– Dans vos causeries quotidiennes avec Djamel Keddou, de quoi parliez-vous ? Un peu de tout. Nous écoutions de la musique, histoire de décompresser un peu. Lui était un passionné d'un artiste «usmiste» jusqu'au bout des ongles, El Hachemi Guerouabi. Moi, j'étais plutôt adepte du cheikh El Anka. Nos instants musicaux étaient également agrémentés de chansons françaises des années 1970. Un tube a résonné en boucle dans notre chambre : L'été indien, de Joe Dassin. Ses paroles étaient en phase avec notre âge, elles nous rappelaient nos routes de vacances respectives : pour Djamel, la côte ouest algéroise dans l'axe de son Bab El Oued natal, et pour moi, plutôt la côte est dans le prolongement de Kouba. – Comment l'efficace défenseur que vous avez été a réagi à la disparition de l'élégant défenseur qu'il était ? Ma réaction, malheureusement posthume, est loin de se limiter à la seule appréciation de l'élégance de Djamel. Une élégance qui, ajoutée à une somme d'autres qualités, l'a érigé au rang des meilleurs défenseurs du football algérien. Plus qu'un coéquipier (EN) ou un adversaire (USMA-Kouba), Djamel était un ami, un vrai. Je le pleure, car il me manque déjà et il va me manquer pour le restant de mes jours. – Un enfant de Kouba, ami d'un «ouled Bab El Oued», qui plus était dans le monde du foot. Pas évident d'être ami dans l'environnement imprévisible et tortueux du foot… L'amitié – la vraie, la sincère – se défait des frontières et des couleurs «clubistes». On peut être ami quand bien même on appartient à des quartiers différents, quand bien même on évolue sous des bannières footballistiques rivales. On ne laisse pas la vertu de l'amitié à la porte d'entrée du stade. Le monde du foot à nous – Djamel, moi et toute notre génération – était un environnement sain, propice à l'amitié authentique. J'étais devenu l'ami du regretté Djamel grâce au foot. Un monde, faut-il le rappeler, dont le vécu et l'imaginaire à l'époque ne se conjuguaient guère au mode du mercantilisme, de l'égoïsme et de l'argent à tout-va. – Comment manifestiez-vous votre amitié ? Djamel et moi étions liés par une amitié de tous les instants. Lui, oulid Bab El Oued, et moi l'enfant de Kouba, communiquions chaque jour. Et Dieu sait que ce n'était pas facile à l'époque, du temps la communication rustique des années 1970, à des années lumière du téléphone mobile, mais cela ne nous empêchait pas d'être en contact, de nous aimer, de nous respecter, d'aller l'un vers l'autre. Etant son cadet de deux ans (Hocine est né en 1954 et Djamel en 1952, ndlr), c'est moi qui allais à sa rencontre. Le plus jeune fait un pas en direction de l'aîné. C'est ce que nous ont appris nos parents et les éducateurs – les vrais – qui nous ont élevés. Car dans le monde de notre foot à nous, il était aussi question de «terbiya» au même titre que l'éducation inculquée par nos géniteurs, l'école institutionnelle – celle du maître exemplaire et digne de ce nom – et l'école de la rue. Djamel, moi et tous les footballeurs de notre génération et les générations d'avant avaient été élevés dans ces multiples «familles» : la maison familiale, le quartier, l'école et le monde (sain) du foot. Djamel dont on a vanté les vertus à titre posthume, ces quatre derniers jours, est le produit par excellence de cette éducation multiforme. – Dans votre mémoire ressurgissent sûrement des images heureuses et triomphantes, des Jeux méditerranéens de 1975… Et comment ! C'était l'année de l'apothéose, celle du premier sacre international du football algérien. Vous m'avez sollicité pour vous parler du regretté Djamel ; donc, je me dois de rappeler qu'il a marqué plus que quiconque «mes» Jeux méditerranéens, car Djamel était mon camarade de chambre à l'hôtel flambant neuf 5 Juillet. Pendant deux mois, nous menions une vie de famille. C'est le joueur avec lequel j'ai le plus cohabité, le plus discuté et échangé. Un frère auquel j'ai ouvert mon cœur et sollicité les conseils avisés d'aîné. J'allais souvent lui rendre visite au café Le Terminus, au cœur de Bab El Oued.