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Consensus pour changer le système politique
Publié dans El Watan le 24 - 04 - 2011

Abdelaziz Rahabi : «La diplomatie est une affaire de professionnels»

Autre figure du trio de conférenciers invités aux débats d'El Watan, et qui héritèrent de la lourde tâche de penser le changement en Algérie : Abdelaziz Rahabi. Ancien ministre de la Communication dans le gouvernement de Smaïl Hamdani (1998-1999) et ancien ambassadeur en Amérique centrale et en Espagne, et qui se consacre actuellement à l'enseignement universitaire, Abdelaziz Rahabi étrenne son exposé en s'attaquant à la sacro-sainte «légitimité historique» qu'il confronte à d'autres formes de légitimité, en particulier «la légitimité du savoir et celle des urnes». Il dira de prime abord : «Dans notre rapport aux légitimités, nous nous sommes retrouvés otages de la légitimité historique de sorte qu'il nous est difficile de nous projeter dans l'avenir. Nous n'arrivons pas à appréhender notre destin avec des outils modernes, au lieu de quoi nous privilégions l'approche historiciste de nos problèmes aussi bien que de nos solutions.» «Nul ne nie l'héritage de la guerre de Libération nationale. C'est l'acte fondateur et le socle doctrinal de l'Algérie moderne.» «Mais la guerre de Libération a eu ses héros et a eu ses commerçants. Et c'est dans cette dernière catégorie que se recrutent ceux qui en ont tiré profit», déplore le conférencier avant d'asséner : «Défendre le pays ne donne pas de priorité pour s'emparer du pouvoir et accaparer ses richesses.» «La situation post-révolutionnaire a provoqué une grosse fracture entre hommes d'Etat et hommes de pouvoir. C'est toute la différence entre Ben Bella et Ferhat Abbas. Entre Mandela et Mugabe.»
En finir avec «l'idéologie de la souffrance»
Disséquant les rhétoriques adossées à l'hagiographie révolutionnaire et le culte des martyrs comme source de légitimité, Rahabi regrette la trop grande place prise dans le discours officiel parce qu'il appelle «l'idéologie de la souffrance». Et de marteler : «Réformer, c'est arrêter de faire de la souffrance le fondement de notre identité. On n'a pas que les traumatismes comme socle de l'unité nationale. Il y a aussi des joies et des espoirs à partager.»
Pour Abdelaziz Rahabi, l'aspiration des Algériens au changement trouve ses racines dans des valeurs consensuelles fortes et, somme toute, universelles, comme la justice et la liberté. «C'est le déni de justice et de liberté qui a motivé le soulèvement des Algériens contre le système colonial. Donc, la convergence des Algériens vers les valeurs de la justice et de la liberté n'est pas nouvelle», appuie-t-il. Saluant les récentes révoltes de la jeunesse algérienne, il ajoute : «Les jeunes de 2011 ont compris le sens de ces valeurs. Ils ont transcendé toutes les idéologies, tous les clivages et les régionalismes. C'est la plus grande victoire de notre jeunesse.» Il insiste encore : «Réformer, c'est ne pas laisser le fait de guerre s'installer comme seule source de légitimité.» Fervent défenseur de la «légitimité du savoir», Abdelaziz Rahabi plaide ardemment pour une réhabilitation des élites dans notre société. «On ne parle pas beaucoup des élites. D'ailleurs, on n'aime pas le terme ''élites'', car le populisme est dominant dans la société», constate-t-il.
Le conférencier se désole cependant du délitement d'une grande partie de notre intelligentsia : «Terrassées par le terrorisme et le chantage alimentaire, une partie de nos élites a développé des logiques d'appareil. Déconnectées du monde, elles ont abandonné leur mission de veille et avec elle la responsabilité de remettre le pays dans le temps réel», argue-t-il. Dans la foulée, Rahabi dénonce «la dépréciation de la fonction intellectuelle et la désaffection vis-à-vis du savoir et des sciences». «Les élites doivent accompagner les mutations sociopolitiques», poursuit-il. «Le rapport à la religion doit être clarifié afin d'expliquer que l'Islam n'est pas responsable de l'image qui en est faite. Il leur incombe également d'alerter sur la situation des femmes ainsi que sur la place de l'argent dans la société.» «Réformer, c'est aussi rompre avec l'informel politique et économique qui ont pris place au détriment des valeurs du travail et de l'effort et surclassé les compétences.»
