– L'amendement du code pénal limite désormais l'initiation de l'action publique pour acte de gestion délictueux aux seuls organes sociaux de gestion. Quelle évolution présente cet amendement ? Dans quelle mesure peut-il contribuer à libérer les managers ? Il y a lieu, avant de répondre à la question, de définir les organes de gestion. Il s'agit des dirigeants chargés par les associés ou les actionnaires de représenter la société à l'égard des tiers. Ils ont, à ce titre, la qualité de mandataires. En droit de l'entreprise, cette qualité est reconnue aux dirigeants sociaux qui sont dotés d'un pouvoir de représentation. Ainsi, le PDG d'une société par actions ou le gérant d'une SARL sont investis du pouvoir de représenter la société et de prendre toutes les décisions nécessaires en son nom. La qualité de représentant est élargie au conseil d'administration, qui devient un organe collégial de direction. En droit des sociétés, la définition des pouvoirs est encadrée par la loi : les attributions du conseil d'administration ainsi que celles du PDG sont prévues par le code de commerce. Les organes de gestion tiennent leurs pouvoirs des actionnaires ou des associés. En tant que mandataires, ils répondent des fautes commises dans la gestion de la société. Dire que seuls les mandataires sociaux peuvent se constituer partie civile n'est pas une nouveauté dans le texte amendé, puisque selon le code pénal, lorsque les infractions sont commises au préjudice d'une entreprise économique dont l'Etat détient la totalité des capitaux ou d'une entreprise à capitaux mixtes, l'action publique est engagée sur plainte des organes sociaux (…). De plus, il n'y a pas que les organes sociaux, en l'état actuel de la législation, qui ont le pouvoir de dénoncer les actes anormaux de gestion. La question est intimement liée au rôle des organes de surveillance sur l'action des dirigeants sociaux. En premier lieu, ce contrôle s'exerce par le commissaire aux comptes, lequel est tenu, en cas d'infraction, de révéler au procureur de la République les faits délictueux dont il a eu connaissance. En second lieu, ce contrôle peut s'exercer par le procureur de la République, informé par le commissaire aux comptes de faits délictueux. En troisième lieu, le comité de participation, institué par la loi relative aux relations de travail, jouit de larges attributions au sein de la société. Des informations sur l'activité de l'entreprise lui sont communiquées par l'employeur. On peut citer la consultation des états financiers de l'organisme employeur, tels que les bilans, les comptes d'exploitation et les comptes de profits et pertes. Pour ce faire, ils sont tenus d'informer régulièrement les travailleurs sur les questions traitées. On ne peut exclure la saisine de l'assemblée générale de la société, par le comité de participation, en cas d'irrégularités dans la gestion. Et, de manière indirecte, le commissaire aux comptes. L'élément nouveau est effectivement la non-possibilité de la mise en mouvement de l'action publique, sans plainte des organes sociaux de l'entreprise. – N'y a-t-il pas risque de dissimulation de délits économiques ? On voit bien que votre question sur le risque de dissimulation de délits économiques est difficilement envisageable puisqu'en dehors des organes sociaux, l'action publique peut être mise en branle par le commissaire aux comptes. Plusieurs autres organes peuvent également dénoncer les agissements des mandataires sociaux : l'Etat actionnaire par le biais de ses représentants au sein de l'assemblée générale, ou encore le comité de participation qui désigne (parmi ses membres ou en dehors d'eux) des administrateurs chargés de représenter les travailleurs au sein du conseil d'administration. Par ailleurs, dire que l'amendement va contribuer à libérer les managers c'est aller vite en besogne. En effet, l'emprise des différents organes de contrôle sur l'entreprise va réduire leur liberté managériale et délimiter leur champ d'action. Ce faisant, certains contrôles sont indispensables dans le fonctionnement des sociétés : les organes de gestion doivent se conformer aux impératifs de l'intérêt social dans le cadre de leur activité interne et externe. – Les parlementaires mettent en avant la nécessité de définir les organes sociaux chargés de se constituer partie civile. Quel est votre avis ? Ce n'est pas à une définition des organes sociaux qu'il faut réfléchir, mais à celle de l'acte de gestion anormal. Car les amendements de lois portent sur la dépénalisation de l'acte de gestion. Comme il n'y a pas de définition légale, on peut considérer que l'acte normal de gestion est celui qui est engagé dans l'intérêt de l'entreprise. A contrario, tout acte accompli dans un intérêt autre est qualifié d'anormal. L'acte de gestion anormal est assimilé à l'abus de biens sociaux, qui est défini par le code de commerce. Il en est ainsi du président, des administrateurs ou des directeurs généraux d'une société par actions qui, de mauvaise foi, auront fait des biens ou du crédit de la société un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement (article 811 alinéa 3). L'abus de biens est un acte anormal de gestion. Dans les sociétés commerciales, c'est l'infraction la plus familière et la plus courante. L'élément matériel de cette infraction consiste en un acte d'usage contraire à l'intérêt social. Pour retenir l'infraction, l'acte anormal de gestion ou l'abus de biens doit porter préjudice à l'intérêt de la société. – L'amendement de deux dispositions pertinentes de la loi du 20 février 2006 complétée, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, introduira une disposition selon laquelle l'intention délibérée sera requise pour poursuivre un gestionnaire. Cela contribuera-t-il à faciliter les procédures d'appel d'offres ? L'intention délibérée pour poursuivre un gestionnaire n'a pas lieu d'être précisée puisque dans tout acte anormal de gestion, l'élément moral de l'infraction est requis : c'est la loi qui l'exige. C'est, pour l'essentiel, la mauvaise foi et l'usage à des fins personnelles. L'usage de mauvaise foi consiste à agir avec conscience et en toute connaissance. La simple imprudence ou la négligence ne sont pas réprimées pénalement. L'usage à des fins personnelles consiste à favoriser une société ou entreprise dans laquelle le dirigeant est directement ou indirectement intéressé. A la question de savoir si l'amendement contribuera à faciliter les procédures d'appel d'offres, la réponse est claire. A mon avis, plusieurs autres textes doivent faire l'objet d'amendements, pas seulement la loi relative à la prévention et à la lutte contre la corruption : le code des marchés publics ou le code pénal. La responsabilité des dirigeants d'entreprises est inscrite dans plusieurs textes législatifs et réglementaires. Il s'agit d'entreprendre un toilettage général, non pas d'une, mais de plusieurs législations inhérentes à cette responsabilité. Les modifications actuelles sont peut-être le début d'un parcours qui aboutira à la sérénité de l'action managériale et à la responsabilisation des managers. C'est ce qui facilitera les procédures d'appel d'offres et non pas l'amendement d'un ou deux articles de loi. Pour cela, il suffit d'avoir en tête l'intérêt social de la société, qui doit transcender les seuls intérêts de l'Etat actionnaire. Il y a lieu de prendre en compte l'intérêt propre de la société en tant que personne morale, dans laquelle l'actionnaire et les organes sociaux doivent agir dans le respect «des engagements souscrits, du pacte social, de l'ordre public et des obligations vis-à-vis des tiers».