Mercredi soir, au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi, le nombreux public qui s'est déplacé pour assister à la pièce Zaoubâa fi findjan (La tempête) de Ahmed Rezak, présentée à la faveur du sixième Festival national du théâtre professionnel (FNTP), ne s'est pas ennuyé. La nouvelle production du théâtre régional de Annaba déborde de scènes loufoques. Cela comme par un lit à la verticale où un maire raconte son cauchemar à son épouse. «J'ai rêvé que je coulais dans les toilettes !», lui confie-t-il. Tout aussi drôle que lui, la femme se moque de lui avant qu'une voix s'élève dehors : «Sid'raïs ! Sid'raïs !» (monsieur le président !). C'est Hmaïda, l'adjoint du maire, qui arrive avec une lanterne rouge annoncer l'arrivée d'un télégramme d'Alger. Et voilà que Aïssa, le garde du corps, sort du parterre de la chambre à coucher du maire. Il est camouflé, portant des habits aux mêmes couleurs que le carrelage. «Tu m'as dit de me coller à toi !», a crié Aïssa à l'adresse du maire. C'est peut-être une manière de suggérer que les présidents d'APC en Algérie sont moins accessibles qu'un ministre. Ces «élus locaux» s'entourent de gardes du corps, tout en muscles, qui empêchent toute «menace» citoyenne ! Le maire et Hmaïda vont tenter de décrypter le contenu du message. Les deux ne savent pas lire. Ils doivent solliciter le secrétaire général et le comptable. Le premier s'est enfui et le deuxième est mort d'une crise cardiaque. C'est le règne de l'ignorance donc ! Que faut-il faire pour savoir ce que contient le télégramme ? c'est la panique. Ou c'est la fête au village. Ou les deux. Dans ce village, toutes les femmes sont enceintes. Cela ne les empêchent pas de danser au rythme rock ! Le maire va dans tous les sens. Il craint l'arrivée d'une commission d'enquête qui va dévoiler le détournement du budget d'un hôpital. «Rassures-toi, il y a des gens qui ont volé tout un pays et on ne leur rien fait !», lui dit son épouse. Le parallèle L'impunité qui protège les grands corrompus sur ces terres, avec la complicité largement prouvée de la justice, n'est pas une vue de l'esprit. Molière disait que la comédie est une manière de corriger les vices des hommes «en les divertissant». C'est appliqué à la lettre dans Zaoubâa fi findjan, une pièce qui prête au vaudeville sa légèreté. Mais on ne résiste pas à la tentation de faire un parallèle avec Carnaval fel dechra, la fameuse comédie mettant en vedette l'acteur Othmane Ariouet (aujourd'hui mis à la marge). Le scénario semble être largement inspiré de cette comédie. Même le prénom de Dalila, la mystérieuse femme qui bénéficie des lots de terrain dans Carnaval fel dechra, y est dans la pièce. Autant que le bendir ! Sur scène, les comédiens, Hamza Hamoudi, Nouara Berah, Bachir Slatnia, Abderrahmane Djemouai, Amina Belabed, Safa Harbi, Hocine Souilah, Mohamed Reda Boussaïd, Bahoul Rabeh et Mohamed Salah Ghédjati, ont fourni beaucoup d'efforts. Des mouvements, des gestes, des cris, des contorsions… Bref, le corps est sollicité jusqu'à épuisement. Aussi faut-il voir de l'excès dans cette démarche physique même si l'esprit de la pièce imposait cet engagement. Le contenu humoristique a aussi des hauts et des bas. Le metteur en scène n'a pas pu éviter, parfois, de tomber dans le travers de la lourdeur en étirant trop les scènes. Pas besoin aussi de revenir à chaque fois au point de départ, cela finit par lasser le spectateur. La scénographie de Ahmed Rezak a relativement réussi à restituer l'ambiance d'un village où poussent des piliers en fer et en béton, comme ceux qui défigurent le paysage urbain dans le pays profond. Adepte de l'expression picturale et du renouvellement scénique, Ahmed Rezak, aidé par Brahim Nekaâ, a peint des morceaux de tableau à travers les costumes : orange, vert et jaune pour les personnages féminins, gris, beige et café pour les personnages masculins. Et de la peau de vache pour Monsieur le maire, «sid'rais» ! «La scénographie m'a permis d'appréhender, de connaître l'espace. C'est la mise en scène d'un univers», a confié Ahmed Rezak, lors d'un précédent débat sur le théâtre. Autant dire que dans Zaoubâa fi findjan, la forme y est, le fond c'est à discuter. Dommage qu'au FNTP, les représentations ne sont pas suivies par un débat ouvert avec le public. Il faudra peut-être y penser pour les prochaines éditions.