Le progrès est la volonté d'accompagner le changement d'une situation donnée à un degré meilleur. En réalité, la notion de progrès est sous-tendue par les idées d'évolution et d'amélioration. Le mot « progrès » lui-même a servi, dans son sens étymologique, à designer une série d'avancées successives au sein d'un petit nombre d'entreprises aux objectifs bien déterminés. En ce sens, le progrès avait besoin d'être spécifié. On évoquait alors le progrès des sciences ou de la médecine, voire de la pensée philosophique en général. De ce point de vue, le progrès s'évalue et ne se définit pas. Il a besoin d'indicateurs pour mesurer justement l'état nouveau par rapport à l'état antérieur. En réalité, l'idée du progrès est le produit de la philosophie des tout derniers siècles écoulés, elle-même bénéficiaire des avancées de l'aufklärung. Ce siècle des lumières qui, rappelons-le en passant et sans apologie mièvre aucune, n'est pas advenu sui generis. Il a bénéficié de ce qu'on s'accorde à appeler désormais l'humanisme d'expression arabe. Toujours est-il que cette philosophie a légué aux sciences humaines contemporaines un héritage majeur illustré par la représentation areligieuse du monde et des sociétés. Une représentation qui récuse l'argument d'autorité. Un argument qui clôt tout débat avant même qu'il ne s'ouvre, auquel cas on ne peut plus discuter et on ne peut plus avancer. Donc cette représentation du monde et des sociétés s'écarte ainsi résolument de la pensée médiévale, tournant le dos à la résignation fataliste, aux arias de la vie. Cette pensée expliquait tout, ou presque, par la volonté divine et l'intervention directe d'un dieu omnipotent dans tous les mécanismes naturels et de la vie des hommes. C'est Dieu qui rétribue et récompense dès ici-bas comme Il peut y châtier également, selon Son bon vouloir et Son désir, sans attendre le jour du Jugement dans l'au-delà ! Aussi, eu égard à cette vision, la notion de progrès, notamment en Occident, semble-t-elle s'imposer petit à petit aux hommes de la fin du dix-neuvième siècle comme un éloignement du discours empreint de religiosité. Elle consiste essentiellement en un affranchissement de tout argument d'autorité. Elle est devenue, à vrai dire, une notion acquise dans le temps. Et elle est d'ailleurs diversement comprise selon le temps, l'espace et les cultures. Par la suite, le progrès s'est confondu avec le perfectionnement économique, puis il s'est assimilé aux découvertes scientifiques. Ce n'est que plus tardivement encore que le concept de progrès a rejoint la notion d'innovation, au point d'y être identifié. A cet égard, la culture technique issue de la révolution industrielle, élaborée notamment à partir du dernier quart du dix-neuvième siècle, assimile quasi exclusivement le progrès à l'aptitude d'innover. En tout cas, le concept de progrès paraît très simple en ce sens que les sociétés humaines sont orientées dans leur évolution vers un point, à l'horizon, vers lequel elles convergent. Et elles y arriveront en dépit des obstacles et des pesanteurs culturelles et sociales. Ce ne sera qu'une question de temps et d'aptitude relevant davantage de l'instruction et de l'acquisition du savoir. Elles s'affranchiront ainsi du triptyque redoutable de la misère, de la maladie et de l'ignorance. Elles parviendront toutes, grâce à la science et à la connaissance, à vivre en paix dans des Etats démocratiques, civilisés et prospères. L'idée de progrès, dans son concept comme dans ses valeurs, est sortie du cadre de la réflexion philosophique pour se frayer un chemin à travers toutes les strates de la société. Elle fait partie désormais du discours général politique, sociologique, voire du discours relevant du bon sens populaire. Jusqu'à présent, la foi dans le progrès et ses implications demeure intacte, hormis quelques récriminations non représentatives. La terminologie a changé avec le temps. On parle tour à tour de modernisation, de développement ou de croissance. Les légitimations du progrès sont aussi nombreuses. On évoque la mission de civilisation, on avance l'efficacité économique et plus particulièrement on brandit le droit d'ingérence en vue de soutenir la longue conquête du bonheur pour toute l'humanité. Nous verrons prochainement en quoi la vision islamique et cette définition du progrès sont-elles oui ou non contradictoires.