Chen Chuang, 23 ans, diplômé en design, écrit à la bombe sur un mur de Pékin, en grandes lettres bleues, la signature de son clan : il fait partie d'un petit groupe, en pleine expansion, de jeunes artistes qui répandent le graffiti en Chine où il était jusqu'ici peu connu. Le graffiti « n'est pas vraiment illégal », assure son ami Liu Yuchen. « Mais si l'on est pris, cela peut être assez grave », ajoute aussitôt Che qui, une fois son graffiti réalisé, s'empresse de filer. Apparu en Chine depuis quelques années, le graffiti, contrairement à sa pratique en Occident où il sert parfois de porte-voix politique, s'attache avant tout en Chine à une dimension esthétique. « Le graffiti en Chine s'est débarrassé du côté agressif ou revendicatif qu'il véhicule en Occident », explique Luo Zhongli, directeur de l'Institut des Beaux-arts du Sichuan. En Chine, « il est plus lié à l'esthétique de la vie quotidienne, et a plus à voir avec la mode ». Selon Chen et Liu, la plupart des artistes chinois se sont mis au graffiti après l'avoir découvert à travers internet, le cinéma, les magazines ou grâce à des amis qui ont voyagé à l'étranger. L'essentiel des œuvres des deux amis évoque des bandes dessinées, des images abstraites ou des mots colorés, mais n'aborde pas la politique. « Il y a très peu de gens à Pékin qui font du graffiti, et si j'inscris mon nom sur un mur et que j'aborde des choses négatives, la police me trouvera facilement », assure Chen. « On ne peut pas évoquer des thèmes politiques », confirme un autre artiste, venu de la ville de Xian. « Si on le fait, ce doit être favorable au gouvernement et au parti », assure Seker, jeune diplômé de 18 ans, qui utilise un pseudonyme. Chen explique, lui, qu'il peint en fonction des sujets qui l'inspirent, comme le tremblement de terre au Sichuan de mai 2008 ou le massacre de Nankin par les Japonais en 1937. Phénomène relativement nouveau, le graffiti n'est encadré par aucune réglementation en Chine. Chen affirme cependant connaître des gens qui ont passé plusieurs jours au poste ou ont écopé d'amendes pour avoir peint sur les murs. De plus en plus, sur le modèle occidental où des artistes comme le Britannique Banksy ont leur place dans les galeries d'art, le graffiti gagne ses lettres de noblesse. Un artiste chinois, Zhang Dali, s'est ainsi taillé une célébrité locale dans les années 90 en peignant des têtes chauves sur les murs d'immeubles pékinois destinés à la démolition. « Depuis quelques années, les graffiti sont partout. Pour les jeunes artistes, c'est une nouvelle expérience d'une nouvelle forme d'art », explique Luo. Mais malgré l'intérêt croissant des médias, la population chinoise y est encore peu familiarisée. « Très peu de gens s'adonnent au graffiti et encore moins sont au courant », explique Nat, membre du groupe Kwanyin, qui tente de vivre de cette forme d'art en les vendant. « Les gens ne comprennent pas vraiment et n'y prêtent pas attention, mais il y a un vrai potentiel de développement », assure l'artiste.