Proposition-clé de sa conception du changement, Abdelaziz Rahabi préconise de «promouvoir une culture du pacte» en vue d'imaginer un nouveau contrat social. Et d'attirer l'attention de l'auditoire sur le fait que «la terminologie en usage» est dépouillée de mots comme «fraternité», «dialogue», «échange», «négociation», «compromis». «Aujourd'hui, il est très difficile de forger un consensus entre tous les Algériens à court terme en raison de la complexité de la crise et de la rupture de confiance entre le pouvoir et le peuple. Réformer, c'est substituer le dialogue au rapport de forces et aux ruptures violentes.» Dans son exposé, Abdelaziz Rahabi n'a pas manqué de glisser quelques mots sur le secteur audiovisuel, faisant ainsi écho au dernier discours du président Bouteflika où aucune intention d'ouverture n'a été annoncée à l'endroit des médias lourds. «Nous assistons à une privatisation de l'audiovisuel qui ne dit pas son nom», souligne l'ancien ministre de la Communication, allusion au statut ambigu de l'ENTV qui est quasiment devenue la «propriété exclusive» de Bouteflika et consorts. «Nous assistons à un schéma d'infantilisation médiatique comme en Tunisie et en Egypte avant les révoltes», ajoute Rahabi en révélant qu'il existe 800 chaînes arabes.
«Le contre-modèle libyen me fait peur»
Pour ce qui est de la presse privée, il observe : «La presse s'accommode d'une relation de schizophrénie avec le pouvoir politique selon la règle : nous faisons ce que nous voulons, écrivez ce que vous voulez !» Revenant à la charge quant à l'urgence de réformer le paysage audiovisuel national, il lance : «On confie ainsi le façonnage de l'esprit des Algériens aux non-Algériens. On a livré l'âme de nos enfants à des productions étrangères, loin de la matrice identitaire nationale. On ne donne pas des ordres à l'esprit, on le nourrit. 75% de la nourriture provient de l'importation. Alors que dire de la dépendance immatérielle qui est bien supérieure !»
Dernier volet de son intervention : Abdelaziz Rahabi décortique la situation politique régionale et le vent de révolte qui souffle sur le monde arabe en s'attardant sur le conflit libyen. «Pour n'avoir pas engagé des réformes à temps, nous voici acculés à subir l'agenda international dont même les grandes puissances ne maîtrisent ni le rythme ni l'intensité. On va vers une situation complètement imprévue, dans l'improvisation la plus totale», dénonce-t-il, avant de confier : «Le contre-modèle libyen me fait peur.» L'orateur relève qu'en Libye comme en Algérie, «la rente nourrit des prédispositions à l'autoritarisme». En diplomate aguerri, il conseille : «Il faut veiller à ce que notre politique extérieure tienne compte de la synergie entre la défense nationale, les intérêts économiques et la diplomatie.» «Et la diplomatie est un métier. C'est l'affaire de professionnels», conclut-il dans un clin d'œil à peine voilé aux «ratages» de Medelci.


Abdelhamid Mehri : «La société civile doit se réveiller»

L'ancien secrétaire général du FLN, Abdelhamid Mehri, a appelé vendredi l'ensemble des forces politiques qui militent actuellement en faveur d'un changement de régime à unir leurs forces pour construire un «projet national consensuel» et jeter les bases d'une «Algérie démocratique, authentique et consensuelle». «A mon sens, le véritable changement commence par un projet consensuel. Celui-ci (le projet, ndlr) doit englober toutes les forces politiques qui aspirent au changement et se construire par la voie du dialogue et de la concertation», a soutenu M. Mehri dans une conférence-débat animée conjointement avec Abdelaziz Rahabi et Djamel Zenati lors de la dernière édition des Débats d'El Watan retenue sous l'intitulé «Quel changement pour quelle Algérie ?».
Pour rendre le changement possible, l'ancien cadre de la Révolution a estimé important d'admettre l'existence, sur le terrain, de dynamiques multiples. Pourquoi ? Il s'est dit croire dur comme fer que «l'on doit admettre des dynamiques multiples pour faire admettre le changement». «Si nous arrivons à nous entendre sur un projet national et consensuel de changement et les voies, les moyens et les actions pour le faire aboutir, à ce moment-là je pense que la société aura franchi un pas important», a ajouté le conférencier. Il a indiqué, par ailleurs, que la question théorique consistant à savoir si le changement doit avoir lieu avec ou sans le régime n'est pas d'une grande importance pour lui. Le plus important, a-t-il insisté, «est de savoir clairement ce que nous (acteurs sociaux et politiques, ndlr), nous voulons».
