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La nécessité absolue d'action
Publié dans L'Expression le 22 - 05 - 2006

«Continuez de croire que, grâce à vos sentiments et à vos actes, vous participez aux desseins les plus nobles.
Mieux vous entretiendrez en vous cette flamme, plus la réalité et le monde en tireront profit pour aller de l'avant.»
Rainer Maria Rilke (1875-1926)
Dans notre récent article (1), nous avons essayé de dégager les grandes lignes d'une politique à suivre ayant de meilleures chances de provoquer le développement à travers un choix de créneaux dans les domaines des technologies universelles. Cependant, face au manque de réaction de la part de nos autorités politiques, malgré cela, nous continuons de croire avec foi que cela peut marcher, et il nous appartient d'en garder, en toutes circonstances, une conscience claire, et suivre les étapes successives de cette réussite, sans laisser la moindre place à l'incertitude ou au doute.
On a eu raison de noter que le 50e anniversaire de la création de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema) n'était pas un anniversaire comme les autres qui l'ont précédé (2). Mais la circonstance s'inscrit dans une conjoncture internationale et nationale très particulière. Nous laisserons à nos éditorialistes de politique étrangère le soin de le commenter. Du point de vue national, on peut dire sans craindre de beaucoup se tromper que cela coïncide avec un tournant décisif de notre histoire.
A certains tournants de l'histoire, une société doit savoir avec quel bilan elle s'engage dans la nouvelle étape. Où en étions-nous donc à la veille du 1er Novembre 1954? Bien des générations algériennes sont nées dans le brouillard qui enveloppe les sociétés que des circonstances tragiques mettent en marge de l'histoire. Dans le brouillard, il est difficile de se frayer une route. L'individu lui-même finit par perdre contact avec le groupe, avec sa communauté, et le réseau des liaisons sociales est ainsi aboli. Et lorsque le beau soleil revient, il dissipera ce brouillard et éclairera de nouveau le ciel sans nuages, et l'horizon se dessine purement sur tout son périmètre, l'essentiel pour nous est de suivre cette voie que le Destin nous a tracé. L'astre se lève pour les peuples qui se réveillent et se couche pour les peuples qui ont sommeil.
En effet, l'Algérien qui naissait dans ces conditions, n'était rien qu'un individu : un être inerte et exclu d'une communauté mise en marge de l'histoire par la colonisabilité et individualisé par le colonialisme et le néo-colonialisme. C'était un individu survivant à une espèce disparue, dans un cataclysme géologique (3).
Faire publiquement son mea-culpa
Le pays s'est engagé dans une nouvelle étape avec le dernier discours du Président de la République au Palais des nations à l'occasion du 50e anniversaire de l'Union générale des travailleurs algériens (Ugta). Cette commémoration animée par l'actuelle Direction de l'Ugta. Il y a bien lieu d'espérer que le spectacle auquel elle s'est adonnée -qui ressemble à un piège tendu au Président de la République- nous obligera encore une fois à nous demander si la cause du mal ne se trouve pas en nous-mêmes ainsi que dans nos institutions? Une clarification et une mise au point nous semblaient nécessaires par devoir.
M.le Président de la République a présenté son Bilan septennal de 1999 à 2005 dont la réalisation majeure est d'avoir remboursé une grand partie de la dette extérieure par anticipation, inspiré peut-être du dicton populaire «qui paye ses dettes s'enrichit». Ceci conforte l'analyse faite ci-haut, une société doit savoir avec quel bilan elle s'engage dans la nouvelle étape.
En plus, il en a tiré cette conclusion significative en s'imprégnant de la sagesse populaire, M.Bouteflika dira: «Faqid chay' la youâtih (celui qui ne possède pas la chose ne peut l'offrir)». En outre, le chef de l'Etat dit avoir tiré les leçons du passé où l'Algérie «a déjà payé un lourd tribut», en raison de «l'absence d'anticipation lucide», qui a été, selon lui, à l'origine «de graves difficultés financières, de ses tourmentes et, pour partie, de la tragédie nationale». Cela s'entend par allusion à une carence d'idées et au manque de lucidité. Et l'on sent la portée d'une telle clarification dans nos idées maîtresses (1).
