Le gouvernement a renoncé à la monnaie nationale vidée de toute valeur par des années de folle inflation. Nyoko Nyazvigo compte ses maigres recettes de la journée, dans son village reculé de Mudzi, au nord-est du Zimbabwe, séparant consciencieusement quelques dollars américains des rands sud-africains et meticals mozambicains. Pour survivre, cette veuve de 43 ans va chercher l'eau pour d'autres familles et nettoie des maisons de l'autre côté de la frontière mozambicaine proche, en plus de son labeur quotidien dans ses parcelles de sorgho et de maïs. Ce n'est qu'ainsi qu'elle peut glaner les précieuses devises étrangères, seules acceptées désormais au Zimbabwe depuis que le gouvernement a renoncé à la monnaie nationale vidée de toute valeur par des années de folle inflation. Mais elle ne regrette pas. « Avec le dollar zimbabwéen, les prix changeaient presque tous les jours, puis même toutes les heures », se souvient Mme Nyazvigo. « Avec les dollars américains et les rands, même avec les quelques meticals que je gagne, je sais que je peux mettre des sous de côté pendant une semaine et que je pourrai acheter quelque chose », souligne-t-elle. Si la journée a été bonne, elle peut réserver jusqu'à 30 rands (quatre dollars US environ) pour payer l'école de ses quatre enfants. Avec ces revenus, Mme Nyazvigo fait partie des Zimbabwéens qui s'en sortent. 65% des 12 millions de personnes qui vivent dans les zones rurales du pays se débrouillent avec moins d'un dollar par jour, selon des chiffres gouvernementaux. L'abandon de la monnaie nationale, en janvier, a immédiatement calmé l'envolée des prix. Les marchands ont pu remplir leurs étagères vides, et le gouvernement d'union, créé en février après un an d'une crise politique et humanitaire sans précédent, tente de redresser une économie en ruines. Mais, faute de devises, la vaste majorité des Zimbabwéens n'a pas accès à ces denrées miraculeusement de retour, de la nourriture aux médicaments, et les enfants sont privés d'école où l'inscription est exigée en dollars américains. A 260 km au nord-est de la capitale Harare, le village de Mudzi se considère comme privilégié, grâce à la proximité du poste-frontière de Nyamapanda, nœud routier sur la frontière avec le Mozambique. Les jeunes gens déchargent les camions et portent les bagages des hommes d'affaires. Les jeunes femmes parfois vendent leur corps aux chauffeurs de poids-lourds, qui doivent patienter jusqu'à trois jours pour la paperasserie douanière. Mais les paysans qui dépendent de la vente de leurs récoltes bataillent pour trouver acheteur car personne n'a d'argent, souligne le conseiller municipal Fungai Mahachi. « C'était bien d'officialiser le dollar américain », qui s'était déjà largement imposé dans les échanges, « mais ici, les gens sont pauvres. Ils n'ont pas accès à cet argent. Nous n'avons pas d'industrie ou d'entreprise qui emploie les gens », note M. Mahachi. Souvent, comme aux temps de l'hyperinflation, les paysans zimbabwéens ont recours au troc, échangeant une partie de leurs récoltes contre des services. « Les fermiers payent le meunier en maïs, pour faire moudre leur grain », explique Newturn Kachepa, député du district. Ce type de troc menace les réserves de nourriture, avertit le directeur de l'ONG Oxfam au Zimbabwe, Peter Mutoredzanwa. A cause du manque d'accès aux devises étrangères, la famine menace les zones rurales bien avant la prochaine moisson en mai, estime-t-il. Selon l'ONU, 2,8 millions de Zimbabwéens auront besoin d'une aide alimentaire d'ici mai. Une nette amélioration toutefois par rapport aux sept millions qui n'ont dû leur survie cette année qu'au soutien international.