Qui ne se rappelle pas du fameux discours prononcé par Bouteflika à Sétif, alors qu'il approchait la fin du troisième mandat. Encore bien porté par ses jambes, autrement dit dans un état de santé donc très appréciable, le Président avait surpris son auditoire en lançant son mémorable «Tab djenan'na…», martelé à trois reprises comme il a l'habitude de le faire pour souligner l'importance et la gravité de la décision, et plus encore de la solennité de l'engagement. Traduite en termes politiques, cette envolée oratoire dont lui seul a le secret, qui n'avait rien d'une harangue de circonstance pour occuper l'esprit des foules acquises à sa cause, signifiait pour tous les observateurs avertis ni plus ni moins que la volonté affirmée publiquement d'une fin de mission anticipée que lui-même avait décidée après l'avoir mûrement réfléchie. Sans contrainte. Ni pression. En son âme et conscience. Une mission qu'il ne conduirait pas, selon la lecture qui était faite, au-delà des frontières du mandat en cours et qui remettait de manière logique au goût du jour le principe de l'alternance drôlement bafoué jusque-là. Bouteflika venait ainsi d'annoncer une décision historique dont il soupçonnait bien sûr les retombées et les réactions qu'elle allait provoquer, une résolution pour tout dire qui avait fait l'effet d'une bombe au moment où personne ne s'attendait en réalité à un départ précipité et non programmé de sa part. Toute la classe politique s'accordait en tout cas à dire que Bouteflika, face aux multiples problèmes que rencontrait le pays, notamment en raison des blocages ressentis dans la concrétisation du processus démocratique, s'était peut-être rendu à l'évidence qu'en s'éternisant au pouvoir il prenait le risque d'amplifier le désordre institutionnel dans le pays, déjà en nette évolution depuis que la Constitution a été revisitée pour instaurer des mandats présidentiels illimités alors qu'elle n'en prévoyait que deux de cinq années chacun. Mais ce n'était qu'une supposition qui allait tout de même libérer des commentaires pas toujours objectifs. En fait, cette petite phrase assassine, lourde de sens et de responsabilité lancée à partir de Sétif, ne manqua pas de susciter comme il fallait s'y attendre des débats très enflammés et surtout très controversés à partir du moment où la position du Président intriguait plus qu'elle n'ouvrait des perspectives prometteuses. Les impressions étaient fatalement mitigées aussi bien dans les rangs du sérail où le vide laissé par le chef serait cruellement ressenti que dans le camp de l'opposition où on se montrait quelque peu sceptique et prudent quant à la suite à imprimer à cet engagement, voire la parole donnée, qui ne souffrait pourtant aucune ambiguïté. La décision de Bouteflika, dans l'instant où elle avait été livrée, était-elle une ruse de guerre pour mesurer le poids d'une popularité qui commençait sérieusement à s'effilocher pour faire aussi diversion devant les impasses politiques créées par les luttes de clans au sein-même du pouvoir, ou était-elle vraiment une véritable offre de sortie de crise générée par une prise de conscience confrontée brutalement à une implacable réalité ? A ce jour, le mystère de «Tab djenan'na» reste entier bien que les événements qui ont suivi eurent compromis outrageusement la teneur symbolique du message qui avait soulevé tant d'espoirs de changement. On retiendra en tout état de cause que Bouteflika était en parfaite santé physique, morale et intellectuelle quand il avait prononcé son discours et pris à témoin les Algériens de son intention (détermination ?) à ne plus prolonger sa mission à la tête de l'Etat. Il paraissait comme toujours sûr de son choix, et serein de ses certitudes, tout en sachant qu'il serait malvenu et dangereux de faillir à ses engagements en considérant une aussi grave option comme un simple jeu de communication. Quand ils le retrouvent plus tard toujours présent à son poste pour un quatrième mandat, mais cette fois frappé d'une maladie (avc) très invalidante, les algériens eurent du mal à comprendre ce qui s'était vraiment passé entre la promesse de Sétif et l'obstination à rempiler alors qu'il n'avait entre-temps plus les mêmes facultés – surtout physiques – pour assumer sa charge. Comment pouvait-il vouloir renouer avec la plus haute responsabilité en étant fortement handicapé après avoir suggéré le renoncement à cette même responsabilité quand il était en bien meilleure santé ? L'attrait du Pouvoir porte sûrement en lui une raison que la raison ignore. Résultat, depuis sa fracassante déclaration, c'est sa maladie de plus en plus invalidante, comme en témoignent les rares photos qui le montrent en public, qui s'est retrouvée au cœur des polémiques politiques entretenues à… raison par l'opposition. Cette dernière est unanime à reconnaître que le quatrième mandat non désiré par le Président lui a été imposé par les dignitaires du régime avec la bénédiction du clan familial pour maintenir le système de gouvernance dans un statu quo suicidaire, par lequel ils évitent les revendications populaires pour le changement. C'est un secret de Polichinelle de dire que l'opposition reste convaincue que c'est davantage l'image de Bouteflika qui est instrumentalisée pour servir le régime et tous les affidés qui gravitent autour pour défendre des intérêts bien compris. Exemple, lorsqu'Amara Benyounès s'acharne à fustiger violemment tous ceux qui critiquent les dérives bien réelles du système, il le fait pour marquer de façon encore plus accentuée son allégeance au clan présidentiel synonyme d'un éventuel retour d'écoute. La maladie du Président est devenue une sorte de tremplin maléfique pour les courtisans de tous bords qui aspirent à se placer dans la périphérie du Pouvoir tant qu'il y a encore des places à prendre. Ils sont légion à opérer tous les retournements possibles et imaginaires (Benyounès était lui-même dans l'opposition à ce régime) dans le seul but de s'attirer la grâce d'un Président malade et dont l'invalidité n'a été inventée par personne. A commencer par le Premier ministre qui, pour «protéger» le premier magistrat du pays des attaques politiques de ses adversaires, traite les opposants de «nihilistes» alors que tous les clignotants du pays sont au rouge. En vingt années de règne sans partage de Bouteflika, l'Algérie est toujours tributaire à 99% de son pétrole. Où est le progrès économique ? C'est la seule vérité qu'il faut prendre en compte. Le reste, même la maladie du Président, ce ne sont que des accessoires.