Ces paroles avec un franc-parler ont un accent qu'on n'avait pas coutume d'entendre dans les milieux politiques et intellectuels, uniquement préoccupés, jusqu'alors, des problèmes du quotidien sans se soucier de l'avenir du pays. Et voilà que l'on songe soudain au mal qui nous ronge, n'est-il pas en nous-mêmes ainsi que dans nos institutions? La politique algérienne, qui n'était qu'un superbe et stérile réquisitoire, prend l'accent pathétique et le sens profond d'un examen de conscience et d'un acte de contrition, un exemple à méditer: faire publiquement son MEA-CULPA relève du courage et de la foi, nous en sommes témoins.
Nous soulignons nos faiblesses pour mieux préparer les assises de notre avenir. C'est parce que nos ambitions pour notre pays sont grandes, que nous sommes exigeants avec nous-mêmes. C'est parce qu'il est aussi dans la nature de notre révolution d'associer le peuple que ses dirigeants ne veulent pas lui masquer la réalité, si déplaisante fût-elle.
A tous, il aurait fallu peut-être plus de clarté dans les définitions et l'orientation. Nous pensons que c'est chose faite (1). Maintenant, il s'agit de transformer ces idées émises en modalités concrètes d'action. Cette action est une nécessité absolue surtout lorsque nous réaliserons qu'elle découle d'une vérité, pas comme les autres, et il appartient au lecteur de ne pas faire une lecture passive, mais de réfléchir à partir des faits et des exemples présentés pour en tirer une et unique conclusion (1,5).
Mais qui peut prendre en charge une telle action? Malheureusement, les pouvoirs publics n'ont visiblement pas les moyens -ou est-ce le courage politique?- d'imposer une réorganisation globale de ce genre. Une réorganisation de l'ensemble ne peut donc être que le résultat d'une réaction en chaîne basée sur un plan stratégique par étapes. Idéalement, celui-ci résulterait d'une planification concertée entre l'industrie, l'administration, centres de recherche et universités en incluant principalement les compétences nationales expatriées. Mais pour qu'une telle volonté de planification ait une chance de se mettre en place, animée d'une volonté suffisante de changement, il serait bon que l'initiative émane du Président de la République.
On aborde ici peut-être la phase la plus difficile du travail de remise en ordre dans les différents secteurs concernés: politique, économique et social. Une action comme nous l'avons signalé, simple dans son principe mais complexe dans son exécution, car elle exige un changement des habitudes de penser et des comportements, ce serait une tâche d'hommes et de femmes sincères et dévoués. C'est là le sens profond du Grand Djihad auquel faisait allusion le Prophète Mohammed (Qsssl).
Pour opérer cette transformation de l'individu dans le sens du progrès technique, il faut se servir du verset coranique, comme d'une notion révélée et non comme une notion écrite dans les mêmes conditions psychologiques où l'utilisaient jadis le Prophète Mohammed (Qsssl) et ses compagnons: c'est là le code secret d'un peuple et l'une des exigences fondamentales de notre approche saine du développement (6).
La révolution a forgé la volonté d'un peuple
Et enfin, si la Révolution algérienne a inscrit dans la Charte de Tripoli l'Islam parmi ses principes directeurs, c'est qu'elle obéissait à une logique qui est le prolongement de l'effort de redressement social baptisé sous le nom de l'Islah qui fut d'inspiration religieuse. Sachant qu'elle avait tiré, elle-même, le plus pur de son essence et les éléments les plus forts de son idéologie, de l'Islam. Mais un Islam au sens Abrahamique du terme que le Prophète Mohammed (Qsssl) vient rappeler à tous les hommes la religion primordiale: «Tiens-toi debout, en vrai ´´hanif´´ qui professe la religion primordiale, la religion naturelle, celle que Dieu a inscrite au coeur de tout homme. C'est un don universel et immuable que Dieu a fait à ses créatures. Telle est la vraie religion, mais la plupart des hommes ne savent pas»
(XXX, 30) (3,7).
Mais la révolution a forgé la volonté d'un peuple qui entend se libérer, coûte que coûte, de l'hypothèque du sous-développement et, en un mot, accéder à la civilisation. Le sens le plus profond d'une civilisation n'est pas dans ses signes abstraits ou concrets actuels, mais dans ses valeurs éternelles. Maintenant, il s'agit de se mettre au diapason de la volonté commune et de la détermination de l'Etat. Nous devons nous hâter car, à notre époque, le développement est devenu une loi impérative. C'est là le vrai sens à donner au verset coranique «Par un cachet de musc. Que ceux qui la convoitent entrent en compétition (pour l'acquérir)» (LXXXIII, 26).
