Pourquoi cette effervescence, ces innombrables extrapolations autour de la tenue ou non de l'élection présidentielle ? Une seule raison : l'incapacité physique et intellectuelle de Bouteflika à briguer un autre mandat. C'est l'évidence même que tous les thuriféraires du régime veulent cacher sans réussir, et ce n'est pas faute d'avoir usité de subterfuges les plus extravagants pour essayer de tromper l'opinion publique. La question de savoir si le Président en exercice allait rempiler s'était déjà posée avec acuité lors de la précédente mandature. Victime d'un AVC avant même de terminer son troisième mandat, le chef de l'Etat avait toutes les peines du monde à montrer qu'il pouvait encore prétendre à assumer d'aussi lourdes charges. L'image qu'il donnait de la fragilité de sa santé lors de la présentation de sa candidature devant le président du Conseil constitutionnel est encore vivace dans les mémoires. Elle parlait d'elle-même. Bouteflika prononçait difficilement, à voix presque inaudible, son serment face à un Medelci très gêné mais qui visiblement ne pouvait absolument pas contredire cette pénible audience. Il avait devant lui un Président sortant malade, dont la santé paraissait très affectée, venu obtenir de plein droit le quitus officiel pour poursuivre l'aventure à la tête de l'Etat, alors que si les articles de la Constitution concernant les critères d'éligibilité pour l'élection présidentielle étaient appliqués à la lettre, le dossier de cette candidature n'aurait jamais dû être accepté. Ce fut le coup de force médical qui a violé de manière flagrante la Loi fondamentale du pays et qui a permis à un Président impotent et ayant perdu considérablement l'usage de la parole d'être réélu au détriment de tout bon sens et de tout réalisme. Les conséquences de cette grave entorse à la Constitution durant le mandat qui a suivi sont catastrophiques. Bouteflika est devenu invisible pour le peuple algérien. Il a de moins en moins la capacité de se déplacer, de s'adresser à la nation, ou de réunir le Conseil des ministres. Le constat est implacable : les activités les plus élémentaires d'un chef d'Etat sont réduites à leur plus simple expression. Plus son état de santé se dégradait, plus il disparaissait de l'espace public, ce qui réduisait fatalement à la portion congrue les missions protocolaires ou les affaires courantes de gestion sur les plans politique et économique. En somme, ce que les Algériens redoutaient était étalé devant leurs yeux au grand jour. A défaut d'avoir un Président actif sur la scène aussi bien nationale qu'internationale, ils eurent droit à l'ombre d'un dirigeant accablé par le sort qui ne pouvait s'adresser à la nation que par le biais de communiqués lus par une tierce personne, ou imposer sa présence dans les événements marquants par des tableaux le représentant symboliquement. Le Président énergique et prolixe, qui avait marqué de son empreinte son passage avant de tomber malade, a laissé place à un autre personnage qui n'avait plus les mêmes facultés et les mêmes aptitudes pour agir. Les lois biologiques ont tout changé. Mais cette certitude n'a jamais constitué pour les panégyristes et autres laudateurs du système un quelconque handicap pour un plébiscite intégral à la magistrature suprême, faisant en sorte que Bouteflika, bien que gravement malade, reste Bouteflika, même si son image doit servir symboliquement. Ils étaient nombreux, rappelons-nous, ces chefs de parti du pouvoir à défendre l'idée que ce dernier était bien en mesure de tenir le pays et que pour ce faire, il conservait intactes sa lucidité et ses aptitudes intellectuelles. Pour anéantir la théorie de la vacance du pouvoir qui avait été largement soutenue par l'opposition, à juste titre d'ailleurs, ces leaders, qui voulaient absolument que le chef de l'Etat reste à son poste pour pouvoir conserver leurs positions au sein du sérail, ont sorti les argumentations les plus excentriques pour nous vendre cette projection. On retiendra la plus farfelue, à savoir celle émise par le chef du MPA qui avait dit que «Bouteflika dirigera avec sa tête et non avec ses pieds». Il y eut d'autres assertions de ce genre venant du FLN, du RND ou de TAJ pour démontrer que la santé du Président n'était pas aussi grave pour réclamer sa mise à l'écart. Pourtant, tous ces chefs de parti savaient qu'ils étaient complètement dans l'erreur et que dans cette affaire qui allait engager l'avenir de l'Algérie pour les cinq prochaines années, c'était l'opposition qui était dans le vrai à travers son raisonnement. L'histoire lui donnera raison puisque les Algériens ont assisté à une véritable faillite de la direction du pays à son niveau le plus haut, incarnée par un Président absent, à tel point que de graves suspicions se sont développées sur celui ou ceux qui détiennent véritablement le pouvoir de décision à sa place. La question a longtemps fait le tour dans les rares débats publics, au niveau des médias, au sein de la classe politique ou dans la société civile, mais a été à chaque fois pervertie par les affidés du pouvoir pour ne jamais se déjuger, quitte à mettre au plus bas les intérêts suprêmes de la nation. C'est malheureusement encore avec cette logique suicidaire qu'ils s'apprêtaient à récidiver en préparant le 5e mandat. Faisant fi des énormes dégâts que le retrait forcé de Bouteflika a provoqués sur la marche institutionnelle du pays, ils ont continué à défendre aveuglément la représentation d'un homme capable d'accomplir sa mission en dépit d'un handicap trop flagrant pour être dissimulé… jusqu'au jour où ils se sont enfin rendus à l'évidence que la tromperie a une fin. L'évidence d'un chef d'Etat malade qui aurait dû quitter à temps le pouvoir au lieu de servir de couverture à des prédateurs politiques. Le spectre de Bouteflika ne pouvait, assurément, faire illusion éternellement. Et c'est la raison pour laquelle on assiste depuis quelque temps à des revirements spectaculaires dans les postures des mêmes chefs de parti du pouvoir. Exit encore le leader du MPA, qui a changé de tonalité pour rester évasif. On ne parle plus d'un 5e mandat, mais d'une «continuité» de règne pour s'adapter au mieux aux variations de l'état de santé du Président. Quel est le fin fond de l'histoire ? L'Algérie se fera avec ou sans Bouteflika, mais elle aura toujours du mal à trouver sa boussole avec des politiciens sans foi ni loi qui n'hésitent pas à compromettre les intérêts du pays pour perdurer dans les arcanes du sérail. Ces adulateurs à la carte sont en fait un mal profond. De sordides bonimenteurs qui ne pourront jamais faire de vrais dirigeants auxquels on accorde la confiance.