– Quelles sont vos observations générales sur la détention des condamnés à mort ? Paradoxalement, l'administration pénitentiaire est, dans l'appareil judiciaire, le secteur qui fonctionne le mieux. Il y a parfois des dérives, mais la situation carcérale des détenus est dans l'ensemble satisfaisante. Beaucoup plus que la qualité des décisions rendues. En revanche, j'ai découvert avec effroi, à l'occasion d'une affaire traitée au niveau de la Cour suprême, que les condamnés à la peine de mort étaient privés de panier. Sauf erreur de ma part, depuis le début des années 1990. C'est évidemment une décision inhumaine, injuste, contraire à toutes les lois du pays et bien évidemment sans aucun fondement. Ajouter à la peine de mort la privation de ce qui améliore l'ordinaire, c'est rappeler sa condition de condamné à mort à un justiciable qui n'en a pas besoin. Il n'a pas besoin qu'on lui rappelle cela. J'observe que cette privation, intervenue avant le moratoire de 1993, n'a rigoureusement aucun sens après ce moratoire. On ne peut pas décider de ne plus exécuter les condamnés à mort et continuer en même temps d'appliquer des sanctions dérogatoires au droit commun. Comme par exemple les quartiers spéciaux et dans le cas qui nous occupe, la privation de nourriture extérieure. Mais il y a infiniment plus grave. Cette privation s'applique également aux condamnés à mort qui sont en cassation, dont la peine n'est pas définitive. C'est une atteinte intolérable au principe de présomption d'innocence. Mais il y a encore plus fort, c'est que les condamnés à mort qui ont bénéficié de la cassation continuent à être frappés par cette mesure de privation avant leur prochain jugement. J'ai pu constater cette ignominie dans la défense d'une affaire, encore une fois, au niveau de la Cour suprême. – Qu'est-ce que vous préconisez ? Que toutes les maisons d'arrêt, et ce, pour l'honneur de la justice, arrêtent d'appliquer cette interdiction. Certains directeurs ont le courage de l'ignorer. Je tiens ces propos au début Ramadhan. C'est une pratique sans fondement, prise au début des années 1990. Ce qu'on ne comprend pas aussi, c'est que cette pratique ait survécu au moratoire. L'Algérie a beaucoup de difficultés à gérer ce moratoire sur la peine de mort. Tout d'abord, c'est un moratoire qui a été décidé à un moment où ont été commis les pires crimes que l'on puisse imaginer contre la population, y compris des crimes contre l'humanité. C'est donc une décision, d'autant plus méritoire, pour laquelle l'abolitionniste que je suis applaudit des deux mains. Par ailleurs, l'Algérie s'est distinguée au niveau international en militant activement pour un moratoire universel, qui n'a d'autre sens que dans la préparation de l'abolition définitive de la peine de mort. Malheureusement, nous continuons à attendre cette décision de bon sens. De plus, non seulement la peine de mort continue à être prononcée, mais il semble que les tribunaux la prononcent d'autant plus volontiers que les juges qui la décident savent pertinemment qu'elle ne sera pas appliquée. C'est peut-être ce qui explique qu'à l'occasion d'une affaire récente, deux personnes ont été condamnées à la peine de mort, alors qu'elles devaient plaider non coupables, au bout d'une délibération qui n'avait pas excédé, d'après leurs avocats,… dix minutes ! C'est digne du Guiness des records. C'est en quelque sorte une façon de se faire plaisir. J'ai participé il y a environ deux mois à la coalition mondiale pour l'abolition de la peine de mort, les 25 et 26 juin dernier à Rabat. J'ai appris à cette occasion qu'au Maroc, les juridictions prononçaient de moins en moins la peine de mort parce qu'elle n'est plus appliquée. Allez comprendre ces différences de pratique des deux côtés de la frontière. – D'où provient cette pratique qui consiste à interdire aux détenus condamnés à mort l'octroi du panier alimentaire familial ? C'est un règlement administratif de la direction générale pénitentiaire. Ce n'est pas une loi, ce n'est pas le peuple souverain qui a décidé de cette mesure attentatoire aux droits les plus élémentaires. En ce mois de Ramadhan 2011, je lance un appel à la raison, et à l'occasion de ce 50e anniversaire de l'indépendance, pour que cette mesure qui ternit l'image d'une Algérie qui aspire à la modernité et au respect des standards internationaux soit abrogée. L'Algérie a adhéré au Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, au Protocole facultatif des compétences obligatoires du Comité des droits de l'homme des Nations unies ainsi qu'à bien d'autres traités internationaux. De ce point de vue, nous sommes plutôt privilégiés. Le protocole facultatif autorise la saisine du Comité des droits de l'homme, après tout épuisement des recours, par tout citoyen algérien qui s'estime lésé dans ses intérêts. Cette possibilité est très peu utilisée, je pense d'ailleurs être le seul, avec un autre confrère, à avoir eu recours à cette juridiction internationale. Le Comité des droits de l'homme serait tout indiqué pour se pencher sur ce cas dramatique. J'espère que nous n'aurons pas à en arriver là.