Afrique Renouveau : Y a-t-il eu, à votre avis, des progrès dans la façon de réagir des gouvernements africains face à des changements anticonstitutionnels de gouvernement dans certains pays du continent ? Saïd Djinnit : Le fait que les peuples d'Afrique estiment qu'il est tout à fait normal de respecter la constitution et de condamner, voire sanctionner, les responsables d'activités anticonstitutionnelles constitue en soi un énorme progrès. Ce qui se passe actuellement [avec les récents changements anticonstitutionnels] est une sorte de régression. Pourquoi? Parce que les institutions ne sont pas assez solides pour soutenir les progrès accomplis. L'Afrique s'est engagée sur la voie de la démocratie multipartite. En gros, c'est désormais la norme en Afrique de l'Ouest. La période de transition politique que traverse actuellement la Guinée a donné lieu à des débats quant à la nécessité de réformer l'armée et les autres services de sécurité du pays. Mais comment faire fonctionner une telle réforme ? En réalité, ce sera plus facile en Guinée. Voici un pays où il n'y a pas eu de conflit ouvert ni d'opérations de maintien de la paix, mais qui a connu des tensions graves et des incidents violents. Tout le monde, y compris les chefs de la junte, comprend bien que le problème majeur de la Guinée est l'armée et que les organes de défense du pays doivent être réorganisés et réformés. La Guinée semble être l'exemple évident d'un putsch militaire pur et simple suivi d'une vaste répression. Mais il y a d'autres cas où les partis majoritaires ont amendé la constitution pour modifier ou éliminer les limites des mandats présidentiels, permettant ainsi au président en exercice de rester au pouvoir. Peut-on remédier à cette situation ? Il reste encore beaucoup à faire sur cette question. Il faut bâtir la confiance entre les États membres, on ne peut pas tout leur demander, ils refuseront de nous suivre. Il faut donc les rassurer qu'ils peuvent se débrouiller. Les arguments juridiques de l'Union africaine sont limités. La CEDEAO, elle, en a quelques-uns. Le Protocole sur la bonne gouvernance de la CEDEAO condamne, en effet, toute tentative de modification constitutionnelle qui n'est pas consensuelle. Tel a été le cas pour le Niger. On doit donc persévérer. Nous sommes animés de la volonté de mettre en pratique les nouvelles valeurs qui nous permettront de progresser dans cette voie. L'UA, la CEDEAO et autres institutions africaines sont toutes acquises à la démocratie, mais la paix et la stabilité de certains pays du continent sont gravement menacées. Certains affirment qu'il faudrait donc privilégier la paix. Ce point de vue est-il fondé ? Tout à fait. L'Afrique est confrontée à de nombreux dilemmes. Elle veut la paix, elle veut le développement, elle veut aussi la démocratie et la justice. Parfois ces principes sont contradictoires. Mais si, à un moment donné, il y a un choix à faire, l'Afrique se rangera toujours du côté de la paix. La paix et la stabilité primeront toujours sur le reste. Non pas parce que le reste ne compte pas, mais parce qu'il n'y a pas d'autre solution. Les Africains veulent pouvoir se nourrir, mais pour cela, il faut être sûr de survivre et de vivre. Si l'on vous offre le développement, mais qu'on vous enlève la vie, à quoi cela sert-il ? Sur l'enjeu du statut de la femme, certains pays comme le Liberia ont enregistré d'énormes progrès sur le plan politique. Pourtant, les progrès sur le plan social semblent plus lents. Qu'en pensez-vous ? L'autonomisation des peuples d'Afrique est un problème global. Il s'agit de donner à tout le monde, y compris les femmes, les moyens de changer les choses. Les femmes ont été marginalisées délibérément. D'autres l'ont été également, mais pas autant que les femmes. Il s'agit donc d'un problème qui concerne tout le monde. Or, elles constituent un énorme réservoir de talent et d'imagination et une force pour la paix. Permettre aux femmes africaines de donner libre cours à leurs énergies est l'un des principaux aspects des efforts d'amélioration et de modernisation des conditions sociales sur le continent. Le rapport sur le travail du BNUAO en Afrique de l'Ouest fait état d'autres problèmes émergents comme le trafic de drogue, le terrorisme et autres problèmes. Traiter de ces problèmes à long terme ne revient-il pas à s'attaquer aux mêmes «causes profondes» qui ont été identifiées comme facteurs de conflits sociaux, tels que le chômage des jeunes et l'injustice sociale ? Tout à fait. Ça ramène forcément aux causes profondes du problème. Vous les avez énumérées : la pauvreté et ensuite la gouvernance. Les maigres ressources à notre disposition ne sont pas gérées et administrées convenablement. La gouvernance, politique et économique, est le véritable obstacle à la paix et à la stabilité, car les gens ont besoin de sentir que le pouvoir comme les ressources sont équitablement partagés. In Afrique Renouveau, magazine de l'ONU