Abdelhamid Mehri – qui a pris soin tout au long de son intervention d'expliquer en quoi le changement de régime était une nécessité pour le pays – a prévenu que le projet consensuel qu'il souhaite voir se réaliser n'a aucune chance d'aboutir s'il est le résultat d'un accord d'appareils. Dans son analyse du système en place, il a justement défendu l'idée que le régime actuel se distingue uniquement de celui en place, du temps du parti unique par le fait qu'il s'est doté d'une vitrine démocratique. Au-delà de cette différence, somme toute formelle, Abdelhamid Mehri a expliqué que les pratiques n'ont pas changé avec celles en usage dans le passé dans la mesure où d'abord «la partie occulte ou non écrite a autant d'importance» que la partie visible ou «écrite» du pouvoir. Il citera encore les difficultés rencontrées par les élus, les partis ou les militants associatifs pour activer ou faire leur travail. Cette situation fait d'ailleurs que ce sont toujours les options «venues d'en haut qui passent». L'ancien secrétaire général du FLN n'a pas omis également d'énumérer les pressions auxquelles fait face la presse quotidiennement.
Le système actuel est le produit de l'échec de l'ouverture de 1988
Ce n'est pas tout. Abdelhamid Mehri a expliqué que le système actuel qui s'illustre par son caractère autoritaire est le produit de l'échec de l'ouverture démocratique engagée en 1989. Et cet échec, il l'impute «à tous ceux qui voulaient maintenir le statu quo et ainsi qu'à tous ceux qui estimaient que cette ouverture n'était pas suffisante». Selon lui, cette ouverture démocratique, «peut-être pas suffisamment préparée», a été aussi «insuffisamment soutenue à l'intérieur du système comme à l'extérieur». «Ce sont les réactions multiples à cette ouverture qui ont donné naissance au régime actuel», dira-t-il in fine. M. Mehri – qui a par ailleurs saisi l'occasion pour rejeter toute responsabilité personnelle dans l'assassinat de Ali Mécili – a rendu nécessaire le changement eu égard au fait notamment que les gouvernements qui se sont succédé depuis l'indépendance à nos jours ont été incapables d'assurer la stabilité et de doter le pays d'une économie (alternative) qui ne soit pas dépendante des hydrocarbures. «Le changement est demandé parce que le régime choisi ou subi par l'Algérie a fait son temps. Il a démontré qu'il ne pouvait garantir ni la stabilité (allusion faite aux nombreux mouvements de révoltes connues par l'Algérie depuis 1962) ni l'efficacité et encore moins la prise en charge des grands défis qui attendent notre pays», a-t-il déclaré. A ce propos, M. Mehri précisera que la crise de 1990 n'est toujours pas réglée.
Revenant au thème du débat, – non sans avoir au préalable défendu le contrat de Rome et mis au défi le pouvoir de le publier et de dire en quoi ce texte est contraire aux valeurs nationales (il s'ensuivra d'ailleurs une petite polémique avec Abdelaziz Rahabi. Voir à ce sujet l'article de Mustapha Benfodil) —, il s'est montré convaincu que «le moment est venu pour que la jeunesse et la société civile de se réveiller et de s'organiser chacun dans son secteur pour apporter leur contribution à l'élaboration et à la réalisation du changement». Mais s'il s'est montré favorable à un «changement pacifique», Abdelhamid Mehri a néanmoins averti qu'«il faut admettre que lorsque l'on parle de changement pacifique, cela ne veut pas dire un changement facile, un changement sans peine et encore moins un changement sans lutte». Il a en outre souligné la nécessité que le projet alternatif qui doit émaner de ce consensus «soit perçu par la société algérienne tout entière comme meilleur à ce qui existe maintenant». A l'occasion, l'ancien secrétaire général du FLN a révélé que la lettre qu'il a récemment adressée au président de la République «par respect» est en fait destinée surtout à «tous ceux qui veulent participer et qui veulent opérer un changement réel du régime». «(…) C'est à la société et surtout aux cadres algériens auxquels je m'adresse pour leur demander de s'organiser quelles que soient leurs tendances, quels que soient leurs points de vue et quelles que soient leurs opinions sur ce changement. Il faut qu'ils apportent leurs contributions d'une manière organisée et durable», a encore insisté M. Mehri.
