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Ne plus tricher avec les étudiants et les enseignants
Publié dans El Watan le 15 - 05 - 2011

Quand l'une n'aperçoit plus son exutoire, l'autre perd la boussole. Pour l'objectif de réforme sociale et culturelle qu'il s'était fixé, c'était mettre le rêve à la portée du réel. Rêve d'une Algérie débarrassée des pratiques obscurantistes, ouverte au monde moderne sans reniement de soi. Jusqu'à aujourd'hui, instituer le jour de sa mort au lieu de sa naissance «Journée de la Science» était une maladresse que la chronique universitaire vient hélas de corriger. La science que l'on célèbre un jour et oublie le reste du temps fait triste mine. Dans notre chère Algérie, ne coule pas le Nil. Pas plus que ne déferlent les chutes du Niagara ou ne resplendit le Taj Mahal. Mais une autre merveille du monde fait résonner son nom parmi les nations. Ce sont ses hommes. Ses grands hommes. Ses géants, morts dans le creux des vallées pour que leurs enfants puissent un jour vivre libres, penser et agir souverainement pour le bien et l'intérêt de leur pays et leur peuple.
La jeunesse qui a mené le combat de libération nationale se devait d'être adulte avant l'heure pour assumer sa responsabilité. Elle savait où elle allait, s'en ai donné les moyens et consenti les sacrifices nécessaires. Mais le projet national, né le siècle dernier, semble s'essouffler. Entre cette génération de fidayi et celle d'aujourd'hui, un gros mensonge s'est infiltré. Un jour, il faudra bien dire la vérité aux enfants des géants de tous les temps et leur rendre compte du capital légué, confisqué, dilapidé, falsifié. Il faudra surtout rendre justice à la jeunesse actuelle avant que l'injustice ne donne raison à ses dérapages ou ne cautionne son exil.
Afin qu'en Algérie se conserve et se perpétue ce patrimoine et que la galerie nationale s'enrichisse de nouveaux portraits, il est temps de poser l'index et le majeur sur la tempe et réfléchir à l'action intelligente à mener. Comment se porte la science dans notre pays ? Qui la parraine ? Qui s'en abreuve ? La Science…
Il faut le dire : dans notre pays, la science subit les affres d'une politique d'autruche. La science n'est plus la science dans la bouche des ignorants pernicieux qui se croient savants. La science est entre les mains d'intendants qui se réfèrent à des textes dont on ne se souvient plus de l'origine ni de la finalité. Des textes qui ne respectent pas la science dans la mesure où ils offrent aux gens faibles l'occasion de nuire aux gens de science. En trouvant un sens pervers aux mots ambigus qu'ils contiennent, ils débouchent sur le crime. Car, nuire aux gens de science, aux quêteurs de science, est un crime, une trahison et une intelligence avec l'ennemi de notre pays, qui est l'ignorance. Pour la tragique anecdote, rapportons le cas d'un jeune médecin gâté et bourré de prétention qui se flattait en public d'avoir torpillé l'ambitieux programme d'éradication du paludisme mis au point par un éminent professeur algérien spécialiste en parasitologie. Le géant a été contraint de quitter l'Algérie et le nain a occupé son fauteuil sans honneur. Grâce à lui, le professeur a acquis une notoriété mondiale auprès de l'OMS et le paludisme est en recrudescence en Algérie. Ces tristes exemples sont nombreux. Ils ont mené les moins chanceux à la mort par crise cardiaque.
Les gens de science portent le signe physique de leur quête inlassable. Ils ont le dos courbé et la démarche humble, même lorsqu'ils pressent le pas. Mais leurs yeux brillent et leur voix s'emporte quand ils s'emparent de l'objet de leur passion. Ils mesurent leur science par rapport à ce qu'ils ignorent et non à leurs titres. Ils portent tout naturellement leur science en partage et non comme un privilège. On ne s'y trompe pas, ils sont reconnaissables. Dans notre pays, la science est blessée, opprimée, abandonnée aux charognards. Le mouvement de contestation universitaire qui dure depuis plusieurs mois déjà donne une preuve supplémentaire s'il en fallait à la déliquescence qui atteint ses organes. L'enseignement supérieur balbutie et la recherche scientifique est bâillonnée, parfois par ceux-là mêmes qui prétendent les défendre. Le tourment associe étudiants et enseignants et épargne sans surprise les intendants de l'université. Ceux-là s'en réfèrent à leurs supérieurs, qui s'en réfèrent aux textes, qui desservent la science et la rabaissent au niveau qui leur est accessible, celui des amateurs de science.
Alors, entre le sable et les nuages, quel sera notre choix ? Faut-il enfoncer plus au fond son coup et attendre le passage de la tornade ? Ou bien voler au-dessus de la mer et quémander une solution high tech ? L'Histoire de notre pays nous invite à ne retenir aucune de ces deux options. Lorsqu'il faut aller au combat, il faut y aller.
