– Les actions de protestation des médecins résidents se multiplient pour faire aboutir la plateforme de revendications qui compte, entre autres, l'abrogation du service civil. Quelle est la position du SNPSSP par rapport à cette obligation ? Pour le SNPSSP, le service civil est une injustice et une mesure anticonstitutionnelle et illégale. Cette mesure est imposée uniquement au médecin spécialiste de santé publique alors que les autres universitaires de la santé, hospitalo-universitaires, généralistes, paramédicaux, gestionnaires, ne sont pas concernés ainsi que tous les universitaires d'autres secteurs. Je rappelle que le service civil était obligatoire pour tous les universitaires jusqu'en 1990, date de son abrogation, et il a été remis uniquement pour les médecins spécialistes en l'an 2000. Le SNPSSP dénonce les propos démagogiques et politiciens de nos responsables pour imposer une obligation de solidarité et de dette vis-à-vis du pays alors que tout le monde sait qu'il y a un déficit dans tous les secteurs (enseignement, éducation, santé, etc.). – Comment le service civil a-t-il été instauré et dans quel objectif ? Le service civil a été instauré pour une raison de couverture en soins spécialisés dans toutes les wilayas du pays, en particulier les zones enclavées, les Hauts-Plateaux et le Sud. Cependant, cette mesure est une fausse solution pour un véritable problème. Si la raison est noble, les résultats sont tout à fait contraires à ce qui était fixé comme objectif. – C'est-à-dire ? On se retrouve avec une grande partie de la population algérienne qui a des soins spécialisés de deuxième collège ou pas de soins spécialisés du tout ; ce qui est une violation très grave du droit constitutionnel des citoyens algériens d'avoir accès aux soins spécialisés à travers le territoire national. Cette situation a entraîné aussi des effets pervers responsables de dizaines de morts, de milliers de blessés et de handicapés à cause de l'application de cette mesure. En effet, ce service civil, d'une durée d'une à quatre années selon les zones, concerne les médecins spécialistes fraîchement diplômés, très mal formés, en particulier dans les spécialités médicochirurgicales et chirurgicales depuis l'avènement de l'activité complémentaire en 1998. Ces jeunes spécialistes sont donc envoyés dans des zones où ils n'ont aucun encadrement et se retrouvent confrontés à la prise de responsabilités nouvelles pour lesquelles ils n'ont pas été formés. Une obligation très mal acceptée par ces jeunes spécialistes qui, psychologiquement, sont démissionnaires et n'attendent que la fin du service pour revenir dans leur ville d'origine. Cette instabilité est vécue aussi par les gestionnaires de ces établissements de l'intérieur du pays, qui ne peuvent pas investir dans le moyen et le long termes pour garder les spécialistes. C'est pour toutes ces raisons que la qualité des soins spécialisés est fortement altérée, ce qui entraîne beaucoup d'évacuations vers les grandes villes et des dégâts importants sont enregistrés. – Etes-vous d'accord pour l'abrogation du service civil ? Le service civil disparaîtra de fait si des mesures incitatives ainsi que la revalorisation de la carrière du médecin spécialiste de santé publique – à travers le statut particulier et le régime indemnitaire – sont mises en place au préalable, sans aucune discrimination avec les autres carrières de même niveau universitaire. Ce qui n'est pas le cas actuellement avec un statut et un régime indemnitaire dévalorisants, qui doivent être revus et amendés en urgence pour encourager le spécialiste de santé publique. Je rappelle que les milliers de spécialistes adhérents au SNPSSP sont concernés par le service civil. Le SNPSSP a attiré l'attention de toutes les autorités (Présidence, gouvernement, ministère de la Santé…) sur ce problème depuis plus de 10 ans. Le SNPSSP a fait des propositions à même de régler définitivement le problème de la couverture médicale spécialisée à travers le territoire national. Au lieu d'une mesure répressive qui est le service civil, il y a lieu d'encourager et d'inciter les spécialistes à partir travailler dans toutes les wilayas du pays. Que préconise le SNPSSP face à ce problème ? Il est d'abord important de valoriser la carrière du médecin spécialiste de santé publique. Cela doit être accompagné de mesures incitatives nationales, à savoir la majoration des salaires de deux à trois fois, comme cela se fait dans tous les pays du monde et chez nous aussi, dans le secteur économique. Des mesures incitatives locales, comme les bonnes conditions d'hébergement et de transport, encourageraient les spécialistes à rester au niveau de ces régions. Il est aussi important de mettre, à la disposition de ces médecins, les moyens techniques afin de mener à bien leur mission, bien que sur ce point, des efforts aient été déployés. Il est également proposé l'affectation des spécialistes en pool pour un travail sûr et efficace. Cette proposition a été faite en 1996. L'idée de jumelage entre les hôpitaux du Nord et ceux de l'intérieur du pays a été également avancée. Il y a déjà eu l'envoi d'équipes de spécialistes chevronnés pour des missions étalées sur l'année pour encadrer et faire profiter de leur expérience les jeunes médecins spécialistes. Ces mesures inciteraient les jeunes (et les moins jeunes) spécialistes de santé publique à partir dans ces zones et à fournir des soins de qualité. Cela permettrait d'éviter les déplacements de malades vers les hôpitaux du Nord et réglerait définitivement ce problème de couverture médicale spécialisée. Ces mesures seront ainsi d'un coût nettement moins important que celui de cette mesure répressive qu'est le service civil, sachant que l'Algérie a les moyens de prendre en charge ses citoyens. Malheureusement, jusqu'à présent, il n'y a pas de volonté politique de régler cette problématique, alors que des solutions existent. Il est urgent pour les pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités en valorisant la carrière de santé publique pour permettre aux compétences de rester dans le secteur, d'autant qu'actuellement, moins de 5% de spécialistes ont plus de 20 ans de carrière et 15% plus de 10 ans, alors qu'ailleurs dans le monde, le secteur de la santé publique est la colonne vertébrale du système de santé. De nombreux jeunes spécialistes algériens préfèrent aller sous d'autres cieux une fois leur service civil terminé, ce qui risque de mettre à mort la santé publique. Nous appelons les hauts responsables du pays à prendre leurs responsabilités face à cette injustice vis-à-vis du praticien spécialiste de santé publique qui alimente une hémorragie de l'élite au détriment du citoyen algérien.