Toutefois, il ne s'empêchera pas d'inviter «les responsables actuels de prendre conscience de la nécessité d'opérer un changement». «Ce que nous leur demandons (aux responsables, ndlr), c'est de permettre à la société de se prendre en charge et de participer à l'élaboration et à la réalisation de ce changement», a-t-il précisé. Au-delà, l'ancien ministre du GPRA a appelé «la classe politique, les faiseurs d'opinion, l'élite de ce pays à ne pas attendre de recevoir le feu vert pour se réunir et mettre en place les instruments de ce changement». Pour lui, c'est grâce à la conjonction des efforts des responsables en place, de la société et des élites de ce pays que l'on peut aboutir à un changement. «Il ne suffit pas de dire il faut que le régime parte. C'est maintenant qu'on doit préparer le changement et la relève. Je parle d'un changement dynamique qui va démarrer de plusieurs pôles et qui aboutira le jour des conjonctions de toutes les forces», a-t-il soutenu. Avant de terminer son intervention, l'ancien secrétaire général du FLN a réitéré son opposition à l'instauration d'une République théocratique et a invité l'assistance à se méfier du discours sur la promotion des jeunes.
D'après lui, il pourrait y avoir là «une volonté d'imposer une fausse relève». «Il faut défendre des idées jeunes comme la démocratie et non la démocratie de façade qui est une idée vieille», a-t-il lancé en guise de conclusion.



Djamel Zenati : «Un changement comme processus de rupture globale»

C'est un Djamel Zenati des grands jours, haranguant les foules, qui est venu exposer, aux Débats d'El Watan, sa vision du changement de régime politique et l'instauration d'un système démocratique. L'assistance, très nombreuse, a eu l'occasion de redécouvrir la fougue rebelle au discours politique radical et très élaboré de celui qui, depuis le début des années 1980, fut un des acteurs des luttes démocratiques dans le pays. Lorsque Zenati a pris la parole après avoir jusque-là écouté attentivement les interventions de Abdelhamid Mehri et de Abdelaziz Rahabi, ajustant son discours, il se transforme en orateur puissant, suscitant de vifs applaudissements dans la salle. «Confier les réformes politiques au ministère de l'Intérieur c'est les mettre en garde à vue», assène Djamel Zenati, annonçant la couleur de son propos.
La conviction profonde et sans ambages qu'il a affirmé que les récentes révoltes au Maghreb et au Machreq «ont fait naître un grand espoir chez tous les peuples de la région. Elles ont réussi par ailleurs à ébranler beaucoup de certitude et à démystifier des clichés considérés jusque-là comme définitivement établis. En effet, le mythe de l'invincibilité des autoritarismes de la région s'est effondré et le paradigme de l'incompatibilité de l'Islam avec la démocratie invalidé. La thèse de l'incapacité génétique des peuples de la région à construire un Etat moderne est écartée et l'idée que ces autoritarismes sont un rempart contre l'intégrisme et le terrorisme est désormais abandonnée». C'est dans cette conjoncture «de grande intensité politique que ressurgit le thème du changement» en Algérie, a-t-il fait remarquer.
Alternant envolée lyrique et pédagogie, l'orateur est revenu sur la notion du changement avant de défendre l'idée d'un changement radical. «Le changement a longtemps été attribué par la mémoire collective à la thématique officielle». La forme propositionnelle, «changement dans la continuité» ou plus encore sa réplique populaire «changement de façade» l'ont très vite marqué d'une charge suspicieuse et caricaturale. Depuis quelque temps, la problématique du changement revient au-devant de la scène et polarise le débat public. La forme adjectivale «changement radical», avancée dans la foulée des récentes contestations, vise à réinscrire cette notion dans la positivité. Il faut toutefois préciser que le degré de généralité de cette expression et l'unanimité qu'elle suscite tend à diminuer de sa pertinence. D'où l'impératif de définir le sens que recouvre cet «objet complexe», de mettre en évidence sa nécessité et enfin de rendre visibles les conditions de sa possibilité, a expliqué Zenati.
Pourquoi un changement radical et maintenant ?