Etre jeune, étudiant ou non, et fronder impétueusement pour défende la justice, c'est rallumer un feu que l'on croyait éteint à force de mépris et de brimades. C'est l'unique raison qui pourrait nous faire regretter de n'avoir plus vingt ans aujourd'hui. Mais chaque génération mène son combat et les quêteurs de justice et de science ne se replient jamais. Celui qui nous agite aujourd'hui est un projet de développement national auquel chacun peut et doit participer.
Le mouvement universitaire porté haut et fort par les étudiants est aussi celui de leurs compagnons d'infortune : les enseignants-chercheurs, qui ont autre chose qu'une passive sympathie à leur offrir. La principale revendication de ce corps unifié est la mise à niveau de la qualité de l'enseignement. Objectif qui exige également la révision du système pédagogique scolaire qu'aucune personne sensée n'ose encore défendre face à l'évident échec qui le caractérise. Il est quelque peu rassurant de constater que les nouveaux bacheliers, malgré leurs lacunes, qui rejoignent l'université algérienne réalisent vite que le grand étang qu'ils apercevaient au loin n'est qu'un mirage en vérité. Avant la fin de la première année, ils ont une opinion sur le contenu du programme enseigné, ils savent reconnaître les bons profs et surtout commencent à soupçonner la finalité incertaine de leur formation. Le système universitaire LMD introduit depuis deux ans en Algérie, est encore en débat en Europe et en Amérique.
Dans ces pays développés, où tout semble couler de source, on s'inquiète de l'avenir de la société de connaissance. Ce sont les enseignants eux-mêmes qui dénoncent la liaison dangereuse du système éducatif scolaire et de formation supérieure avec le monde du marché. Une politique qui précarise l'enseignement en le subordonnant à l'instabilité économique aux dépens d'une formation qualifiée en outre réservée à de rares privilégiés au sein d'écoles difficiles d'accès. L'Algérie indépendante, qui a opté pour la démocratisation de l'enseignement, ne doit pas rêver d'être ce que d'autres rêvent de ne plus être. L'Algérie indépendante du XXle siècle crie fort sa plus haute ambition. Par conséquent, il ne faut pas attendre d'en être soi-même victime pour découvrir l'injustice que subissent les étudiants et enseignants algériens. Il ne faut pas être sourd à leur plainte et faire comme s'ils n'existaient pas juste en fermant les yeux devant leur foule qui grossit de jour en jour sous nos fenêtres.
En dehors de l'ambiguïté des règlements de gestion sur lesquels s'appuient certains intéressés pour sévir et se servir, il y a une stratégie universitaire à actualiser et moderniser. Certes, il y a des modèles étrangers à adapter, mais il y a également une expérience locale à capitaliser et une intelligence nationale à investir dans le maintien d'une perméabilité sélective aux idées nombreuses qui percutent la paroi de notre université.
Se réfugier dans la démagogie et assurer ses arrières par des procès-verbaux de réunion avec les étudiants ou les enseignants n'apporte rien que l'illusion d'être encore le chef et de le clamer à genoux. Les gens de science sont tolérants, c'est le signe de leur intelligence et de leur force. Les gens de science ouvrent le dialogue et vont au devant du compromis honnête et loyal. Ils ne passent à l'acte qu'en raison de l'inaction politique qui veut les conduire n'importe où, les pousser vers le chemin facile, sans doute le plus dangereux, celui de l'amateurisme. Donner la science à un amateur, c'est comme fournir une arme à un fou, disait Kierkegaard. Un vieil adage bien de chez nous, bien misogyne et bien moyenâgeux, dit : «Consultes-les (les femmes) et contraries-les.» C'est ce que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique vient de faire appliquer à la lettre aux chefs d'établissement de l'enseignement supérieur, réunis le 27 mars en conférence nationale.
L'espoir réside dans les quelques rebelles, qui existent sans doute, acquis à la cause des étudiants et enseignants et qui défendent leurs intérêts par devoir et esprit de responsabilité vis-à-vis de l'Algérie et de la science. Les dispositions prises à l'issue de cette conférence présentent le profil type d'une démagogie paranoïaque qui ne supprime ni ne résout le problème. Des phrases ambiguës, machinalement transcrites par un scribe qui n'a pas connaissance de leur portée. La même insuffisance qui promulgue des décrets sitôt approuvés, sitôt abrogés et qui est l'apanage d'une navigation à vue. A courte vue. Instable, irréfléchie, chaotique, dangereuse. En 1962, les avertis se posaient déjà la question Où va l'Algérie ? Grâce à cette apolitique de développement humain, il est probable que nous foncions droit sur le tsunami. Si la vague ne vient pas à nous, eh bien, nous irons à elle. Au prochain acte, le rideau tombera sur une grande nation devenue infanticide. Et la télévision nationale de diffuser une émission régulière, à l'objectif occulte ou trop évident, sur les forces et compétences scientifiques algériennes à l'étranger. Serait-ce une invitation au voyage ? Ou bien une apologie du système éducatif national ? Quel but pervers se cache derrière ces présentations ?