Comme nous l'avons souligné et montré dans nos articles précédents (1,5), l'Algérie pourrait s'intégrer de manière effective et efficace à l'économie mondiale à travers un choix de créneaux dans les domaines des technologies universelles, seule capable de marquer sa place dans un monde moderne où le sens de l'efficacité est premier dans l'échelle des valeurs.
Cependant, le progrès technologique accompli par l'Occident capitaliste et sa civilisation, souvent contesté, n'est-il pas de plus en plus en opposition flagrante avec sa philosophie humaniste, celle-là même qui a stimulé son développement depuis un demi-millénaire (8)? Peut-on parler de progrès technique? Les effets secondaires de ceux-ci en font payer le prix à l'humanité tout entière.
Le désordre actuel instauré par l'Occident qui a fini par perdre raison, sous le leadership des Etats-Unis, illustré par la débâcle américaine en Ira, s'avère de plus en plus injuste et dangereux. N'offre-t-il pas, encore une fois, un spectacle d'un autre chaos au moment où la conscience universelle est à la recherche d'un nouvel ordre? Il y a lieu d'espérer que ce spectacle de la civilisation occidentale, à ce tournant décisif de l'histoire, obligera les dirigeants des puissances alliées à se demander si la cause du mal ne se trouve pas en eux-mêmes et à accepter de faire un examen de conscience.
Ce mal incarné par l'esprit occidental n'est-il pas le prolongement du premier crime de l'histoire de l'humanité? Pour comprendre le drame de l'humanité, nous laisserons aux gens de faire une lecture attentive de ces deux versets coraniques: «Si tu étends vers moi ta main pour me tuer, moi, je n'étendrai pas vers toi ma main pour te tuer : car je crains Dieu, le Seigneur de l'Univers» (V, 28), et Lorsque Ton Seigneur confia aux Anges: «Je vais établir sur la terre un vicaire ´´Khalifa´´». Ils dirent: «Vas-Tu y désigner un qui y mettra le désordre et répandra le sang, quand nous sommes là à Te sanctifier et à Te glorifier?» - Il dit: «En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas!». (I, 30). Par ce rappel, nous espérons que cela devrait les pousser à réfléchir, car la vraie trahison envers les peuples, comme dit Jean Gehenno, c'est de suivre le monde comme il va et d'employer l'esprit à la justifier.
La raison occidentale tout entière avait oublié que les chemins de la science ne sauraient conduire à une raison à l'aise dans son palais, que l'ignorance est la source de tous les maux et qu'il est suicidaire de lui accorder tous les droits.
Et, nous soutenons qu'aucun gouvernement, aussi immoral fût-il, ne pourrait braver la conscience universelle en attaquant un Etat désarmé (9).
C'est dans ce contexte que les forces d'idéal de la conscience universelle interviendront pour soutenir l'action, pour infléchir les forces du mal, pour remplir notre mission: «faire le bien et réprimer le mal», voilà le fondement de toute morale.
Nous voulons dire enfin - et ceci en guise de conclusion - que nous vivons en Algérie une phase importante de son histoire, celle qui permettra à l'Algérie de s'engager dans la nouvelle étape, celle de l'édification nationale dont les péripéties échappent à notre perception tant qu'elles se déroulent dans notre esprit ou univers-idées.
De ce fait, ses conséquences ne nous deviennent sensibles que lorsqu'elles seront perceptibles dans notre univers-choses qui les rend visibles à l'oeil nu.
Si nous n'anticipons pas les événements tragiques en cette époque de conformisme en se contentant seulement de les suivre à petit pas, ou que nous sommes incapables de voir plus loin que le temps de notre vie, ou même de chaque étape de notre vie, alors on pourrait s'attendre à des moments plus tragiques encore conformément au verset: «Et quand on lui récite Nos versets, il tourne le dos avec orgueil, comme s'il ne les avait point entendus, comme s'il y avait un poids dans ses oreilles. Fais-lui donc l'annonce d'un châtiment douloureux» (XXXI, 7).
Références :
1. Science et Technologie : La nécessité absolue d'un changement d'orientation stratégique
El Watan, 1 février 2006
3. Mondialisme
M. Bennabi, Editions Dar El Hadhara, 2004
5. Lumière divine à l'origine des civilisations
El Watan, 18 février 2006
6. Vocation de l'Islam
M. Bennabi, SEC, 1991
7. L'Islam vivant
R. Garaudy, La maison des livres, 1986
8. Technologie Belge : Agonie ou renaissance ?
O. Cogels, Academia, 1990
9. L'Europe et le monde arabe
M. de Diéguez, Septembre 2004.


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