Les Etats arabes se sont toujours félicité des relations « d'amitié et de fraternité » existant entre eux, même si dans la réalité, ils se tiraient dans les pattes, complotaient les uns contre les autres. Le colonel El Gueddafi est l'un des spécimens du genre. Dès son accession au pouvoir, il se choisit Gamal Abdel Nasser comme père spirituel, un homme auquel il voue une admiration sans bornes jusqu'à ce jour. Malheureusement, le raïs égyptien décède une année plus tard, le 28 septembre 1970. El Gueddafi se sent orphelin. Il lui faut un autre père. Il se tourne naturellement vers l'Algérie, dont le prestige international est encore intact. Boumediène voit en la Libye nouvelle son atout précieux pour élargir le camp progressiste dans le monde arabe. Un axe Alger-Tripoli voit alors le jour. Les deux pays se concertent en tout et pour tout. La solidarité joue à fond. Lorsque l'Algérie nationalise son pétrole le 24 février 1971 et que celui-ci est déclaré « pétrole rouge » par la France en signe de représailles, El Gueddafi débloque rapidement 50 millions de dollars pour les Algériens afin de casser l'embargo. L'argent sera restitué quelques mois plus tard sans avoir été utilisé. L'entente est parfaite. On peut même parler de grand amour. Les deux pays partageaient les mêmes idées comme par exemple le soutien aux mouvements de libération, la politique énergétique, le nouvel ordre économique international. Lorsque Es Sadate se rend à Jérusalem en 1977, l'Algérie et la Libye vont se retrouver dans le front de la résistance et de la fermeté avec l'OLP, la Libye et le Yémen du Sud pour combattre le nouveau complot anti-arabe. Mais le partenaire libyen est imprévisible, parfois encombrant. Il signe des accords d'union avec tout ce qui s'approche de lui, allant jusqu'à faire signer à Djerba avec Habib Bourguiba, malade, l'Union tuniso-libyenne. Le président algérien entre dans tous ses états. Il use de tout son poids pour faire avorter le projet qui finit par tomber à l'eau. Parce que l'Egypte de son côté lui a refusé le « mariage », El Gueddafi se met à la provoquer. Il masse début 1978 ses troupes à la frontière égypto-libyenne à la suite des accords de Camp David. Mal lui en prit. L'armée égyptienne attaque et met en déroute les Libyens. Elle aurait pu aller jusqu'à Tripoli n'était-ce l'intervention de Boumediene auprès de Sadate, lequel avait fini par suivre la voie de la sagesse. De toute évidence, El Gueddafi avait une relation bizarre avec l'Algérie. On raconte qu'un jour, Boumediene, débarquant à Tripoli, ne trouve pas son homologue au bas de la passerelle. Il décide de reprendre l'avion quand El Gueddafi apparaît. Il était caché dans un bureau et voulait tester son puissant voisin. Avec Chadli Bendjedid, les relations algéro-libyennes étaient plutôt chaotiques. Le président algérien a pris ses distances avec le « guide » estimant sans doute qu'il était ingérable. D'ailleurs, à la surprise générale, El Gueddafi signe en 1982 avec Hassan une nouvelle union, cette fois-ci avec le Maroc. L'accord, bien entendu, ne fera pas long feu. La brutale chute du prix du pétrole en août 1986 plonge l'Algérie dans une grave crise économique qui la met en état de cessation de paiement. Alger crie au secours auprès de tous les pays arabes. Aucun n'accepte de l'aider, y compris la Libye. La période des amours est définitivement close. El Gueddafi passe de l'amitié à l'hostilité. Avec l'apparition du terrorisme islamiste dans notre pays, la Libye devient zone de transit pour les terroristes algériens formés au Soudan et pour ceux venant d'Afghanistan via l'Iran, en Syrie et le port libyen de Benghazi. D'ailleurs, deux importants convois de terroristes ont été détruits par l'aviation algérienne à la frontière algéro-libyenne dans les années 1990. Pourtant, l'Algérie avait continué à faire preuve de patience à l'égard des Libyens et même à les aider quand ils ont été frappés d'un embargo international. Est-ce le dépit amoureux qui a toujours guidé El Gueddafi dans sa politique algérienne ? C'est peut-être là que réside l'explication de son comportement à notre égard.