De jeunes étudiants, issus de l'université algérienne, auraient progressivement acquis des niveaux de connaissance et conquis des postes de responsabilité désespérément convoités par les ressortissants des pays mêmes qui les accueillent et leur rendent hommage. Fruit d'un effort personnel, d'une vocation brillante, d'une éducation positive qui les ont hélas irrémédiablement poussés hors des frontières de leur pays.
C'est dire que les diplômes d'ici-bas finalement ne sont pas au plus bas. Que l'idée d'une équivalence juste entre les titres obtenus à l'étranger et ceux péniblement arrachés en Algérie n'est pas farfelue. Que la supériorité systématique des doctorats étrangers sur les doctorats nationaux non seulement n'a pas de fondement objectif, mais pourrait être renversée. Les conditions d'obtention du doctorat en France notamment, dont nous copions aveuglément le moindre trébuchement, permettent aux candidats, qui répondent par ailleurs à un appel d'offre émis par des laboratoires de recherche, de développer leur thèse en trois ans sur un aspect unique de problématique pré-défrichée, dans un environnement sans souci majeur pour le pain quotidien de leurs enfants, l'hygiène, les commodités et l'équipement du lieu de travail, la documentation, les publications, la participation à la recherche et l'enseignement, la présentation de communication, etc.
Au bout de quelques années, les universitaires algériens, qui ont bénéficié de bourses de recherche à l'étranger, retournent au pays, primés de l'habilitation à diriger des recherches. Mais c'est ici et non dans le milieu de forte concurrence étrangère qu'ils acquièrent rapidement le grade de professeur grâce à ce laissez-passer nécessaire et suffisant. Alors que leurs collègues restés au pays perdent un temps précieux dans le labyrinthe d'une bureaucratie stupide, jalousement gardée par les mêmes ignorants qui se croient savants. Pour ces raisons, nous saluons le djinn futé de la conférence nationale qui a glissé dans le texte une option au mérite insoupçonné. Peut-être a-t-elle été conçue dans le but d'impressionner ou d'intimider les étudiants et les enseignants en brandissant, comme les gens faibles, la menace avant la bagarre ?
En vérité, pour autant qu'elle soit réellement mise à exécution dans les plus brefs délais – car rappelons-le, le processus administratif de préparation des examens de fin d'année a bel et bien été enclenché faisant fi de la grève persistante des étudiants –, elle représente une chance à ne pas manquer. Nous sommes bien d'accord, ce dossier nécessite une réflexion approfondie et la commission d'expertise est la bienvenue parmi nous. Est-il également nécessaire de préciser les tâches qui l'attendent. Car, il ne s'agit pas de calmer les symptômes du malaise sans en traiter les causes. Il ne s'agit pas d'évaluer uniquement des programmes confectionnés à huis clos ou improvisés au jour le jour, ni de tailler un corps universitaire aux mesures exigées par le système LMD.
Ce groupe d'experts aura pour mission d'expertiser en premier lieu la politique universitaire, sa stratégie de développement et les moyens humains et matériels dont elle dispose, car elle n'en manque pas. Nous sommes favorables à ce filtre et confiants face aux découvertes surprenantes qu'il ne manquera pas de révéler sur les compétences et qualités réelles de chaque maillon du monde universitaire. Y compris les prétendus intouchables si enivrés par les bonnes grâces de la cour qu'ils en oublient les règles élémentaires de politesse, de respect d'autrui et d'éthique universelle. Il suffit pourtant d'ouvrir un manuel scolaire pour se rappeler que les monarchies autant que les républiques succombent tour à tour à la ferveur des opprimés d'hier, révoltés d'aujourd'hui.
L'Algérie est un pays riche. Notre pays est riche et nous n'acceptons pas que ses ressources soient distribuées en privilèges par et vers quelques-uns aux mérites douteux, qui plus est sans bénéfice aucun pour son développement ou sa gloire. Ceux qui continuent à tricher avec les étudiants et les enseignants universitaires devraient ouvrir les yeux et les oreilles et reconnaître l'existence d'une revendication déterminée et légitime de justice et de progrès.
Il faut dire la vérité et traiter ses interlocuteurs avec respect pour éviter à l'avenir d'être les victimes d'une inquisition impitoyable et méprisante qui finira bien par s'instaurer. Ceux qui ne disaient rien n'étaient pas consentants pour autant. C'est ce que rapporte avec pertinence un autre vieil adage bien de chez nous ; «La promesse du muet est dans sa poitrine.» Et c'est ce que nous invite à méditer l'actualité du monde tout près de nous.


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