Nul ne pourra effacer de la mémoire cette tragédie qu'a vécue le peuple algérien à l'orée des années 1990. Le terme «cartable» renvoie à la mémoire spécifique de l'Algérie.Quand à l'adjectif bleu, il renvoie à plusieurs référents dont notamment l'espoir, la mer Méditerranée ainsi que la couleur bleue du ciel algérien. A travers une écriture fluide et agréable à la fois, le lecteur est projeté dans le futur, soit en 2030 pour revenir 38 ans en arrière, aux années sanglantes. En effet, utilisant le procédé d' analepse – style par lequel on revient sur un procédé antérieur au récit en cours – la grande mère Mima Dahila révèle subtilement un pan de cette mémoire à sa petite Sirine, âgée d'une vingtaine d'années. En témoignent ces coupures de presse relatant certains carnages et massacre, commis par des impies. «Il suffit parfois de presque rien (un cartable par exemple, une date, un lieu) pour que le passé refasse irruption. Trente- huit ans (1992-2030, il y a ceux qui n'ont pas oublié et ceux qui veulent savoir», lit-on. Dans une note de l'auteur, il est indiqué que «cet ouvrage est également le témoignage, celui de l'auteur qui met en scène la violence des années rouges et les drames que celles-ci ont engendrés. C'est aussi une page d'histoire dans laquelle l'Algérie a failli sombrer dans le chaos». La réalité prenant le dessus sur la fiction, Le cartable bleu pose, en fait, trois problématiques distinctes, à savoir : l'écriture de l'histoire, l'impossibilité du pardon et de quoi sera fait le futur. Contrairement au désintéressement de sa sœur Neyla, Sirine éprouve un besoin vital de se familiariser avec son passé et sur l'histoire de sa famille. Elle apprend que son grand-père Ryad, brillant dentiste, a également fait l'objet d'un assassinat au sein même de son cabinet médical en 1994. De fil en aiguille, Sirine dépoussièrera ce passé, entaché de sang et de douleur durant ces années de terrorisme. Des milliers de vies humaines ont été écourtées à cause de la bêtise humaine et de l'intolérance. Ce livre est également un hommage à toutes les femmes assassinées ayant refusé de porter le voile. Katia Bengana est un des exemples édifiants. Cette jeune fille de Meftah a été assassinée à la fleur de l'âge par les hordes islamistes pour avoir refusé de porter le voile islamique. Qu'elles soient connues ou anonymes, ces femmes ont bravé la mort afin que des voix s'élèvent haut aujourd'hui. Mme Leïla Aslaoui nous confie en aparté qu'elle a une interprétation personnelle du Coran. Elle reste convaincue que ce n'est pas une obligation de porter le voile lorsqu'on relit les textes coraniques. «Je suis arrivée à ma propre conviction, les islamistes véhiculent un discours idéologique qui consiste à enfermer la femme».Se glissant dans la peau de la grand-mère, Leïla Aslaoui entend bien laisser un legs à ses petites-filles et à tous les enfants de l'Algérie d'aujourd'hui et de demain. Les enfants de demain se doivent de connaître leur passé. Dans cette histoire brillamment romancée, il est clairement signifié en filigrane que pour construire une nation avec une mémoire collective, il eut fallu reconnaître qu'il y a eu des bourreaux et des victimes. «Les Algériens et les Algériennes vivront certes dans le même pays, mais ils n'auront pas la même mémoire parce qu'on ne cicatrise jamais une plaie infectée» confie Leïla Aslaoui.