«Il est dicté tant par le contexte national que par l'environnement international» a-t-il estimé. Car, selon Djamel Zenati, «l'Algérie est doublement menacée. Elle l'est d'abord par la persistance d'un système politique autoritaire qui ne cesse de produire échec et régression. Le sentiment d'exclusion qui gagne de plus en plus de couches sociales et la paralysie flagrante des institutions légales augurent des lendemains incertains. L'affaiblissement de l'identification à la communauté nationale et le repli dans des structures à solidarité primordiale fragilisent les fondements même de notre nation. L'émergence d'utopies communautaristes, latentes ou dominées, est un signe révélateur». L'autre menace qui guette le pays, de l'avis du conférencier, réside dans «les effets pervers et ravageurs d'une mondialisation effrénée. L'option d'un développement basé exclusivement sur l'industrie extractive a imprimé un caractère rentier à notre économie. Ce qui a engendré une dépendance structurelle de plus en plus accrue. L'embellie financière, enregistrée ces dernières années, aurait pu être exploitée pour réengager notre pays dans la voie de la reconstruction. Hélas, elle n'a servi qu'à grossir les fortunes mal acquises, à entretenir les clientèles, à corrompre les consciences et à tenter d'acheter la paix sociale», a analysé l'ancien dirigeant du Mouvement culturel berbère (MCB).
Convaincu et convaincant, Djamel Zenati dont les débats d'El Watan ont marqué son spectaculaire come-back, perçoit le changement comme «un processus de rupture globale et ordonné, mettant en mouvement l'ensemble de la société et intervenant dans un climat serein et apaisé». Un processus qui doit s'accompagner d'une révolution des comportements et des esprits, estime Zenati. Il énumère à cet effet une série de ruptures à faire. «Rupture avec le néo-patrimonialisme par la reconnaissance du peuple comme détenteur exclusif de la souveraineté en abandonnant le fallacieux postulat selon lequel le peuple est incapable d'être l'agent de sa propre émancipation. Rupture avec l'exclusion par la reconnaissance effective de tous les droits. Rupture avec l'idée que la violence est le moteur de l'histoire et son utilisation comme mode de traitement des conflits politiques et sociaux. Rupture avec la gestion militaro-policière de la société par la dissolution de la police politique sous toutes ses formes». Un tonnerre d'applaudissements fuse de la salle comme signe d'approbation. Et enfin «rupture avec l'économie rentière et démantèlement de tous les réseaux maffieux et clientélistes. Rupture avec l'ensemble des dispositifs d'exception». Après ce processus de rupture global, Djamel Zenati préconise «un grand débat national sur l'état du pays», pouvant permettre une Algérie réconciliée. Un débat qui ne devrait occulter aucune question, «notamment celles relatives à la violence et à la corruption», a-t-il noté.
L'Assemblée constituante serait la traduction juridique de ce processus, prône Zenati. «Ces options fondamentales vont constituer le socle sur lequel va reposer le nouveau contrat historique dont la traduction juridique se fera par une Assemblée constituante. Une manière de restituer au peuple son pouvoir constituant et de réaliser du même coup l'une des revendications symboles du peuple algérien depuis le mouvement national», défend l'orateur.
Avec ardeur et la force des arguments, Zenati tranche : «Le changement est possible et maintenant.» «La possibilité d'un changement radical et pacifique est subordonnée à une convergence des volontés patriotiques conscientes des enjeux et s'inscrivant dans une perspective nationale. La mobilisation par le bas doit rencontrer l'expression d'une disponibilité par le haut.» Forgé dans les luttes politiques les plus âpres, Zenati sait bien que cela passe par la jonction entre les forces sociales et politiques. «Les forces sociales doivent briser les barrières du corporatisme. Les forces politiques pour leur part doivent se hisser à la hauteur des enjeux et des attentes, et se libérer des rancœurs stérilisantes du passé.» «Aux décideurs, il leur revient la plus grande des responsabilités, celle d'éviter le chaos et l'ingérence, l'un favorisant l'autre (…)», préconise-t-il.
Si dans la société, le courant dominant est au changement, il n'en demeure pas moins que des résistances demeurent. Elles se présentent, selon Zenati, sous divers aspects et à plusieurs niveaux. «Le pouvoir et ses constellations rejettent catégoriquement l'idée de changement radical sous le prétexte que le pays ne connaît pas de crise politique (…) L'autoritarisme s'est en effet doté d'un régime très particulier puisqu'il présente tous les traits de la démocratie sans avoir les attributs. Ce que j'appelle une dictature consultante», dit-il. L'autre résistance «est beaucoup plus insidieuse puisque adossée à l'idée que la contagion est impossible car ce qui se passe en Tunisie et en Egypte s'est déjà produit en Algérie en 1988». Une thèse qui «repose sur un présupposé évolutionniste et tend à faire croire à l'existence d'un ordre nécessaire de déroulement de l'histoire», analyse l'intervenant, en disant que «la peur de la chute des uns et la quête de sièges et de sinécures des autres expliquent ces postures différentes mais convergentes».


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