Pour une fois, nous avons vu, avec Moustanqaâ el Dhiêb et Zawbaâ fi findjan un réel travail de mise en scène, une véritable implication des comédiens, et une utilisation de la lumière, comme élément-clé dans l'œuvre théâtrale. Mise en scène par Fawzi Benbrahim, et produite par le Théâtre régional de Batna, Moustanqaâ el Dhiêb a été présentée à la salle Mustapha-Kateb du Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi dans le cadre de la compétition du Festival national du théâtre professionnel d'Alger. La pièce qui est une traduction de l'œuvre Frank V de l'auteur allemand Friedrich Dürrenmatt, et qui semble appartenir au mouvement d'Anticipation sociale, nous plonge dans un univers saugrenu. L'histoire se passe dans une banque, dirigée par Frank V, héritier d'une longue lignée de banquier. Au bord de la faillite, Frank et ses associés décident de trouver de nouvelles ressources, de recruter de nouvelles têtes et d'escroquer de nouveaux pigeons. Une alliance qui pousse ces individus ivres de pouvoir à commettre les plus graves excès, les plus grandes aversions, les plus vils instincts. Moustanqaâ el Dhiêb ponctue les situations incroyablement fantasmée par un discours logique et sans faille sur le rapport entre l'homme et le pouvoir. La pièce semble nous signifier que dans sa quête, l'homme rencontre la bêtise, fait alliance avec le diable, prend le pouvoir, fait tout pour le garder, et s'autodétruit en se mettant à dos ses amis avant ses ennemis. La mise en scène de Fawzi Benbrahim a comporté plusieurs points intéressants, notamment l'effet de distanciation (des explications des comédiens à l'adresse du public, l'entrée des acteurs par les portes de la salle de spectacle), la bonne occupation de l'espace scénique, l'utilisation de procédés cinématographiques dans la mise en scène (flash-back). En outre, la lumière avait véritablement une fonction dans la mise en scène, puisqu'un travail sur quatre lumières a été réalisé (lumineuse pour le bar censé représenter le monde réel, tamisée pour la banque, sombre pour la focalisation interne où le spectateur “entre” dans la tête des personnages, et une lampe-torche dans un noir total). Le décor était en rouge et noir. Un choix polysémique. Dans la pièce, le rouge symbolise la passion (pour l'argent), mais cette couleur est également représentative du pouvoir, puisqu'à Rome par exemple et dans les anciens temps, les hommes de pouvoir s'habillaient en rouge (Jules César, les hommes d'Eglise…). Quant au noir, il prend le sens du pouvoir, car le noir est la couleur des ténèbres et du mal. Toutefois, Moustanqaâ el Dhiêb a perdu de son intensité au milieu de la représentation, car le metteur en scène a pris trop de temps avant d'introduire le public dans le vif du sujet. Il semblerait que l'idée était d'installer l'univers complexe de la pièce. Se noyer dans un verre d'eau ! Présentée en compétition également, Zawbaâ fi findjan (qu'on pourrait traduire par l'expression “se noyer dans un verre d'eau”) est la dernière production du Théâtre régional Azeddine-Medjoubi de Annaba. Ecrite et mise en scène par Ahmed Rezzak, la pièce nous place dans un village peuplé d'analphabètes. Seul deux hommes savent lire : un comptable et le secrétaire général de la maire. Un beau jour, l'élu du peuple, le maire du village reçoit un télégramme de la ville qu'il n'arrive pas à déchiffrer. Il l'envoie par un émissaire au comptable, mais ce dernier le lit et meurt d'une crise cardiaque sans dire un mot. Lorsque le secrétaire général se rend compte de ce qu'il y avait d'écrit dans ce courrier, il prend la poudre d'escampette. Perdu et effrayé, le maire croit que c'est un ministre qui viendra rendre visite à sa bourgade, et décide de tout repeindre, de tout restaurer, de rendre vie au village. Mais le télégramme annonçait quelque chose de bien pire encore que la visite d'un haut responsable du pays. Lorsque notre maire le saura, il sera déjà trop tard. Mais le télégramme n'est qu'un prétexte pour faire rire le public aux éclats et pointer du doigt certaines situations et autres comportements révélateurs de la bêtise humaine (inculture, manque de civisme, appétit du gain…). Travaillant sur différentes catégories esthétiques (absurde, burlesque, comique), le metteur en scène a largement justifié ses choix artistiques (la danse pour accentuer le ridicule ou pour représenter une situation précise comme l'accouchement). Le metteur en scène a réalisé un travail exceptionnel sur la cacophonie, et a surtout bien dirigé ses acteurs, qui n'ont manqué ni d'entrain ni de talent. La scénographie signée Ahmed Rezzak également, était surprenante, et le travail sur la lumière fort intéressant. En somme, on commençait à désespérer, mais ces deux pièces redonnent quelque peu l'espoir puisque pour une fois, le travail est palpable et l'implication perceptible. Pourvu que ça dure !