ministre de la Communication et ancien ambassadeur, Abdelaziz Rahabi, ceci, dans un contexte de léthargie générale inhérent à la période du jeûne. C'est une action destinée davantage à faire le marketing du président », poursuit-il. Il faut dire que c'est tout à fait dans le « style Bouteflika ». Cela résume parfaitement sa méthode de gestion et sa conception de la gouvernance. On l'a vu les années précédentes : Bouteflika consacre un jour à chaque secteur. Il reçoit le ministre concerné pour une audience qui peut aller de 20 minutes à une heure, selon les dossiers abordés. Préalablement, les ministres sont censés avoir préparé leurs bilans, assortis d'un rapport détaillé des projets réalisés et des chantiers en cours. Le président entend, de cette façon, contrôler l'action du gouvernement en exhortant ses hommes à plus d'entrain et de rigueur dans l'exécution des missions qui leur sont confiées. Plus d'une fois, ces apartés prenaient des accents de brimades et autres blâmes adressés aux moins assidus parmi les membres de l'Exécutif. Les auditions viraient alors à « l'audit ». Bouteflika n'a-t-il pas rabroué plusieurs de ses ministres, en direct à la télévision, à l'occasion de l'une ou l'autre de ses sorties sur le terrain ? Problème : le cadre ainsi défini est-il « constitutionnellement correct » ? Car l'espace où se déroulent généralement ces auditions n'est pas la présidence de la République ni la résidence officielle du chef de l'Etat, par conséquent, il s'agit d'un espace « privé ». Ceci pour le cadre physique. S'il peut apparaître que l'on est en train de pinailler sur des détails, il faut bien admettre que la manière avec laquelle le président conduit les affaires du pays mérite qu'on s'y attarde. Et le débat relatif au contrôle de l'action du gouvernement regarde l'opinion au plus haut point. Question subsidiaire : quel est le « statut » de ces auditions en « peignoir », comparées à des instances comme le Conseil des ministres et le conseil de gouvernement ? « Le président de la République est censé avoir une résidence officielle. En général, le chef de l'Etat réunit ses collaborateurs dans son bureau pour examiner le niveau d'avancement de son programme », relève Abdelaziz Rahabi, avant de souligner : « Il existe des institutions pour contrôler l'action du gouvernement. Il y a le Conseil des ministres, le conseil de gouvernement, il y a des structures comme le CNES. Il y a surtout l'Assemblée nationale dont c'est le rôle. C'est aux représentants du peuple qu'il revient d'auditionner les ministres. Mais Bouteflika contrôle désormais l'APN depuis la dernière révision constitutionnelle. En vérité, ce changement de la Constitution ne fait que consacrer une situation qui prévaut depuis 1999. L'APN pouvait bien exercer son pouvoir de contrôle à la suite des événements de Kabylie, les inondations de Bab El Oued ou encore le séisme de Boumerdès et elle ne l'a pas fait. » Aussi, il devient « superflu », aux yeux de l'ancien ministre de la Communication, de passer en revue les grands dossiers du gouvernement pendant le Ramadhan. Pour lui, « c'est plus rituel qu'autre chose ». « Papoter sur les actions du gouvernement autour d'un kalb ellouz, ça ne fait pas sérieux », assène M. Rahabi, qui estime que l'action du gouvernement doit être « continue, permanente, soutenue. Ce n'est pas quelque chose de conjoncturel ». « La gestion des affaires de l'Etat doit être une gestion quotidienne. » Or, il se dégage de ce cycle d'audiences le sentiment que la gestion du pays « obéit à un calendrier lunaire », selon la formule de Abdelaziz Rahabi. D'après lui, « Bouteflika n'est pas un homme de dossiers, contrairement à Boumediène. Beaucoup de chefs d'Etat ne maîtrisent pas la gestion. De Gaulle avait une aversion pour les affaires économiques ». Et de conclure : « Ces séances ne peuvent pas constituer un espace d'arbitrage au plus haut niveau, c'est plus un espace de convivialité en rapport avec le rituel du Ramadhan. » Un ancien chef de gouvernement abonde globalement dans le même sens. Pour lui, « il s'agit là d'un épiphénomène, le vrai sujet étant ailleurs. Le pays est en train de partir à la dérive », dit-il d'emblée. « Chaque responsable politique a sa façon de s'informer sur la conduite des affaires du gouvernement. Le président Zeroual recevait le chef de gouvernement le lundi, le président du Sénat le mardi et le président du Parlement le mercredi ou le dimanche », ajoute-t-il, avant de faire remarquer : « Mais c'est en Conseil des ministres que devraient être prises les décisions du gouvernement. Il doit y avoir un conseil par semaine. Toute décision qui engage le gouvernement doit être prise à l'intérieur du gouvernement. »